Dans un nouveau rapport, l’ONG Global Witness et PLAAFF, la plateforme de lanceurs d’alerte d’Afrique, montrent comment Dan Gertler à manœuvrer pour échapper aux sanctions américaines. Ce rapport intitulé « Des sanctions, mines de rien » a fait coulé encre et salive notamment dans les médias congolais. ACTUALITE.CD a reçu pour vous Jean Claude Mputu, politologue et porte-parole de la Campagne le Congo n’est pas à vendre (CNPAV).
Des Sanctions, Mine de Rien est un rapport basé sur des documents internes de la banque Afriland et différentes recherches effectuées par deux chercheurs qui ont travaillé pendant un an. Le rapport vient confirmer les dénonciations de la société civile sur le caractère illégal et illicite des activités de Dan Gertler en RDC. Le rapport établit que malgré les sanctions, Gertler a continué à faire des affaires au Congo sans être inquiété et que pour le faire, il a mis en place un vaste réseau de blanchiment composé d’amis, de sociétés écrans, d’acteurs déjà condamnés pour blanchiment d’argent dans d’autres dossiers. Ce système permet de contourner les sanctions et blanchir l’argent provenant du secteur minier congolais.
Ceux qui se donnent la peine de lire rapport verront qu’il mentionne des faits, cite des noms des personnes, donne des dates précises et les montants des opérations. Avez-vous vu une seule vidéo ou un seul document qui aborde ces questions ? Non. Pourquoi? Parce que les personnages impliqués dans le réseau confirment eux-mêmes, dans leurs réponses aux auteurs, l’existence des comptes, des sociétés écrans, des virements bancaires. Ils savent très bien que les faits sont réels.
Qui propage cette anti-campagne, selon vous? Afriland et Dan Gertler ont tout intérêt à discréditer les auteurs et détourner la question du vrai débat. Les moyens pour le faire sont illimités : Payer la presse qui a complètement ignoré le rapport pour ne parler que de la contre campagne avec des moyens énormes, payer une armée de soi-disants citoyens congolais pour envahir les réseaux sociaux. S’ils pensent qu’ils peuvent nous intimider, je leur réponds ici que le Congo n’est pas à vendre ne se résume pas aux organisations et individus qui le composent. Il est aujourd’hui une volonté commune du peuple congolais de mettre fin à la corruption. Et ce combat continuera sur chaque dossier de corruption.
Aujourd’hui on ne peut pas comprendre qu’on juge un directeur du cabinet du Chef de l’Etat et que Gertler continue impunément à opérer au Congo avec la complicité de ses amis. Il suffit de voir comment Eric Moutet, qui est en même temps l’avocat de Gertler et de Afriland comme s’il s’agissait d’une équipe soudée, a pu malgré la fermeture des frontières et l’absence des trafics aériens se déplacer de Paris à Kinshasa pour seul animer une conférence de presse. Seules des personnes hautement placées ont pu lui obtenir ces passe droits.
Nous sommes habitués dans ce pays que chaque fois qu’une ONG nationale ou internationale parle de la corruption de l’élite, elle soit immédiatement taxée de néocolonialiste ou au service de je ne sais quel impérialiste pour nuire au Congo.
Les congolais ne sont plus dupes pour croire à ce disque rayé. Aucune ONG ne dirige le secteur minier dans ce pays. Elles ne disposent donc d’aucune capacité de nuire au Congo en dénonçant le mal. Ceux qui pillent et détruisent le Congo sont ceux qui sont à la tête de nos institutions ; leurs complices sont ceux qui sont chargés de punir les coupables et ne le font pas. Aujourd’hui ceux qui détruisent le Congo, ce sont toutes ces personnes qui sont auteurs ou témoins directs de cette corruption et qui ne prennent aucune décision pour y mettre fin.
C’est un discours idéologique et creux qui ne résiste à aucune analyse sérieuse des faits. Quand le CNPAV via ses membres se constituent partie civile contre Semlex, une entreprise belge à Bruxelles, ou quand nous avons déposé fait la même chose à Kinshasa, nous sommes des néocolonialistes ?
Effectivement, plusieurs grands médias ont passé en revue la documentation qu’avaient obtenu Global Witness et PPLAAF, et ils ont mené leurs propres enquêtes. Alors si on accuse Plaaf et GW d’être non professionnelles, ces personnes doutent-elles aussi du sérieux de Bloomberg et de Haaretz, journal israélien qui ici serait alors contre les intérêts d’un citoyen israélien aussi ? Le ridicule ne tue pas.
L’article de Bloomberg décrit tout le montage mis en place par Gertler pour contourner les sanctions : un vaste réseau d’entreprises fantômes et de comptes bancaires à Afriland First Bank. L’article montre surtout comment les pratiques d’Afriland mettent en danger l’ensemble du système bancaire congolais entièrement dolarisé. Car aujourd’hui avec ces faits, le risque est réel de voir les banques correspondantes américaines couper leurs liens avec des banques congolaises et les Etats-Unis sanctionner d’autres entités et individus opérants en RDC. N’ayons pas peur des mots : ceci peut détruire le tissu économique de notre pays. Agir maintenant contre cette banque et ce réseau, c’est sauver l’économie du Congo.
L’article de Haaretz montre comment des sommes importantes ont quité les comptes d’Afriland au Congo pour ensuite être envoyées à des avocats, des conseillers, et des sociétés sulfureuses en Israël en possible violation des lois anti-blanchiment. Cela donne un aperçu du réseau puissant dont Gertler en Israél, où il habite. Ce qui est intéressant est que la grande majorité des bénéficiaires ont confirmé avoir reçu cet argent, ce qui atteste une fois de plus de la crédibilité du rapport. Notoire aussi est que certaines banques ont refusé de réceptionner les fonds et les ont renvoyés chez Afriland de peur d’être impliqués dans un réseau de blanchiment d’argent. En Israël, les banques sont obligées selon les lois de rapporter immédiatement tout virement suspect. C’est quelque chose que le Congo devrait aussi mettre en place de toute urgence.
Les autorités américaines ont sanctionné Dan Gertler en décembre 2017 en raison de “contrats miniers et pétroliers opaques et entachés de corruption”. Pour les Etats-Unis, Dan Gertler est un ami proche de l’ancien président de la RDC, Joseph Kabila. Les Etats-Unis ont estimé que Gertler “s’était servi de son amitié étroite avec le président congolais Joseph Kabila afin de s’imposer comme intermédiaire dans la vente d’actifs miniers en RDC, obligeant certaines multinationales à passer par Gertler pour faire des affaires avec l’État congolais”.
Si aujourd’hui après les sanctions, il a choisi de faire de la RDC un paradis fiscal personnel, c’est bien évidemment en raison de la protection dont il bénéficie de la part de l’élite politique en général et de l’ex-président en particulier.
Et c’est ce qui doit s’arrêter. Le président de la République actuel doit agir et traduire en acte sa volonté de combattre la corruption. Ne pas le faire risque de faire de lui un complice involontaire ou pas de Gertler. Surtout si l’on se souvient de sa déclaration où il avait dit que « Gertler n’est pas un criminel pour l’empêcher de faire des affaires en RDC. »
Ce type d’actions nous fait penser à la Fondation Famille Gertler qui avait été mise en place pour répondre aux critiques des ONGs d’il y a bientôt dix ans. En donnant des miettes, on sauve la réputation de Gertler, pas le budget de l’Etat congolais. Aujourd’hui, cette fondation se retrouve sur la liste des sanctions car elle pouvait tout aussi bien servir de véhicule pour la corruption.
Que valent quelques milliers de dollars investis dans la lutte contre le Corona en comparaison des $1,36 milliards qu’il a fait perdre à la Gécamines et à l’état congolais ? Donc un tel homme qui donne une partie de ses gains dans une œuvre sociale devient un saint homme ?
N’oublions pas que Gertler n’est pas un opérateur minier. Son rôle n’a jamais été d’investir dans la mine, d’extraire le minerais. Son rôle était d’acheter à un prix imbattable sans appel d’offre les droits miniers de la Gécamines et de les revendre au plus fort du marché. Par exemple, l’achat d’un actif à 15 millions, revendu quelques mois plus tard à 75 millions, ou encore l’achat à 500000 $ du bloc pétrolier revendu 150 millions…. Rien que sur ces deux transactions, le Congo a perdu plus de $200 millions. Imaginez les dizaines d’hôpitaux et d’écoles qu’on aurait pu construire avec ces sommes. Et comparez ça maintenant au $1.8 millions que le gouvernement prévoyait pour la riposte Covid.
Le Congo n’est pas à vendre ne pouvait simplement pas laisser passer ce rapport comme si de rien n’était. C’est déjà depuis des mois que le CNPAV ainsi que d’autres organisations congolaises à l’instar de la Coalition pour la Gouvernance des Entreprises Publiques (COGEP) demande au président de la République et aux autorités gouvernementales de prendre des mesures contre Gertler et ses complices. Sans résultat.
Ce rapport est venu non seulement confirmer ce que l’on savait déjà mais surtout permet de montrer clairement que Dan Gertler est toujours le roi du Congo. Souvenez-vous de cette phrase célère de Kikaya Bin Karubi, l’ex-conseiller diplomatique de Kabila en 2016 : « Pour nous, une attaque contre lui [Dan Gerlter] est une attaque contre le Congo ». J’ai l’impression que les nouvelles autorités ne sont pas loin de partager cet avis. Vues les pertes causées par Gertler, c’était une évidence pour le Congo n’est pas à vendre de s’approprier ce rapport et d’exiger des mesures conservatoires contre Dan Gertler et la manifestation de la vérité.
Les opérations bancaires décriées créent des risques graves pour l’économie congolaise. Afriland a hébergé les comptes d’individus et de sociétés sanctionnées et a laissé d’énormes quantités d’argent liquide être déposées puis transférées sans vérifier la source des fonds. Après les scandales BGFI et la Rawbank, le risque est grand de voir plus de banques et sociétés refuser d’investir et de travailler avec le Congo. Et comme le dit Bloomberg, on risque de voir plus de banques correspondantes nous refuser l’accès à des monnaies étrangères et surtout le dollar, ce qui constituerait une vraie catastrophe vu que notre pays dépend tellement des importations, qui nécessitent l’accès aux devises.
L’autre risque, c’est qu’on continue à voir nos concessions minières être vendues pour une bouchée de pain à des amis du régime. On voit encore dans ce rapport une vente mystérieuse des actifs de la Gécamines à des individus inconnus, sans aucune expérience dans les mines, derrière lesquels se cache potentiellement Dan Gertler. Un des contrats est même signé par Albert Yuma en personne – en fait, il expose non seulement sa propre personne mais aussi la Gécamines à des sanctions !
Tout cela se fait en connaissance de cause par des personnes qui pourtant sont au courant des risques pour le pays tout entier. Pour des raisons inavouables ces personnes mettent en danger l’avenir de toute une nation et bradent nos richesses. C’est inadmissible et c’est pourquoi nous demandons non seulement un audit de toutes ces affaires mais aussi l’ouverture d’une enquête judiciaire. Le Congo n’est pas à vendre examine très sérieusement la possibilité de porter plainte auprès de la justice congolaise pour faire la lumière sur toutes ces transactions.
Quand j’ai lu cette plainte, je ne savais pas si je devais en rire ou en pleurer. Connaissant personnellement les auteurs du rapport, je ne pouvais douter de leur sérieux et imaginer un seul instant qu’ils pouvaient falsifier des documents. Ainsi, apporter 8 chefs d’accusation contre deux ONG extrêmement sérieuses qui travaillent pour l’intérêt commun depuis des années me suffit pour montrer le caractère abusif de cette plainte.
D’ailleurs, plusieurs éléments de la plainte sont extrêmement faciles à réfuter, comme cette affirmation qu’une « employée » de Global Witness aurait corrompu des gens pour avoir accès à des informations qui seraient à la base de ce rapport. La personne en question a quité Global Witness en 2010 et qu’elle n’a jamais fait des recherches sur Gertler. Cette plainte qui cherche à discréditer les auteurs pourrait finir par discréditer Afriland.
La plainte montre surtout que les personnes visées semblent prêtes à des tactiques d’intimidation pour empêcher la vérité de voir le jour. Déjà quelques semaines avant la publication, les avocats de Gertler et d’Afriland avaient menacé les associations d’un dépôt de plainte pénale si les associations allaient de l’avant dans leur publication. C’est donc une tentative claire de restreindre leur liberté d’expression. Ils sont passés à l’acte en déposant plainte la veille de la publication du rapport.
Au même moment, des dizaines de vidéos diffamatoires ont été publiées sur les réseaux sociaux congolais. Cela montre que c’est une campagne de dénigrement bien organisée, et qui a dû couter très chère au commanditaire. D’ailleurs les juristes de Congo n’est pas à vendre sont en train d’examiner la possibilité de se porter partie civile à cette plainte comme nous l’avons fait dans le cadre du dossier des passeports contre Semlex à Bruxelles.
L’entendre parler des ONG comme des méchants ne respectant aucun droit est à la limite de la risibilité. Et dire qu’il fut un des nôtres. Demandons-nous comment cet homme, qui se disait défenseur des droits de l’homme a pu se retrouver de l’autre côté pour défendre aujourd’hui ceux qu’il combattait hier.
Difficile aujourd’hui de s’imaginer comment Moutet était jadis membre du conseil d’administration de Sherpa, cette association française créée et présidée pendant un temps par William Bourdon, le président et fondateur de PPLAAF. Rappelez-vous que Sherpa est l’association qui a déclenché les poursuites en France pour corruption et blanchiment contre l’oncle de Bachar El Assad, contre les familles des certains présidents africains (Obiang, Bongo et Sassou). Eric Moutet a même été avocat dans des affaires de lutte contre la corruption. Il a défendu une entreprise gabonaise contre la BGFI ! Alors quand il dit que les ONG travaillent pour l’argent, je me demande s’il est vraiment sérieux et ça me rend triste.
Heureusement que son voyage en jet express à Kinshasa n’a pas trompé grand monde et je crois aujourd’hui à la maturité du peuple congolais pour se faire eux-mêmes leur propre opinion.
Je ne répondrais pas à cette question car c’est faire injure aux lanceurs d’alerte qui comme Jean jacques Lumumba ont risqué leurs vies pour dénoncer la corruption. C’est faire injure à des ONG comme ODEP, COGEP, CDC-Ituri à Bunia ou encore OEARSE à Lubumbashi qui au quotidien travaillent pour la transparence et le respect de la légalité en RDC. Et puis finalement c’est faire injure à chaque citoyen congolais, comme si nous n’étions pas capable de comprendre que le pays n’avance pas à cause entre autres de la corruption et de la complicité de nos dirigeants. Non, le temps de l’impunité doit prendre fin.
Si exiger la démocratie, un Etat de droit, la fin à la corruption, le debut d’un partage équitable des richesses nationales entre tous les Congolais, une gestion saine et transparente des ressources naturelles fais de moi un agent de l’occident, alors oui, je le suis. Mais le peuple congolais qui souffre et qui voit saura reconnaître les fossoyeurs de la République.
Nous demandons au président de la république de geler les avoirs de Gertler, comme il l’a fait pour le groupe de Saleh Assi en décembre 2019 après les sanctions américaines. Ensuite une enquête doit être diligentée pour identifier le rôle exact joué par Afriland dans ce réseau de blanchiment d’argent.
Au délà de Gertler, une vraie politique de lutte contre la corruption est une condition sine qua non pour prendre un nouveau départ. Le système bancaire doit être bien mieux contrôlé. En quelques années, nous avons vu ce qui s’est passé avec la BGFI, la Rawbank et maintenant Afriland. Les autorités publiques doivent arrêter les agissements de certaines banques qui mettent en péril le système financier congolais. Il n’est pas normal qu’une personne puisse s’appuyer sur une banque pour acheter un permis minier avec 10 millions de dollars en cash sans que la provenance de cet argent ne soit identifiée.
Le pays va mal et l’avenir de nos enfants est en danger. Dan Gertler à lui seul a fait perdre au pays plus d’un milliard de dollars. Cet argent aurait pu contribuer à la lutte contre la pauvreté, à construire des hôpitaux, des écoles, des routes et j’en passe. La lutte contre la corruption est un impératif national et doit nous concerner tous. Le Congo ne doit plus être vendu car c’est notre patrimoine commun. La corruption est en train de tuer notre Congo et nous lançons un appel à chaque congolais où il se trouve et qui est témoin d’un acte de corruption à le dénoncer. C’est le seul moyen de vaincre cette pandémie qui depuis des années fait plus des victimes que le corona.
Merci.