Au-delà de la gratuité de l’enseignement de base, comment réformer l’Ecole en RDC et bâtir un système éducatif adapté aux réalités du 21ème siècle ?

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Par Mabiala Ma-Umba - Ancien directeur de l’éducation et de la jeunesse à l’Organisation Internationale de la Francophonie - (243) 82 2628 494 (WhatsApp) – Adresse mail : [email protected]

En République Démocratique du Congo (RDC), la mesure de gratuité de l’enseignement de base prise par le Chef de l’Etat est salutaire mais elle n’est pas suffisante. Pour que cette mesure produise les effets escomptés, il est crucial de prendre en compte, dans une vision holistique, les défis majeurs auxquels le système éducatif congolais est confronté et d’amorcer des réformes courageuses pour refonder le système éducatif congolais et  l’adapter aux réalités du 21ème siècle.

Principaux défis 

1)    A cause de la croissance démographique, le nombre d’enfants à scolariser ne va pas cesser d’augmenter! Aujourd’hui, le nombre d’enfants scolarisables âgés de 6 à 11 ans est estimé à environ 15,5 millions. D’ici 5 ans, en 2025, cette population scolarisable de 6 à 11 ans passera à environ 17,7 millions. En 2030, c’est-à-dire en l’espace de dix ans, elle sera d’environ 19,7 millions![1]

2)    Chaque année, des millions d’enfants et de jeunes quittent l’école sans qualifications!  La situation est particulièrement préoccupante dans le Kasaï où le taux d’achèvement du second cycle du secondaire est à peine de 4,6%. Les provinces de Tangayinka et de la Mongala se trouvent pratiquement dans la même situation, avec des taux d’achèvement du second cycle du secondaire d’à peine 5,9% et de 6,7%. Plusieurs autres provinces ont des taux d’achèvement en dessous de la moyenne nationale qui se situe autour de 31,1%[2]. Le cas spécifique des filles mérite une attention particulière. Les jeunes filles abandonnent massivement l’école à la fin de l’école primaire et durant les premières années du cycle secondaire, à cause des mariages précoces et des grossesses précoces et non désirées dont sont victimes 12% des filles de moins de 15 ans et 39% pour la classe d’âge 15-19 ans[3]. Au niveau secondaire, environ la moitié des cas de décrochage scolaire (48,5%) s’explique par des frais scolaires élevés[4]. La pauvreté explique l’incapacité des parents à payer les frais scolaires mais aussi le fait qu’à partir d’un certain âge, les enfants ressentent le besoin de travailler  pour survivre, comme on le voit avec la présence persistante de plusieurs milliers d’enfants et de jeunes dans les sites miniers du Haut-Katanga et du Lualaba[5]. Malheureusement, la mesure de gratuité de l’enseignement de base ne va pas résoudre le problème d’abandon scolaire des élèves du niveau secondaire!

3)    La qualité de l’éducation laisse à désirer! Des tests administrés en 2017-2018 à environ 11.500 garçons  âgés de 7 à 14 ans et à 10.700 filles sur l’ensemble de la RDC ont montré l’ampleur du drame en ce qui concerne la qualité des apprentissages : à peine 15,7% des garçons et 15,2% des filles ont été capables de lire correctement un texte simple écrit en français[6]. En milieu rural, les résultats sont plus dramatiques : à peine 9,1% des garçons et 6,5% des filles ont été capables de démontrer des compétences de base en lecture, en français. La qualité de l’éducation est médiocre en raison des conditions dans lesquelles étudient ces élèves mais aussi, et surtout, à cause de la qualification des enseignants : mal formés, beaucoup d’enseignants congolais ont des lacunes criantes, dans la quasi-totalité des matières.

4)    Les programmes scolaires sont inadaptés : certains contenus d’enseignement ne correspondent plus aux réalités actuelles, aussi bien au niveau secondaire qu’au niveau universitaire. Sur le terrain, on assiste de plus en plus à une situation paradoxale qui peut être résumée de la manière suivante : des jeunes diplômés sont au chômage mais ce n’est pas nécessairement le travail qui manque ! Le problème, c’est que ces jeunes diplômés n’ont pas les qualifications requises pour occuper les emplois disponibles sur le marché du travail. On l’a vu, au cours des dernières années, avec le boom minier dans l’ex Katanga: faute de main d’œuvre locale qualifiée, certaines entreprises étaient obligées de faire venir de l’étranger des ajusteurs et des soudeurs! Il y a donc lieu de s’interroger sur la pertinence du contenu de nos programmes mais aussi sur la pertinence de certaines filières, depuis l’école secondaire jusqu’à l’université. Certes, depuis 2016, des réaménagements ont été entrepris en ce qui concerne la réforme de l’Education de base, notamment pour introduire des innovations dans les domaines des sciences, des mathématiques et des technologies et  préparer les enfants à une « meilleure insertion dans la vie active » mais, faute de financement adéquat, le rythme et l’ampleur de cette réforme sont encore loin de répondre aux attentes et aux besoins!

5)    Des inégalités criantes persistent : le taux d’abandon scolaire des filles constitue une illustration flagrante des inégalités de genre. Mais, il y a évidemment d’autres types d’inégalités, notamment entre les milieux ruraux et les milieux urbains. A titre d’exemple, c’est en milieu rural qu’on enregistre le plus grand nombre de cas d’enseignants non mécanisés, qui travaillent pendant plusieurs mois, voire plusieurs années sans recevoir leurs salaires. C’est également en milieu rural et dans les zones urbaines périphériques que les besoins des enfants en situation de vulnérabilité sont les plus criants.

6)    Une gestion calamiteuse : avec des enseignants fictifs et des détournements massifs, il n’est un secret pour personne que le système éducatif congolais est en proie à un gaspillage inacceptable des ressources. Les enquêtes  et rapports de l’Inspecteur Général des Finances ont permis de dévoiler, en novembre 2020, « l’ampleur de détournements de fonds et la falsification des documents au niveau du Ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et technique »[7]. D’autre part, malgré les promesses du Gouvernement, il convient de reconnaitre que la situation reste difficile pour beaucoup d’enseignants. Non seulement, les conditions de travail restent passablement médiocres mais une proportion non négligeable d’enseignants ne sont pas du tout ou ne sont pas adéquatement pris en charge par l’Etat : à ce jour, des milliers d’enseignements dits « NU » (nouvelles unités) restent impayés !

Quelques pistes d’action

·      Plus que jamais, il est temps que des dispositions soient prises pour assainir la gestion de notre système éducatif, de sorte que les ressources disponibles, y compris les ressources humaines et les infrastructures scolaires, soient utilisées à bon escient. Une gestion rigoureuse permettrait de mettre fin aux enseignants fictifs ainsi qu’aux doublons et de récupérer des sommes colossales qui pourraient servir à augmenter les salaires des enseignants et à améliorer leurs conditions de travail.

·      Il est urgent d’accélérer la construction de nouvelles écoles, de nouvelles salles de classe et, surtout la formation et le recrutement de nouveaux enseignants. La communauté internationale pourrait aider mais elle ne pourra pas résoudre les contraintes structurelles auxquelles notre système éducatif est confronté!

·      Dans cette perspective, une taxe spéciale de solidarité pour l’éducation s’avère nécessaire afin d’accroitre le financement interne de l’éducation, non seulement pour permettre à un grand nombre d’enfants d’avoir accès à l’école (et notamment étendre la mesure de gratuité au niveau secondaire) mais aussi pour investir dans la qualité : ce qui suppose former des enseignants (une réforme en cours préconise la création des instituts de formation des maîtres au niveau post secondaire), recruter des enseignants qualifiés, les motiver en leur offrant des conditions de travail adéquates, offrir aux enseignants les outils dont ils ont besoin pour bien enseigner (matériels didactiques), réajuster les contenus des programmes, produire les manuels appropriés, acquérir les équipements nécessaires, s’assurer que les élèves ont ce qu’il faut pour apprendre adéquatement (matériels d’apprentissage), etc..

·      Il serait également judicieux de faire participer la diaspora congolaise à la reconstruction du système éducatif en mettant en place des mécanismes qui permettraient aux Congolais de la diaspora de contribuer financièrement à la construction ou à la réhabilitation des écoles dans leurs villes, quartiers ou villages d’origine ou dans leurs villes, quartiers ou villages d’enfance ou, simplement, dans les villes, quartiers ou village de leurs choix.

·      Face à l’inadaptation de notre système éducatif, nous devons repenser le modèle selon lequel tous les jeunes doivent nécessairement faire des études universitaires ou supérieures ! Avec la croissance démographique actuelle et les tendances qui se dessinent pour les 30 prochaines années, il est clair que la RDC n’aura pas les moyens d’accueillir tous les jeunes à l’Université.  Il y a des choix à faire et le bon sens exige d’admettre que, dans nos villes, un plombier bien formé peut très bien gagner sa vie même s’il ne possède pas de diplôme universitaire et que, par conséquent, tous les jeunes n’ont pas besoin d’aller à l’Université mais ils ont tous besoin, hormis des connaissances humanistes et des valeurs morales, des compétences pratiques qui leur permettent de faire face aux circonstances de la vie, de créer des richesses et de faire face à leurs besoins. C’est dans cette perspective qu’il convient de repenser la finalité de l’école secondaire et de lever l’option de privilégier l’enseignement professionnel et technique, en s’inspirant des modèles qui ont fait leurs preuves  dans d’autres pays.

·      Le numérique constitue aujourd’hui un outil incontournable qui pourrait aider à soutenir les efforts en matière d’éducation des enfants et des jeunes. C’est donc une opportunité à saisir pour lancer des initiatives de partenariat public-privé afin de révolutionner les modalités d’enseignement et d’apprentissage, former les enseignants  mais aussi améliorer la gestion du système éducatif. Ce n’est pas un rêve inaccessible d’imaginer une tablette, un smart phone ou un ordinateur portable dans les mains de chaque enseignant congolais, dans un délai de trois à cinq ans. Ce n’est pas, non plus, un rêve inaccessible d’imaginer une tablette ou un smart phone au sein de chaque famille congolaise, dans un délai de cinq à dix ans! Ce sont des options qui sont facilement négociables avec le secteur privé, dans un « deal gagnant-gagnant », notamment avec les compagnies de téléphone établies en RDC qui pourraient aider les enseignants et les familles à acquérir, selon des modalités à déterminer, les outils numériques devenus de plus en plus indispensables pour accroitre les performances des enseignants et des élèves.

En ligne droite avec la Stratégie sectorielle de l’éducation et de la formation (SSEF) 2016-2025, il est important de susciter le consensus et d’obtenir l’engagement de tous : en effet, des réformes éducatives qui durent et qui produisent des résultats doivent bénéficier de l’adhésion de tous pour qu’elles soient mises en œuvre, sur plusieurs années, quels que soient les gouvernements qui vont se succéder et quels que soient les partis politiques qui seront au pouvoir. L’avenir de l’Ecole en RDC reste donc un sujet autour duquel il y a, plus que jamais, urgence de forger « l’Union Sacrée de la Nation » !

 Lire aussi:


[1] Ministère de l’EPST (2020), Bilan global de la stratégie sectorielle de l’éducation et de la formation

[2] INS (2019), Enquête par grappes à indicateurs multiples, 2017-2018, rapport des résultats de l’enquête. Kinshasa

[3] Source : Ministère de la Santé (2014), planification familiale. Plan stratégique à vision multisectorielle.

[4] INS (2018). Enquête avec Questionnaire Unifié à Indicateurs de Base de Bien-être», E-QUIBB / RDC1 / Ministère du Plan, Kinshasa, 2018.

[5] Source : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190831-rdc-projet-lutte-contre-travail-enfants-mines-kolwezi-lualaba-haut-katanga

[6] INS (2019), Enquête par grappes à indicateurs multiples, 2017-2018 (MICS-Palu 2018), rapport de résultats de l’enquête. Kinshasa, République Démocratique du Congo

[7] https://actualite.cd/index.php/2020/11/23/enquete-de-ligf-synecat-demande-des-mesures-coercitives-contre-les-auteurs-de