Au-delà de la querelle politicienne qui divise le Chef de l’État et l’opposition politique sur la portée de l’article 217 de la Constitution, il y a une observation purement technique que j’ai personnellement faite depuis 2018 in tempore non suspecto (voir mon article publié dans les Mélanges dédiés au Professeur Auguste MAMPUYA KANUKA-TSHIABO à la page 930).
L’article 217 de la Constitution dispose que « La République Démocratique du Congo peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine. »
Cet article doit être reformulé, non dans le but de remettre en cause l’adhésion au principe de l’unité africaine (panafricanisme), mais simplement pour ressortir avec plus de clarté le mécanisme constitutionnel d’une intégration africaine et surtout pour poser un garde-fou dans ce processus qui met en mouvement la souveraineté nationale.
Sur le plan conceptuel, il faut très vite rappeler qu’en droit interne, l’article 5 de la Constitution du 18 février 2006 consacre la théorie de la souveraineté nationale, même si par la suite, il la fait reposer sur le peuple (le compromis). Tout en affirmant que la souveraineté appartient au peuple, cette disposition lui reconnaît l’attribut d’être nationale. Ce qui revient à dire que dans son essence, la souveraineté est perçue ici comme un « tout » « indivisible » et « imprescriptible » (voir notamment, les travaux de Jean BODIN au XVIème siècle et Sieyès au XVIIIème siècle). Cette consécration à l’article 5 de la Constitution signifie simplement que le droit constitutionnel congolais n’admet pas la conception d’une souveraineté qui serait émiettable, quantifiable et saucissonable au point d’être « partiellement » cédable. Évoquant l’hypothèse d’un « abandon partiel de souveraineté », l’article 217 de la Constitution entre alors en contradiction avec l’article 5 de la même Constitution.
Et même s’il fallait se projeter à l’échelle continentale, cette dernière formulation ne s’accommoderait toujours pas avec la vision positive de l’Union Africaine qui entend défendre la souveraineté des États africains telle qu’affirmée dans son acte constitutif (voir l’article 3 (b)). On ne peut pas prétendre protéger la souveraineté des États membres et en même temps, leur en prendre soi-même « une partie », c’est antinomique !
L’expression appropriée qui mettrait alors tout le monde d’accord, y compris les internationalistes, c’est plutôt celle de « transfert de compétence » ou d’« exercice en commun de certaines compétences ».
Sur le plan de la légistique au sens large, l’écriture constitutionnelle de l’article 217 ne peut plus aujourd’hui s’exprimer sans prendre en compte la réalité des guerres d’agression qui ont marqué notre pays ces trois dernières décennies ainsi que la psychose qu’elles ont créée au sein de la population à la suite des velléités suspectées d’une conspiration internationale et d’un discours mainte fois réitéré sur la Balkanisation du pays. Dans ce contexte typiquement congolais, contrairement aux autres États africains qui reprennent servilement la même formulation, l’idée d’un « abandon de souveraineté », même partiel, suscite ipso facto de la suspicion et de la méfiance dans le chef de la population congolaise. Point n’est besoin de rappeler que c’est dans le processus de création d’un nouvel État par association ou dissociation que s’est principalement manifesté le phénomène d’« abandon de souveraineté ». Ceux qui, pour couper court à la discussion, se contentent simplement de faire un renvoi à l’article 214 de la Constitution, doivent avoir et garder à l’esprit que la création d’un État est avant tout une question de fait, la procédure juridique n’intervient subséquemment que pour lui donner des béquilles (l’exemple du KOSOVO l’illustre bien).
Par conséquent, en vue d’apaiser et de rassurer la conscience nationale, il apparaît nécessaire d’assortir l’article 217 de la Constitution d’un garde-fou en y posant expressément un préalable en amont, à savoir le principe ou l’exigence d’une réciprocité.
Ainsi, l’article 217 de la Constitution devrait être réécrit de cette manière :
« Sous réserve de réciprocité, la République Démocratique du Congo peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant transfert ou exercice en commun de certaines compétences en vue de promouvoir l’unité africaine. »
Plutôt que de se livrer à un mimétisme servile en répétant comme des perroquets les dispositions de l’article 69 de la Constitution de 1967 ou celles correspondantes des constitutions sénégalaise, burkinabais, maliennes et autres, les acteurs politiques autant que les juristes congolais devraient engager ce débat avec des arguments plus solides puisés dans la théorie du droit.
A bon entendeur !
Maître Christian-Junior KABANGE NKONGOLO
Professeur à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa