6 heures à Kinshasa. Les véhicules s’efforcent à sortir de l’embouteillage de l’avenue de l’Union africaine. Les parents sont pressés et personne ne souhaite que son enfant arrive en retard au Jewels International School of Kinshasa (JISK).
Avec 800 élèves représentant plus de 20 différentes nationalités, cet établissement se présente comme la plus multiculturelle du pays. Spécialisé dans les enseignements en anglais, l’école fondée par les indiens Najma et Ishaque Munshi s’est ouverte au français depuis 2004.
Pionnière du genre, Jewels fait des émules. Aujourd’hui, beaucoup d’autres écoles ont vu le jour avec comme ambition de proposer un programme tout aussi ouvert au monde.
Certaines proposent même des voyages scolaires en Europe. Elles ont comme particularités le multilinguisme (français, anglais, turc, etc.), l’intégration systématique des notions d’informatique dès l’école primaire et surtout elles coûtent très chères.
« Je ne parle pas anglais. J’ai des problèmes dans mon évolution professionnelle et je ne souhaite pas que mon fils connaisse le même handicap en grandissant. Il a 7 ans cette année et je souhaite qu’il parle couramment anglais dès le bas âge. C’est vrai que je paie plu cher que dans d’autres écoles, mais je pense que ça vaut la peine », dit Christophe, 37 ans, employé d’une banque, qui vient d’accompagner le petit Eden à la Source de vie, cette autre école qui s’est spécialisée dans l’enseignement en deux langues.
En plus de l’usage de l’anglais dans ces écoles, certaines matières qui y sont dispensées et d’autres manuels utilisés ne figurent pas forcément dans le programme national. Pour sa part, le gouvernement congolais voit plutôt d’un bon œil la plupart de ces initiatives.
« La RDC est un grand pays avec une pression démographique énorme. Nous pensons qu’à l’ère de la mondialisation, seul le gouvernement n’arrive pas à remplir toutes ses responsabilités face à ses concitoyens qui ont des besoins qui dépassent parfois le programme ou la vision du gouvernement. Voilà pourquoi le gouvernement, comme beaucoup d’autres gouvernements, acceptent que les partenaires ouvrent leurs écoles dans notre pays. C’est également pour permettre à nos enfants d’être compétitifs et de poursuivre leurs études pour accueillir d’autres expériences ailleurs. Nous ne considérons pas cela comme une prolifération, nous pensons plutôt que ces écoles viennent à la rescousse du gouvernement. Nous pouvons encore souhaiter que beaucoup d’autres arrivent », déclare à ACTUALITE.CD Gaston Musemena, ministre de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnel (EPSP).
Pour lui, ces écoles apportent un plus dans le système éducatif congolais.
"Nous pensons que nous devons être compétitif. Ces programmes permettent aussi à nos enfants de poursuivre les études ailleurs. Nous ne pouvons pas rester fermés ", a-t-il ajouté.
Si la qualité de l’enseignement est souvent loué, le plus grand frein pour les parents moins nantis reste les frais à payer dans ces écoles. Et souvent, ce sont les jeunes parents, faisant partie de la classe moyenne naissante à Kinshasa, qui y envoient leurs enfants.
La trentaine entamée, Jeannot, par exemple, travaille pour une ONG internationale basée à Kinshasa. Sa fille de quatre ans est inscrite à une école créée par un Coréen. Ici, les parents peuvent payer jusqu’à 4000 dollars américains par an et par élève.
« Je n’ai pas le choix. Tous, nous souhaitons que nos enfants soient compétitifs. Je suis prêt à mettre la moitié de mon salaire ici pour que ma fille ait une bonne instruction », dit-il.
Pour le gouvernement, les prix fixés par ces écoles ne sont pas anormaux.
« Ce sont des écoles privées qui répondent à nos exigences. Les prix correspondent à ce qu’ils rendent comme service. Nous n’avons pas encore reçu des plaintes de la part des parents qui envoient leurs enfants dans ces écoles. Ceux qui ont les moyens d’emmener leurs enfants y vont sans problème. Souvent les études à l’étranger sont compétitives, ce n’est pas tout le monde », a expliqué le ministre Musemena.
Pour ce qui est de l’anglais, le gouvernement veut emboîter les pas à ces écoles.
« J’ai pris la décision d’ouvrir nos enseignements à toutes les langues, d’abord nos langues locales, le français, l’anglais et d’autres langues. Nous tolérons la multiplicité des langues dans notre pays. Le monde est devenu village planétaire. Nos enfants doivent être aptes à connaître d’autres langues. C’est plus enrichissant. C’est bénéfique pour le pays. L’anglais, c’est la langue des affaires. Nous pensons que dans les jours à venir notre pays va organiser de manière générale des enseignements en anglais et en français. Nous sommes en train d’expérimenter tout ça déjà. Cette année, l’anglais sera introduit en cinquième et sixième année primaire », explique Gaston Musemena.
Vous pouvez écouter l'interview avec le ministre Musemena ici.
Le tout se fait dans un contexte où les ménages financent plus de 75 % des dépenses courantes totales de l’éducation, et les questions financières sont considérées comme étant au cœur de la non-scolarisation et de la déscolarisation. Selon un rapport produit par l'UNESCO en 2014, après six années d’études, seuls 47 % des jeunes congolais sont alphabétisés (contre 59 % en moyenne dans les pays comparateurs). Ce qui poserait un problème de priorité entre l'éducation de base et l'ouverture au monde et à quel prix?
Cet article fait partie d’une série consacrée au système éducatif en Afrique francophone décrypté par onze médias en ligne africains. D’autres articles de la série seront publiés du 24 septembre au 5 octobre 2018 et seront à retrouvés ici.