Olivier Kamitatu, vice-président du G7 et proche collaborateur de Moise Katumbi, a adressé une lettre à Joseph Kabila. Dans cette correspondance, il demande notamment à Joseph Kabila qu’il ne se présentera pas à la prochaine présidentielle.
Kinshasa, le 18 décembre 2016
<strong>A son Excellence Monsieur Joseph Kabila</strong>
<strong>Président de la République Démocratique du Congo</strong>
<strong>A KINSHASA</strong>
Monsieur le Président de la République,
Aujourd’hui, à la veille de la fin de votre second et dernier mandat, j’ai pris la décision de m’adresser à vous pour vous dire que, comme une grande majorité de Congolais, je veux croire encore et toujours en votre volonté de sauver le pays d’une nouvelle tragédie dont il risque de ne pas se relever.
En dépit des menaces et des intimidations que certains de vos collaborateurs font peser sur tous les opposants, en tant qu’un des artisans du pacte républicain de Sun City et de la Constitution de 2006, il est de mon devoir de vous adresser cette lettre. Et s’il vous venait jamais de croire que des motivations cachées motivent ma démarche, détrompez-vous, Monsieur le Président de la République ! Seuls le sens et le service de l’Etat ainsi que la volonté, qui vous a également longtemps animé, de bâtir une grande Nation au cœur de l’Afrique, inspirent mon courrier.
Il y a près de 16 ans, vous avez accédé au pouvoir dans des conditions tragiques. Tout le monde s’en souvient encore. Le pays était déchiré par la guerre. Des millions de compatriotes y avaient perdu la vie. Des centaines de milliers de familles avaient dû quitter leur terre et leur foyer pour un exode incertain. Jamais dans l’histoire de notre Continent, Nation africaine n’avait vu sur son sol tant d’armées se battre les unes contre les autres, tant de victimes innocentes, tant de déchirures, de larmes et de souffrances.
Votre arrivée au pouvoir a suscité un grand espoir. Votre jeunesse et votre ouverture d’esprit ont ouvert la voie au rapprochement entre les filles et fils du pays. Vous avez renoué le fil du dialogue et consenti à favoriser la réconciliation. Avec humilité et sagesse, vous avez écouté la voix de la raison et vous avez accepté de laisser tomber les armes pour un partage du pouvoir avec tous vos adversaires. Dans un esprit de concorde et de réconciliation vous avez présidé la transition et conduit le pays aux premières élections démocratiques dans le pluralisme politique. Au cours de ces années, le processus démocratique a connu des avancées considérables. Des lois essentielles – l’amnistie, la nationalité, l’armée, etc. - ont été adoptées. Elles ont donné corps à un Congo démocratique et réconcilié. A la suite d’un référendum historique, le peuple congolais a adopté à une écrasante majorité une Constitution qui consacrait le retour de la paix, le nouvel ordre politique recherché par tous et une perspective d’avenir reposant sur une démocratie apaisée, le développement économique et la justice sociale.
Après avoir gagné les élections, dans un contexte difficile marqué par la menace des groupes armés nationaux et étrangers toujours présents sur le territoire national, vous avez engagé le pays dans la voie de la reconstruction. Vous avez remporté un second scrutin présidentiel malheureusement émaillé de contestations. Faute d’avoir pu rassembler autour de votre candidature la majorité absolue des Congolais, pendant quatre années, vous avez vainement tenté de reprendre le fil perdu du dialogue avec vos compatriotes. Si tout fut loin d’être parfait, loin de là, personne ne peut remettre en cause ce qui a été réalisé au cours des dix dernières années.
Dans quelques heures, approche la fin de votre second et dernier mandat constitutionnel. Les élections n’ont pas été organisées. Le peuple est plongé dans une grande incertitude et redoute le spectre du retour de l’instabilité et de la guerre. Pour avoir travaillé à vos côtés et vous avoir observé attentivement pendant de nombreuses années, je sais que vous êtes capable de justice et de courage. Je sais que vous avez sincèrement voulu le bien pour votre pays et que vous n’êtes pas le diable que certains qui ne vous connaissent pas ont parfois injustement dépeint. Par contre, je sais aussi que malheureusement trop d’extrémistes et de profiteurs autour de vous vous encouragent à emboîter les pas du Président Maréchal Mobutu pour vous installer au pouvoir sans limite et à n’importe quel prix.
Mes amis du G7 et moi avons vainement tenté de vous convaincre qu’il fallait couper court à toutes velléités de changer la Constitution dans le seul but de conserver le pouvoir. Nous nous sommes heurtés à une résistance farouche qui nous a fait comprendre que le sens de l’Etat et du bien commun avait définitivement déserté la majorité à laquelle nous appartenions. Dès lors que vous avez pris le parti de rompre avec le pacte républicain qui est le socle de notre jeune démocratie, notre rupture était inévitable ! Lors des premiers débats du dialogue inclusif sous les bons offices de la CENCO, nous nous sommes rendus compte que l’arrogance et l’entêtement qui sont l’apanage des esprits faibles conduisent certains de vos collaborateurs à oublier encore et toujours qu’on ne peut diriger longtemps le peuple congolais par défi. L’histoire récente de notre pays en témoigne !
Excellence Monsieur le Président, je ne peux donc croire un instant en tant que père de famille que vous soyez insensible au fait que des centaines de milliers de jeunes - qui n’auront commis pour seul crime que d’aimer leur pays et de défendre la dignité et la liberté du peuple congolais, la vôtre et la nôtre et celles de nos enfants – vont probablement faire face aux forces de l’ordre et que les plus déterminés rencontreront une mort indigne et cruelle.
Personne n’en a - jusqu’ici - appelé au soulèvement général et à votre destitution par la force de la volonté populaire. Mais si le 20 décembre prochain, des manifestants devaient perdre la vie, alors nous serons dans une nouvelle réalité où tous les responsables politiques devront s’assumer devant l’histoire.
Monsieur le Président, pendant les 48 prochaines heures, tout est encore possible. En disant clairement que vous ne serez pas candidat à la prochaine élection, quelles que soient les circonstances ou les contraintes légales, vous sortirez par la grande porte et épargnerez au peuple congolais de grandes souffrances. Si vous vous abstenez de dire que vous ne serez par candidat vous donnerez raison à ceux qui vous accusent d’avoir saboté sciemment le processus électoral. Et si tel devait être le cas, votre silence sera le plus éloquent témoin à charge dans le procès en crime de haute trahison qui vous sera dressé.
Ressaisissez-vous Monsieur le Président, l’irréparable n’a pas encore été commis. Pensez à vos enfants, à tous vos jeunes compatriotes qui s’opposent à la restauration de la dictature fut-elle éclairée comme vous l’avez jadis fait en combattant le régime de Kinshasa. Faute de quoi, tous nous souffrirons. Si vous gardez silence et assumez la responsabilité tacite de la répression qui paraît inévitable, vous deviendrez votre propre bourreau et vous vous condamnerez soit à l’exil, soit à un tribunal, soit à un destin plus funeste encore. Et cela, nous ne pouvons pas nous y résoudre ! Nous aspirons à une passation de pouvoir pacifique qui soit digne d’une grande Nation ayant vocation à retrouver sa place parmi les puissances continentales.
En tant qu’opposant notre devoir est de vous faire savoir toute notre indignation. Et nous le ferons en exhortant la population au calme mais en l’encourageant à manifester car elle est en droit de dénoncer ceux qui ont saboté le processus électoral ; elle est en droit de vous rappeler que vous avez failli à votre serment de respecter la Constitution ; elle est en droit d’exiger de récupérer son pouvoir à travers des élections crédibles à organiser dans les meilleurs délais. Aussi, permettez-moi, Monsieur le Président, de vous demander de façon solennelle d’instruire les forces de l’ordre de ne pas tuer les Congolais qui s’expriment pour réclamer leur droit et défendre leur liberté chèrement acquise conformément aux lois de notre pays.
Après avoir fait la guerre, je fais aujourd’hui partie de ceux qui peuvent dire que le droit chemin n’est ni dans la guerre civile, ni dans l’acceptation passive, il est dans le juste milieu d’une présence citoyenne exigeante et active. C’est à cette présence que je vous demande monsieur le Président de tendre l’oreille et d’accorder une réponse.
Je forme le vœu que ces mots n’auront été utiles qu’à raffermir un esprit déjà convaincu de leur justesse, je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de ma très haute considération
Olivier Kamitatu