<strong><em>Marcel Héritier Kapitene</em></strong><em> est analyste politique indépendant, militant pro-démocratie et activiste au sein du Mouvement Citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA). Il a été libéré de la prison centrale de Makala (Kinshasa) après y avoir passé plus de six mois pour avoir activement pris part à l’organisation de la journée ville-morte du 16 février 2016 appelant au respect de la constitution et à la convocation du corps électoral dans le délai.</em>
TRIBUNE
<strong> Les manifestations du 19 septembre 2016 à Kinshasa et ailleurs – pour lesquelles les forces politiques et sociales acquises à l’alternance démocratiques ont mobilisé – ont tourné en une insurrection meurtrière. Et par-dessus tout, il s’est bien agi d’une violence, qu’importe les défenses fournies par les oppresseurs et les opprimés. Entre-temps, le compte à rebours se poursuit : il n’y aura pas élections dans le délai constitutionnel, le dernier mandat de l’actuel chef de l’État et l’actuelle législature n’ont plus que quelques jours à compter, mais le pays est présumé continuer à exister. Faute d’une disposition constitutionnelle expresse en pareil cas, tout laisse penser à une croisée des chemins aux scenarios hybrides tels que vécu à ailleurs. À travers cette tribune, Marcel Héritier Kapitene revient sur les événements historiques, en étayant des éventuels aboutissements inspirés des expériences libyenne, haïtienne, centrafricaine et burkinabè.</strong>
La République Démocratique du Congo est confrontée à des graves défis démocratiques. La législature en cours expire le 20 décembre, coïncidant avec l’expiration du second mandat constitutionnel de l’actuel Chef de l’État. Soif de démocratie, bien sûr ; mais le prix à payer devrait être le plus pacifique possible. Il en va du devoir de toutes les forces politiques et sociales du pays de mobiliser et de s’investir avec tact, pour que le pays-contient ne sombre pas dans un chaos. Ce serait une catastrophe humanitaire à même de s’exporter sur toute l’Afrique centrale, orientale et australe. En plus, ce géant qui s’étant des grands-lacs à la mer, ne doit plus continuer à freiner l’émergence de l’Afrique, en s’engageant dans des crises sans merci, plotées et calqués sur des profils et égos personnels de certains des congolais.
Pendant que la mouvance Kabiliste multiplie des scenarios pour décrocher à tout prix un état d’urgence et forcer son plan de glissement et un éventuel troisième mandat – voir un mandat <em>ad vitam et æternam</em> pour l’actuel chef de l’État ; l’appel à une insurrection populaire semble piégé d’avance. Dans notre précédente <a href="https://actualite.cd/2016/09/06/dialogue-national-anatomie-dun-echec-pr…;, nous avions annoncé une probable confrontation et précisé qu’aucune force politique ou sociale ne détenait le monopole de la rue. Aujourd’hui, ces deux thèses semblent confirmées par les scènes macabres enregistrées à Kinshasa et dans d’autres villes à travers le pays, depuis les événements du 19 septembre dernier. Le dialogue politique en cours en pâtit déjà, tel qu’annoncé, avec des retraits en cascades des plusieurs courants politiques et sociaux qui n’y trouvent plus la substance à même de sauver la nation RDCongolaise confrontée à des graves défis démocratiques, sécuritaires et économiques.
<h1>Un come-back sur les années ‘90</h1>
L’opinion congolaise – à description sociologique plurielle – est incapable de se mettre sur la voie d’une insurrection populaire non ensanglantée. En appelant à des actions de rue, la classe politique congolaise – opposition et majorité confondues – est sur la voie de faire de la RDC, un espace ingouvernable, à l’instar de la Lybie post-Kadhafi.
L’effondrement du tissu économique né de la récente chute des cours des métaux et de la crise économique de 2008 sont une bombe en retardement dans le social congolais. Il suffit d’un moindre chamboulement politique pour qu’une hécatombe de pillage ébranle les âmes tentées par la facilité et à la vengeance. La classe politique congolaise est assurément en train de précipiter le RDC vers un chaos économique, social et humanitaire sans facile retournement.
Peut-on adjurer un peuple affamé de manifester pacifiquement ? Non ! Ce sera appeler au pillage et à la destruction méchante. Peut-on sommer une police militarisée et mal payée de sécuriser des manifestations pacifiques contre le régime en place ? Impossible ! Elle n’entendra qu’un petit heurt pour user de sa gâchette facile et voir pour piller.
Le pillage des années 1990, à la crise née de la période post-Conférence Nationale Souveraine devraient servir de leçon à l’opinion publique. En septembre 1991 et en janvier 1993 dans la capitale du Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), et dans les autres villes principales du pays, civils et hommes en armes ont pillé commerces et propriétés privés. Presque tous les domaines de la vie de Kinshasa avaient été gravement touchés par les pillages successifs ; tant sur le plan politique, économique et social. Les 23 et 24 septembre 1991, les militaires, non payés, suivi de civils, s’étaient mis à piller les magasins et les dépôts industriels. Le 25 septembre 1991, une intervention militaire belge et française de 1 700 hommes évacuait les étrangers. À la suite d'une crise politique et économique aiguë, des billets de 5 millions de zaïres avaient été produits et distribués aux militaires comme paie, mais ces billets avaient vite été refusés par les opérateurs économiques. Le 28 janvier 1993, des militaires furieux des Forces armées zaïroises (FAZ) pillaient la ville entière ; près de 2000 personnes sont tuées dont l’ambassadeur de la France Philippe Bernard.
En clair, c’est vers la reproduction de ces douloureux événements que le RDC est en train d’être menée, si rien n’est fait. Aujourd’hui, le pays est loin d’être sauvé des conséquences des pillages des années 90 ayant conduit à la faillite des plusieurs entreprises et la perte des nombreux emplois ; condamnant plus de la moitié des kinois et des congolais de la RDC à la débrouille.
<h1>Une jurisprudence burkino-haïtienne ?</h1>
La situation que traverse le Congo aujourd’hui n’est pas inédite : une Majorité présidentielle qui tente d’obtenir un mandat de plus pour son leader ; un chef d’État fin mandat et une législature qui expire sans que la centrale électorale ne convoque les électeurs pour d’éventuels scrutins, etc. En Haïti, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, etc., des solutions ont été trouvées, d’une manière ou d’une autre.
Aujourd’hui, il vaut la peine de fustiger et de condamner les revirements de l’appel aux manifestations pacifiques, les débordements policiers et les récupérations politiciennes de la lutte que mène le peuple congolais depuis toujours. Pour maintenir le président Kabila au pouvoir, la majorité est prête à faire tout et n’importe quoi. Mais aussi, pour obtenir son départ, le Rassemblement des Tshisekedistes-Katumbistes appellent à des manifestations qui se muent très vite en violence, bien que jouant simultanément plusieurs cartes. L’impression serait que le Rassemblement se cherche une transition sous le lead d’Etienne Tshisekedi et pour préparer l’élection de Moïse Katumbi à la présidence, dont Félix Tshisekedi serait premier ministre ou président de l’Assemblée Nationale.
On ne peut non plus se voiler les faces et se refuser d’admettre que toutes les institutions issues des élections du 28 novembre 2011 et celles de 2006 seront illégitimes et la bonne foi voudrait qu’elles soient réputées démissionnaires. Il sied ainsi de rappeler aux politiciens de l’opposition et de la majorité qui cherchent à boutiquer l’avenir du pays, pour satisfaire les égos de certains individus, qu’on ne peut forger une nation forte en la caricaturant sur les désirs personnels et les intérêts égoïstes.
Si le forum de la cité de l’Union Africaine à Kinshasa tenu sous forme de dialogue de légitimation est en train d’enregistrer des échecs patents et la logique de la rue expose le pays à des graves risques d’implosion, il vaut la peine d’envisager une rupture non ensanglantée. Le vrai dialogue – celui de la rupture – devrait être une priorité.
Avec ou sans violence, il y aura dialogue. La classe politique et sociale congolaise devrait privilégier alors le dialogue sans la violence, avant que le pays ne sombre. Il est encore possible d’obtenir le départ de Kabila dans un dialogue non partisan et n’envisageant pas une certaine légitimation, si toutes les tendances y vont. Il faudra songer à ce jour à la mise en place du comité préparatoire pour le dialogue de la rupture, qui n’a rien à voir avec celui de la cité de l’Union Africaine.
La classe politique, toutes tendances confondues, a trahi le pacte républicain. Ceux qui refusent de respecter la constitution, ceux qui demandent aux policiers de tirer sur les civils, ceux qui demandent aux civils de brûler vifs les policiers, ceux qui pillent les résidences et commerces privés et ceux qui appellent tacitement à la violence, etc., n’aiment pas ce pays. Il vaut la peine de les en empêcher.
Sur le respect de la constitution, on ne devrait pas se faire continuellement des cheveux blancs : dans la logique de la CENI, il est impossible d’avoir les élections dans le délai constitutionnel. Mais, il est aussi impossible d’avoir un soulèvement populaire chez des affamés sans qu’il y ait casse. Il reste tout aussi impossible pour le Rassemblement Tshisekediste-Katumbiste d’appeler à lui seul au soulèvement populaire. Il est béant d’essayer de croire que le peuple ignore qu’il est impossible d’avoir les élections dans le délai. Estimer qu’on peut avoir des élections dans le délai constitutionnel c’est essayer de croire que 15 millions des congolais nés entre 1994 et 1998 n’ont pas droit d’élire et d’être élus, faute de l’enrôlement de ceux dits « nouveaux majeurs » ; sauf la formule magique proposée par la LUCHA de coupler l’identification des électeurs à la tenue de l’élection présidentielle.
Même si, à la plus extrême impossibilité, le corps électoral est convoqué dans les 10 prochains jours (après le 21 septembre 2016), il est anachronique d’essayer de penser que le passage « civilisé » de pouvoir aurait lieu entre le 19 et 20 décembre 2016 dans ce sous-continent qu’est la RDC. Certaines erreurs, on est tenu de faire avec. La majorité a foutu le pays dans la merde, on est obligé de l’assumer. Le <em>citoyen</em> numéro un est incapable de décrisper la machine dont le blocage programmé est effectif depuis le fameux épisode du M23 dans le Kivu. Refuser de se le dire en face c’est antédiluvien.
Quant au mode de gestion du pays après le départ de Kabila et des toutes les autres institutions issues des élections de 2006 et de 2011, faute des dispositions constitutionnelles claires à propos, les jurisprudences burkinabè, centrafricaine et haïtienne serviraient de référence. Les Congolais appuyés par toute la communauté internationale devraient souligner la mise en place d’une courte transition ne dépassant pas une année (120 jours seraient idéals, comme le veut la constitution), à compter du 20 décembre 2016 et dont le lead pourrait être confié à la société civile. Toute personne désireuse de prendre part à cette gouvernance de transition devrait répondre à des critères très sélectifs et inspiré de la transition burkinabè. Il faudrait insister sur le fait que tout animateur d’une initiation de la transition devra se désengager du processus électoral et de tout mandat électif durant les deux prochaines législatures. Encore qu’il en va d’un sens aigu de patriotisme et de responsabilité, si tous les congolais, et surtout la classe politique estime qu’ils ont un pays à sauver et un cap vers l’émergence à maintenir.