Ituri/Djugu : barrières et taxes illicites pèsent sur les commerçants dans des zones d’insécurité - Enquête

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Plus de trois mois après le démarrage de l’état de siège dans la province de l’Ituri, au Nord-Est de la République démocratique du Congo, la situation sécuritaire est toujours volatile dans plusieurs contrées où sévissent des groupes armés. Les plus célèbres sont les Allied Democratic Forces (ADF), la Force Patriotique et Intégrationniste du Congo (FPIC/Chini ya kilima), la Force de Résistance et Patriotique du Congo (FRPI), le ZAIRE, et la Coopérative pour le Développement du Congo (CODECO) qui écument les territoires de Djugu, Irumu, Mahagi et Mambasa. Les flambées de violence enregistrées particulièrement en janvier 2018 et au mois de juin 2019, ont occasionné une situation de crise généralisée accompagnée des mouvements massifs de populations dont les chiffres avoisinent 100.000 dans les seuls territoires de Djugu et le Nord-Irumu, et dont la moitié a fui les exactions de différents groupes armés, principalement la CODECO au mois d’avril 2021. Pour faire face à cette insécurité et permettre la poursuite du trafic sur la Route nationale n°27 (RN27), le gouvernement provincial de l’Ituri avait mis en place, en 2020, un système de convoi des véhicules permettant la sécurisation des usagers de l’axe Bunia-Ngote jusqu’à Mahagi. Par la même décision, la circulation avait été interdite après 14 heures sur l’axe Iga-barrière-Mahagi, long de plus de 160 kilomètres. Si la mesure a semblé soulager les commerçants et usagers de cette route, barrières illégales et taxes exorbitantes ont vite refroidi les espoirs d’un retour rapide à la situation normale. Enquête sur terrain à Kobu et ses environs.

Kobu, à 45 Km de Bunia sur l’axe Iga-Barrière-Mongwalu sur la route nationale numéro 27 est le talon d’Achille de la reconquête par les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) des espaces jadis occupés par les groupes armés. Si le trafic a repris plus ou moins normalement sur cette route, les rebelles de la CODECO n’ont cependant pas été vaincus. Ils surgissent dans les recoins où les forces loyalistes sont absentes pour semer des troubles et exiger des taxes aux usagers de la route. Mais ils ne sont les seuls à le faire. L’instauration des convois sécurisés par l’armée avait institué en son temps des taxes de péage obligatoires en faveur des forces armées et de la police nationale. Janvier Egubra, alors porte-parole du gouvernement provincial et Ministre de l’économie et finance affirmait que cette taxe est le résultat d’un compromis avec la Fédération des entreprises du Congo (FEC) et l’Association des Chauffeurs du Congo (ACCO) en Ituri : « Nous avons eu plusieurs rencontres avec les opérateurs économiques pour chercher comment pallier les problèmes de l’insécurité sur l’axe Bunia-Mahagi qui était devenu pratiquement impraticable à cause de l’insécurité causée par les miliciens et qui visaient plus les engins fréquentant cette route. De commun accord nous leur avons demandé de débourser une petite somme en faveur des éléments qui vont être là pour leur sécurité pendant les convois. »

Des mesures qui avaient été bien accueillies par les bénéficiaires au moment de leur annonce par les autorités provinciales, au cours du premier trimestre de l’année 2020. Toutefois, de nombreux chauffeurs et commerçants exerçant sur les différents tronçons qu’écument les groupes armées et milices locales ont maintes fois dénoncé des tracasseries dont ils sont victimes de la part des policiers de circulation routière et même des troupes loyalistes. Ils racontent par exemple, que lors du premier convoi, ils ont été contraints de payer la somme de 50 $ par voiture : « Nous n’avons pas entendu de la bouche du gouverneur ce montant colossal que ces militaires ont fixés», témoigne un chauffeur. Même son de cloche du côté de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC/Ituri) dont le président, Constant Bubu Lenga, avait lui aussi dénoncé ces pratiques: «Nous n’arrivons pas à comprendre que, brutalement, les militaires commencent à demander de l’argent à nos membres. Nous ne gagnons rien avec l’insécurité qu’il y a dans cette partie de Djugu. Si vous prenez seulement 50 $ et vous multiplier par 150 véhicules, vous constaterez qu’ils gagnent journalièrement plus de 7500 USD sur les taxis voitures seulement sans compter les camions citernes et d’autres engins lourds », s’est indigné le président de la FEC-Ituri.

Mesures non efficaces

Il y a encore quelques semaines, et alors que continue la traque des groupes armés dans la province sous état de siège, le trafic a été suspendu sur plusieurs tronçons, notamment dans les territoires de Djugu et Irumu, sur la Nationale numéro 4 entre Oïcha et Komanda. Des rebelles auraient repris le contrôle des espaces laissés par les forces armées loyalistes et y auraient réinstallés des barrières routières. Une situation qui ne date pas d’aujourd’hui et qui poussent les commerçants et usagers de ces routes à s’interroger sur l’efficacité des mesures prises. La Coordination de la société civile de l'Ituri ne s’explique toujours pas comment cette initiative avait-elle pu germer dans la tête des autorités provinciales: «Comment comprendre qu’un gouvernement demande de l’argent à sa population pour circuler dans son propre pays ? Alors que c’est parmi les tâches dévolues aux forces de l’ordre de protéger la population et ses biens. C’est une manœuvre orchestrée par certaines autorités de la province dans le but d’appauvrir d’avantage nos petits commerçants qui nous aide tellement à nous approvisionner», affirme Marie Noëlla Nyaloka, ancienne coordonnatrice de la société civile de l’Ituri. 

Les responsables de la FEC (le patronat) doutent même de la destination des fonds récoltés. « Nous ne savons même pas la destination de ce fonds si cela entre dans le compte du trésors public ou pas. Nous estimons que c’est une forme de mafia initiée par certaines autorités. Nous n’allons pas accepter que cela continue». Leur colère est exaspérée par le fait que les autorités qu’ils n’osent citer expressément avaient promis, au lancement de cette opération, qu’elles mettraient tout en œuvre pour sécuriser les populations avec l’aide de la MONUSCO, la mission onusienne en RDC, qui appuie les FARDC dans la traque des groupes armés. Le constat est que les mécanismes de communication n’ont pas fonctionné normalement entre les responsables politiques de la province et les bénéficiaires ciblés de cette action. «Nous n’avons jamais été impliqués dans une telle démarche pour une quelconque perception d’argent, c’est un mensonge fabriqué », s’indignait M. Gona, membre de l'Association des Chauffeurs du Congo (ACCO) en Ituri. Ministre provincial de l’économie et des finances au moment des faits, Janvier Egubra reconnait que «cette décision n’est pas passée par l’assemblée provinciale mais elle avait été prise en urgence pour répondre aux cris des voyageurs et mêmes des chauffeurs qui dénonçaient l’insécurité sur les routes de l’Ituri. L’argent perçu servaient pour la maintenance des engins et la motivation des éléments qui sécurisent le convoi qui devraient aussi avoir un peu de moyen de survie ».

En réalité, les interrogations de la population sont dues au fait que, bien souvent, les convois ont été attaqués par des hommes armés embusqués. L’un de plus grands incidents est intervenu dans la journée du samedi 4 Juillet 2020. Alors que les convois sont sécurisés, onze personnes dont quatre militaires et trois policiers ont été tués à Matete, point situé non loin de la localité de Pitso dans le territoire de Djugu sur la RN 27. « L’incident est survenu lors d’une embuscade tendue par les assaillants de la Codeco. Les casques bleus marocains de la MONUSCO se sont déployés rapidement sur le lieu aux côtés des FARDC pour rétablir la situation. Nous voulons que la Monusco se charge alors de sécuriser le convoi puisque nos forces armées semblent ne pas y parvenir », avait alors témoigné le Président de l'Association des Chauffeurs du Congo section de l’Ituri qui n’arrivait toujours pas à comprendre comment des miliciens pouvaient tirer sur un convoi escorté par des militaires et policiers ? A la coordination de la société civile de l’Ituri, les membres préconisaient déjà des actions pour obtenir l’annulation de cette taxe qui, finalement, ne servait pas à grand-chose. 

Organisation floue

Avant le lancement de l’état de siège, alors que la situation était intenable dans la province, la FEC s’inquiétait de la fréquence des convois qui avait un impact négatif sur le commerce. « Même à l’époque, nous n’avions aucune maîtrise du programme des convois sur la RN 27. Nous sommes parfois obligés d’attendre deux à quatre jours à Iga-Barrière pour entrer dans un convoi. Cela joue sur les revenus de nos commerces et même pour les voyageurs qui doivent encore débourser de l’argent pour les hôtels en attendant le convoi», témoigne Constant Bubu Lenga, membre de la FEC. Selon les témoignages des camionneurs de l’axe Ngo ou de Iga-Barrière, aucun usager ne pouvait se passer du convoi organisé par les autorités. «Tout chauffeur qui tente de voyager sans le convoi et qui est appréhendé, pouvait subir de mauvais traitements, y compris la torture, lui et ses passagers. Par la suite, le chauffeur devait payer une amende représentant le double, voire le triple du montant fixé pour la taxe spéciale de convoi ».

Le porte-parole de l’armée dans la région affirme qu’au moment des faits, il avait annoncé un programme pour ces convois: « nous avons initié deux convois par semaine. Pour la simple raison que nous devrions aussi mettre les véhicules au garage pour entretien de peur qu’il y ait panne en cours de chemin pendant le voyage. Nous sommes engagés de protéger les voyageurs et leurs bien mais nous nous efforçons en même temps à chasser ces hors-la-loi le long de la route pour que la circulation redevienne normale et voire sans convoi », avait dit le Lieutenant Jules Ngongo. Depuis, grâce aux cris d’alarme des usagers de la route et les composantes des forces vives de l’Ituri, le système de convois a été annulé sur certains tronçons malgré une situation sécuritaire volatile. En effet, en plus de la prise de plusieurs positions jadis occupées par les miliciens, les forces loyalistes (FARDC) ont réussi à arrêter les deux principaux collaborateurs de Justin Ngunjolo, leader de la CODECO. Raymond Tseni et Amule Kesta ont été transférés à Kinshasa et attendent d’être jugés.

Mais, les vrais problèmes qui se cachent derrière ces tracasseries sont liés à l’état des infrastructures routières de la province et à la capacité des autorités à gérer la sécurité des biens et des personnes. Issue du démembrement de l’ancienne Province orientale en 2015, l’Ituri est une de plus vastes et riches provinces de la RDC, à la frontière avec l’Ouganda. Lors de son passage en 2019 dans cette partie du pays, écrit le site Buniaactualite.com : « le Président de la RDC s’est arrêté à Iga-Barrière, un centre de négoce situé à 25 km au nord de Bunia, sur la route nationale N°27 qui va de Komanda à Mahagi, à la frontière ougandaise. Dans son adresse à la population qui s’est massivement mobilisé pour l’attendre, Félix Tshisekedi a promu entre autres, l’asphaltage de cette route, considérée comme l’épine dorsale de l’économie de l’Ituri. Cette mesure a été chaleureusement applaudie par la foule qui n’a pas caché sa joie vue l’importance de la promesse présidentielle ». La promesse ne s’est jamais réalisée. Au contraire.

Bien plus, alors que les autorités militaires qui gouvernent la province depuis le mois d’avril 2021 appellent la population à soutenir ses efforts dans la traque des groupes armés locaux et étrangers, les résultats de l’état de siège proclamé par Kinshasa tardent à venir. Les élus locaux et une bonne partie des forces vives réclament une évaluation des opérations. Quelques territoires ont été repris aux rebelles et miliciens, mais ils continuent de contrôler de vastes espaces inaccessibles aux forces loyalistes et aux forces onusiennes. Sur chacun de ces territoires, les populations sont prises en étau entre les forces armées ; commerçants et passants sont souvent victimes des tracasseries des uns et des autres, obligés de payer des taxes illégales pour circuler.

Fréderic U.