Suite à la crise du coronavirus, quel avenir pour l’Ecole en RDC ? (Par Mabiala Ma-Umba)

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Dans cette chronique sur l’avenir de l’éducation en RDC, l’auteur, Mabiala Ma-Umba, enseignant-chercheur, ancien directeur de l’éducation et de la jeunesse à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), expert en éducation et, également spécialiste en communication pour le changement social et de comportement, montre qu’en dépit de la politique de gratuité, nous risquons, à cause d’énormes défis auxquels l’Ecole est confrontée, d’aller droit dans le mur si des mesures drastiques et idoines ne sont pas prises, si des réformes urgentes ne sont pas menées et si des financements additionnels ne sont pas disponibles… A l’heure des consultations nationales, Mabiala Ma-Umba ne se contente pas de tirer la sonnette d’alarme ; il propose également quelques pistes innovantes !

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Un peu partout dans le monde, la pandémie du coronavirus a contraint les responsables politiques à fermer momentanément les écoles. La République Démocratique du Congo (RDC) n’a pas fait exception. En congé forcé pendant plusieurs mois depuis le 19 mars 2020, c’est le 12 octobre 2020 que les élèves ont retrouvé le chemin de l’école, avec de nouvelles habitudes, de nouvelles normes organisationnelles et même pédagogiques. La décision d’interrompre momentanément l’école aura de nombreuses conséquences, à court, moyen et long termes. Ces conséquences ne sont pas nécessairement préjudiciables au système éducatif. Certaines d’entre elles constituent plutôt des opportunités à saisir. En effet, la crise sanitaire actuelle devrait surtout servir de déclic pour impulser des changements profonds. Pour mieux comprendre l’urgence de ces réformes, il convient de rappeler quelques défis majeurs auxquels est confronté notre système éducatif et que la crise sanitaire risque d’accentuer ! Nous esquisserons ensuite les opportunités à saisir ainsi que quelques perspectives et pistes d’action qui s’imposent à nous afin de sauver la génération de nos enfants et de nos petits-enfants…

Premier défi majeur: le nombre d’enfants à scolariser ne cesse d’augmenter !

A l’heure actuelle, le premier défi majeur auquel la RDC est confrontée, en matière d’éducation, est que le nombre d’enfants à scolariser est inouï et ne cesse d’augmenter!

La décision salutaire, prise en mars 2019 par le Chef de l’Etat, de généraliser la gratuité de l’enseignement de base va incontestablement drainer vers l’école des millions d’enfants qui étaient en dehors  du système ou qui risquaient de ne jamais y aller. En effet, environ 4 millions d’enfants ont réintégré l’école depuis cette mesure. Si on se réfère au taux de croissance actuelle de la population congolaise[1], on doit s’attendre à ce que le nombre d’enfants à scolariser augmente d’au moins 15% d’ici 10 ans. Aujourd’hui, le nombre d’enfants scolarisables âgés de 6 à 11 ans est estimé à environ 15,5 millions. D’ici 5 ans, en 2025, cette population scolarisable de 6 à 11 ans passera à environ 17,7 millions. En 2030, c’est-à-dire en l’espace de dix ans, elle sera d’environ 19,7 millions ! Ces chiffres ne prennent pas en compte les enfants de 3 à 5 ans: ils représentent aujourd’hui plus de 8 millions d’enfants qu’il va falloir également scolariser. Ces chiffres n’incluent pas, non plus, les élèves de 12 à 17 ans qui se retrouvent dans les classes secondaires et dont le nombre est estimé aujourd’hui à environ 12 millions. Dans dix ans, en 2030, ils seront à peu près 17 millions[2]

Ceci veut dire qu’il va falloir accélérer la construction de nouvelles écoles, de nouvelles salles de classe et, surtout la formation et le recrutement de nouveaux enseignants. Malheureusement, sur ce plan, les performances enregistrées au cours de dernières années ne nous poussent pas à l’optimisme. En effet, à titre d’exemple, en 2019, il était prévu, dans le cadre de la formation continue, de former 430.000 enseignants mais seulement environ 25.000 ont été formés, soit à peine 5,9%. Il était prévu de  construire 1.500 écoles mais seulement 114 ont été  construites, soit à peine 7,6%. Il était également prévu de construire 5.400 salles équipées, on en a construit seulement 31, soit 0,6%[3]. Avec la mesure de gratuité de l’enseignement de base, on doit se réjouir de voir que des millions d’enfants additionnels seront scolarisés mais, pour les prochaines années et déjà à partir de cette rentrée scolaire 2020-2021, nos capacités d’accueil seront mises à dure épreuve. Si rien n’est fait, les « gains » enregistrés en matière de scolarisation universelle risquent d’être annihilés, surtout sur le plan de la qualité car les enseignements sont dispensés dans de mauvaises conditions !

Deuxième défi majeur : trop d’enfants abandonnent l’école !

Le second défi majeur auquel le système éducatif congolais est confronté concerne le décrochage ou l’abandon scolaire. Chaque année, des millions d’enfants et de jeunes quittent l’école sans qualifications !  La situation est particulièrement préoccupante dans le Kasaï où le taux d’achèvement du second cycle du secondaire est à peine de 4,6%. Les provinces de Tanganyika et de la Mongala se trouvent pratiquement dans la même situation, avec des taux d’achèvement du second cycle du secondaire d’à peine 5,9% et de 6,7%. Plusieurs autres provinces ont des taux d’achèvement en dessous de la moyenne nationale qui se situe autour de 31,1%[4].

Les raisons pour lesquelles les enfants abandonnent l’école sont multiples et variées. D’après le Rapport de l’enquête E-QUIBB de l’Institut National de la Statistique (INS) rendue publique en septembre 2018, la principale raison de la déperdition des enfants du système éducatif concerne essentiellement des frais scolaires trop élevés. Avant la mesure de gratuité, 61,9% des cas d’abandon, au niveau primaire, avaient pour cause des frais de scolarité élevés. Au niveau secondaire, la situation n’a pas changé : environ la moitié des cas de décrochage scolaire (48,5%) s’explique par des frais scolaires élevés.

La pauvreté extrême qui affecte une grande proportion des familles congolaises en est la principale cause (à titre illustratif, la proportion des ménages vivant en insécurité alimentaire dépasse les 40%)[5]. La pauvreté explique l’incapacité des parents à payer les frais scolaires mais aussi le fait qu’à partir d’un certain âge, les enfants ressentent le besoin de travailler  pour survivre, comme on le voit avec la présence persistante de plusieurs milliers d’enfants et de jeunes dans les sites miniers du Haut-Katanga et du Lualaba[6].

Le cas spécifique des filles mérite une attention particulière. Les jeunes filles abandonnent massivement l’école à la fin de l’école primaire et durant les premières années du cycle secondaire. Elles abandonnent l’école pour deux raisons majeures : 1) les mariages précoces qui affectent encore environ 18% des adolescentes de 15 à 19 ans ; 2) les grossesses précoces et non désirées dont sont victimes 12% des filles de moins de 15 ans et 39% pour la classe d’âge 15-19 ans[7]. Signalons l’écart entre filles et garçons en ce qui concerne le taux de survie en dernière année d’école primaire : il est d’environ 75% chez les garçons et à peine 54,5% chez les filles[8].

Les données disponibles mentionnent également la violence et l’insécurité (longues distances à  parcourir ; harcèlements, en particulier pour les filles), les échecs scolaires, le redoublement et la maladie comme raisons d’abandon scolaire[9] : à force de redoubler, beaucoup d’enfants ont fini par abandonner ! Malgré quelques ratés et difficultés de mise en œuvre, la politique de gratuité de l’enseignement de base vient donc à point nommé : elle reste une mesure salutaire qui contribuera certainement à atténuer le phénomène de décrochage scolaire, surtout pour les élèves du niveau primaire. A condition que les enseignants soient correctement payés, sinon on retombera sur le phénomène des frais de motivation qui ont toujours fait obstacle à la gratuité ! Malheureusement, le problème ne sera pas résolu pour les élèves du niveau secondaire. Avec les conséquences de la crise sanitaire actuelle, le nombre d’élèves décrocheurs du secondaire risque plutôt d’augmenter !

Troisième défi majeur : la qualité de l’éducation laisse à désirer!

Des tests administrés en 2017-2018 à environ 11.500 garçons  âgés de 7 à 14 ans et à 10.700 filles sur l’ensemble de la RDC ont montré l’ampleur du drame en ce qui concerne la qualité des apprentissages : à peine 15,7% des garçons et 15,2% des filles ont été capables de lire correctement un texte simple écrit en français[10]. En milieu rural, les résultats sont plus dramatiques : à peine 9,1% des garçons et 6,5% des filles ont été capables de démontrer des compétences de base en lecture, en français.

Qu’est-ce qui fait que les performances des élèves soient si décevantes ? Evidemment, la première raison est liée aux conditions dans lesquelles étudient ces élèves mais aussi, et surtout, à la qualification des enseignants : faute de données fiables, il est difficile de donner un ordre de grandeur mais il est de notoriété publique que beaucoup d’enseignants congolais ont des lacunes criantes, dans la quasi-totalité des disciplines. Par exemple, ils ne possèdent pas les compétences requises pour bien enseigner le français et éprouvent eux-mêmes des difficultés à s’exprimer correctement en français. D’autre part, la formation initiale des enseignants n’intègre pas suffisamment de pratique professionnelle. Les humanités pédagogiques, censées former les enseignants, ne dispense pas de formation professionnalisante. Sur le plan des conditions de travail, malgré les promesses du Gouvernement, il convient de reconnaitre que la situation reste difficile pour beaucoup d’enseignants. Non seulement, les conditions de travail restent passablement médiocres mais une proportion non négligeable d’enseignants ne sont pas du tout ou ne sont pas adéquatement pris en charge par l’Etat : à ce jour, des milliers d’enseignements dits « NU » (nouvelles unités) restent impayés !  

4ème défi majeur : la persistance des inégalités

Nous avons montré ci-dessus comment l’abandon scolaire affecte davantage les filles, ce qui constitue bien évidemment une illustration flagrante des inégalités de genre. Mais, il y a évidemment d’autres types d’inégalités, notamment entre les milieux ruraux et les milieux urbains. A titre d’exemple, c’est en milieu rural qu’on enregistre le plus grand nombre de cas d’enseignants non mécanisés, qui travaillent pendant plusieurs mois, voire plusieurs années sans recevoir leurs salaires. C’est également en milieu rural et dans les zones urbaines périphériques que les besoins des enfants en situation de vulnérabilité sont les plus criants.

Une étude de l’Institut National de la Statistique a noté, pendant que les écoles étaient fermées à cause de la crise sanitaire due à  la Covid-19,  que « les enfants de près de la moitié des ménages (47%) de la Ville de Kinshasa n’ont bénéficié d’aucune activité éducative »[11],  alors qu’au même moment étaient diffusés à la radio et à la télévision des programmes d’enseignement à distance. Ceci confirme que cette crise a contribué à creuser davantage les inégalités, entre les enfants des milieux aisés de la commune de Ngaliema ou de la Gombé et les enfants pauvres de Kingasani et de Masina. Nous le savons, les uns ont facilement accès à la télévision, à la radio et aux réseaux sociaux alors que c’est encore un rêve pour les autres ! 

5ème défi majeur : l’inadaptation des programmes scolaires

Pour l’année scolaire 2019-2020, environ 818.000 élèves finalistes se sont présentés aux examens d’Etat : un record ! Evidemment, ces enfants espèrent s’inscrire à l’université ou dans un Institut supérieur pour poursuivre leurs études. Malheureusement, faute de places, l’ensemble de nos institutions d’enseignement supérieur et universitaire ne pourront même pas accueillir la moitié d’entre eux. D’autre part, tous les diplômés d’Etat n’ont pas les ressources financières pour faire face aux coûts de scolarité et aux frais connexes qu’entraîne l’enseignement supérieur et universitaire. Ne pouvant pas accéder à l’enseignement supérieur ou universitaire, de nombreux jeunes n’auront d’autres choix que de se lancer sur le marché du travail. Or, comme nous le savons, l’école secondaire, à l’exception de quelques filières techniques et professionnelles, ne prépare pas les élèves à devenir « employables ». Faute de compétences adaptées, ces jeunes diplômés d’Etat se retrouveront probablement au chômage, avec une faible probabilité d’intégration socio-professionnelle.

Pour le niveau supérieur et universitaire, le problème se pose à peu près de la même manière. On note un déphasage entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail. On assiste de plus en plus à une situation paradoxale qui peut être résumée de la manière suivante : des jeunes diplômés sont au chômage mais ce n’est pas nécessairement le travail qui manque ! Le problème, c’est que ces jeunes diplômés n’ont pas les qualifications requises pour occuper les emplois disponibles sur le marché du travail. On l’a vu, au cours des dernières années, avec le boom minier dans l’ex Katanga: faute de main d’œuvre locale qualifiée, certaines entreprises étaient obligées de faire venir de l’étranger des ajusteurs et des soudeurs! D’autre part, en ce qui concerne les instituts d’enseignement supérieur et universitaire, l’environnement académique médiocre (notamment le manque d’équipements de base,  de matériels didactiques, de laboratoires et de bibliothèques) dans lequel sont dispensés les enseignements pousse à se poser des questions sur la qualité des diplômés qui sortent de ces institutions.

Que faire face à cette situation ? Il faut probablement s’interroger sur la pertinence du contenu de nos programmes mais aussi sur la pertinence de certaines filières, depuis l’école secondaire jusqu’à l’université. Il est évident que certains contenus d’enseignement ne correspondent plus aux réalités actuelles et qu’il y a  inadéquation entre les besoins de la société et les formations dispensées. Certes, depuis 2016, des réaménagements ont été entrepris en ce qui concerne la réforme de l’Education de base, notamment pour introduire des innovations dans les domaines des sciences, des mathématiques et des technologies et  préparer les enfants à une « meilleure insertion dans la vie active » mais, faute de financement adéquat, le rythme et l’ampleur de cette réforme sont encore loin de répondre aux attentes et aux besoins!

Opportunités à saisir, perspectives et pistes d’action…

Pendant la crise sanitaire due à la Covid-19, au moment où les écoles étaient fermées, le Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique (EPST) a organisé, avec l’appui des partenaires internationaux comme l’UNESCO, l’UNICEF et USAID, des cours à distance pour les élèves de la République. Si ces cours ont pu être organisés dans le contexte du confinement et de la pandémie de coronavirus, ils peuvent, à coup sûr, être adaptés et utilisés en temps normal. Il serait donc judicieux de lancer une initiative nationale qui permette d’exploiter au maximum le potentiel de la radio, de la télévision et du numérique afin de contribuer à améliorer la qualité des apprentissages des élèves.

En effet, le numérique constitue aujourd’hui un outil incontournable qui pourrait aider à soutenir les efforts en matière d’éducation des enfants et des jeunes. C’est donc une opportunité à saisir pour révolutionner les modalités d’enseignement et d’apprentissage mais aussi pour améliorer la gestion du système éducatif. Est-ce un rêve inaccessible d’imaginer une tablette, un smart phone ou un ordinateur portable dans les mains de chaque enseignant congolais, dans un délai de trois à cinq ans ? Est-ce un rêve inaccessible d’imaginer une tablette ou un smart phone au sein de chaque famille congolaise, dans un délai de cinq à dix ans ? Ce sont des options qui sont certainement facilement négociables avec le secteur privé, dans un « deal gagnant-gagnant » notamment avec les compagnies de téléphone établies en RDC qui pourraient aider les enseignants et les familles à acquérir, selon des modalités à déterminer, les outils numériques devenus de plus en plus indispensables pour accroitre les performances des enseignants et des élèves, et permettre « l’introduction au sein de l’enseignement national des technologies de l’information et de la communication facilitant notamment l’enseignement ouvert et à distance », comme le préconise la loi-cadre n°14/004 du 11 février 2014 qui régit l’enseignement national en RDC.

Face à la situation dans laquelle se trouve notre système éducatif, quelles perspectives faut-il envisager ? D’abord, nous ne devons pas nous contenter de soutenir le droit à l’éducation ; nous devons être plus exigeants et soutenir le droit à la qualité, de manière inclusive !  C’est dans cette perspective que les aspects de « régulation » revêtent une importance majeure et que l’Etat doit rigoureusement exercer son pouvoir normatif, de contrôle et de sanction, spécialement au regard des initiatives privées qui sont prises dans le secteur de l’éducation. N’importe quel homme ou quelle femme ne peut ouvrir un établissement scolaire ; n’importe qui ne peut s’improviser enseignant ; n’importe quel local ne peut servir de salle de classe!

Il est également temps de prendre conscience que les enjeux d’éducation sont intimement liés à la politique de population, à la croissance démographique et à la croissance économique. Nous devons nous poser des questions sur les ressources que la RDC devra mobiliser, dans les dix ou vingt prochaines années, pour une éducation et une formation de qualité des enfants et des jeunes ! D’où viendront ces ressources ?  Que ferons-nous pour scolariser tous nos enfants quand ils seront trois ou quatre fois plus nombreux ?  A l’heure actuelle, nous peinons à prendre en charge les salaires de tous les enseignants du secteur public, que ferons-nous quand le nombre d’enseignants à rémunérer sera multiplié par cinq ? Qu’on le veuille ou non, nous devrions, tôt ou tard, aborder sérieusement la question de planification familiale, sans jouer à la politique de l’autruche, pour que nous puissions avoir la maîtrise de notre croissance démographique !

Nous devons également repenser le modèle selon lequel tous les jeunes doivent nécessairement faire des études universitaires ou supérieures ! Avec la croissance démographique actuelle et les tendances qui se dessinent pour les 30 prochaines années, la RDC aura-t-elle les moyens d’accueillir tous les jeunes à l’Université ? Il y a des choix à faire et le bon sens exige d’admettre que, dans nos villes, un plombier bien formé peut très bien gagner sa vie même s’il ne possède pas de diplôme universitaire et que, par conséquent, tous les jeunes n’ont pas besoin d’aller à l’Université mais ils ont tous besoin, hormis des connaissances humanistes et des valeurs morales, des compétences pratiques qui leur permettent de faire face aux circonstances de la vie, de créer des richesses et de faire face à leurs besoins. C’est dans cette perspective qu’il convient de repenser la finalité de l’école secondaire et de lever l’option de privilégier l’enseignement professionnel et technique, en s’inspirant des modèles qui ont fait leurs preuves ailleurs, comme en Suisse ou en Allemagne.

 « Union sacrée de la nation » autour de l’éducation et de la jeunesse…

Très peu de congolais le savent : avec l’appui des partenaires internationaux, notre pays s’est doté d’une Stratégie sectorielle de l’éducation et de la formation pour la période 2016-2025. Cette Stratégie comporte des objectifs opérationnels très clairs mais sa mise en œuvre souffre d’une contrainte majeure : les ressources sont extrêmement limitées, malgré l’apport d’environ 130 millions de dollars qu’apportent chaque année les partenaires internationaux ! Les défis identifiés ci-dessus rendent la situation encore plus difficile, sur le plan financier !

Ces défis montrent qu’il est urgent d’accroître les ressources internes allouées à l’éducation, non seulement pour permettre à un grand nombre d’enfants d’avoir accès à l’école mais aussi pour investir dans la qualité : ce qui suppose former des enseignants (une réforme en cours préconise la création des instituts de formation des maîtres au niveau post secondaire), recruter des enseignants qualifiés, les motiver en leur offrant des conditions de travail adéquates, offrir aux enseignants les outils dont ils ont besoin pour bien enseigner (matériels didactiques), réajuster les contenus des programmes, produire les manuels appropriés, acquérir les équipements nécessaires, s’assurer que les élèves ont ce qu’il faut pour apprendre adéquatement (matériels d’apprentissage), etc. Mais d’où viendra l’argent pour investir dans la qualité de l’éducation et de la formation de nos enfants et de nos jeunes ?

Ces derniers temps, le secteur éducatif est en proie à des remous dus, en partie, à des histoires d’enseignants fictifs, des salaires non payés, des détournements réels ou supposés qui, malheureusement, ne sont pas toujours élucidées par des investigations indépendantes, plusieurs enquêtes ayant été menées avec des résultats mitigés. Plus que jamais, il est temps que des dispositions soient prises pour assainir la gestion de notre système éducatif, de sorte que les ressources disponibles, y compris les ressources humaines et les infrastructures scolaires, soient utilisées à bon escient et contribuent effectivement aux objectifs du secteur éducatif. Il convient de mentionner ici qu’une évaluation des dépenses publiques du secteur éducatif, publiée par la Banque Mondiale en 2015, avait montré que la RDC sous-utilise les ressources disponibles. Une simulation de l’utilisation optimale des salles de classe ou des enseignants disponibles avait même suggéré qu’environ 20 millions d’enfants supplémentaires pouvaient être accueillis sans coût additionnel, par les capacités publiques de l’époque.

Dans la perspective de la gratuité pour tous (y  compris pour le niveau secondaire), il serait opportun de réévaluer nos capacités d’accueil et d’utiliser judicieusement celles qui existent. Parallèlement, il va falloir penser à générer des ressources additionnelles, surtout innovantes,  pour financer la qualité de l’éducation et de la formation. Il est illusoire de compter sur la communauté internationale. Celle-ci pourrait aider mais elle ne pourra pas résoudre les contraintes structurelles auxquelles notre système éducatif est confronté ! Dans cette perspective, une taxe spéciale de solidarité pour l’éducation pourrait s’avérer nécessaire afin d’accroitre le financement interne de l’éducation.

En ligne droite avec la Stratégie sectorielle de l’éducation et de la formation (SSEF) 2016-2025, il est important de susciter le consensus et d’obtenir l’engagement de tous : en effet, des réformes éducatives qui durent et qui produisent des résultats doivent bénéficier de l’adhésion de tous pour qu’elles soient mises en œuvre, sur plusieurs années, quels que soient les gouvernements qui vont se succéder et quels que soient les partis politiques qui seront au pouvoir … En cette période de concertations et de consultations nationales, l’avenir de l’Ecole reste un sujet autour duquel il y a, plus que jamais, urgence de forger « l’Union Sacrée de la Nation » !

(07 novembre 2020)

Mabiala Ma-Umba ([email protected]) - (243) 82 2628 494 (WhatsApp)

 


[1] Source : https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.POP.GROW

[2] Ministère de l’EPST (2020), Bilan global de la stratégie sectorielle de l’’éducation et de la formation

[3] Ministère de l’EPST (2020), idem.

[4]INS (2019), Enquête par grappes à indicateurs multiples, 2017-2018, (MICS-Palu 2018), rapport des résultats de l’enquête. Kinshasa

[5] INS (2018). Enquête avec Questionnaire Unifié à Indicateurs de Base de Bien-être», E-QUIBB / RDC1 / Ministère du Plan, Kinshasa, 2018.

[6] Source : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190831-rdc-projet-lutte-contre-travail-enfants-mines-kolwezi-lualaba-haut-katanga

[7] Source : Ministère de la Santé (2014), planification familiale. Plan stratégique à vision multisectorielle.

[8] Source : UNICEF

[9] INS (2018), E-QUIBB, Idem.

[10] INS (2019), Enquête par grappes à indicateurs multiples, 2017-2018 (MICS-Palu 2018), rapport de résultats de l’enquête. Kinshasa, République Démocratique du Congo

[11] INS, Conditions de vie des ménages à Kinshasa. Mesure de l’impact de la COVID-19. Bulletin Numéro 01, juillet 2020