Dans son livre, Yannick Mavita propose une approche visant à guider la RDC vers la réalisation d’une couverture sociale universelle

Livre « Cadre de référence international et système de sécurité sociale en RDC »
Livre « Cadre de référence international et système de sécurité sociale en RDC »

Dans le domaine de la sécurité sociale, la RDC a récemment enregistré un nouvel ouvrage. Le livre « Cadre de référence international et système de sécurité sociale en RDC » de Yannick Mavita Mukwanga propose une approche visant à guider le pays vers la réalisation d’une couverture sociale universelle, offrant à chaque individu de la population la possibilité de bénéficier de la protection sociale et de jouir pleinement de ce droit fondamental. L’auteur part d’un constat selon lequel depuis la déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, la sécurité sociale est considérée comme un droit humain auquel tout le monde devrait accéder. Mais sur le terrain, souligne-t-il, on est bien très loin de la réalité … « surtout dans les pays à revenu faible comme le nôtre ». 

Economiste et spécialiste en matière de sécurité sociale, Yannick Mavita pilote actuellement la direction technique de la Caisse nationale de sécurité sociale des agents publics de l’Etat de la RDC (CNSSAP). Il s’est confié à ACTUALITE.CD. Interview 

ACTUALITE.CD : D’emblée, que faut-il comprendre par cadre de référence international en matière de sécurité sociale ? 

Y.M: La sécurité sociale est un métier organisé et encadré par des textes au-delà de nos frontières nationales. L'Organisation internationale du Travail (OIT), première agence spécialisée des Nations Unies, propose plusieurs instruments devant permettre aux États membres, à l’instar de la RDC, de mieux organiser la sécurité sociale au niveau national. Notre étude s’est attardée sur les deux outils considérés dans la littérature comme fondamentaux. Il s’agit de la convention 102 de l’OIT de 1952 (C102) sur les normes minimales de la sécurité sociale et la recommandation 202 de l’OIT de 2012 (R202) sur les socles de la protection sociale. En simple, partant du cycle de la vie humaine, la C102 détermine les neuf risques sociaux auxquels il y a nécessité d'organiser la couverture pour les personnes, en précisant des minima à respecter. Quant à la R202, elle insiste sur les bases sociales (socles nationaux) que les États membres devraient garantir avant tout à chaque personne, en retenant les services de santé essentiels et la sécurité minimale du revenu. La C102 et la R202 forment dans le cadre de cet ouvrage « le cadre de référence international » en matière de sécurité sociale.

A ce jour, en tant qu’expert, quel état des lieux faites-vous du système de la sécurité sociale en RDC ? 

Il faut noter que l’hypothèse de départ de notre étude est l’universalité de la sécurité sociale, tout en considérant qu’il s’agit d’un droit humain. En RDC, les principales Caisses de sécurité sociale fonctionnelles couvrent environ 2 millions d’assurés. Ce chiffre rapporté au nombre de la population congolaise (près de 100 millions d’habitants, selon les statistiques de 2021), on peut constater qu’il y a encore des efforts à fournir dans ce secteur. Ce déficit important dans ce secteur s’explique surtout par la taille importante de l’informel dans notre économie. Une bonne politique sociale de l’informel permettrait de réduire significativement ce déficit social. Plus loin, cet ouvrage a proposé une démarche pour la politique sociale du secteur informel en RDC.

Toutefois, il y a lieu de saluer certaines réformes sociales entreprises au cours de ces 10 dernières années à travers notamment la loi 16/009 du 15 juillet 2016 fixant les règles relatives au régime général de la sécurité sociale, la loi 22/031 du 15 juillet 2022 portant régime spécial de sécurité sociale des agents publics de l’État et l’Ordonnance-loi 23/006 du 03 mars 2023 modifiant et complétant la Loi 18/035 du 13 décembre 2018 fixant les principes fondamentaux relatifs à l’organisation de la santé publique (qui institue la couverture santé universelle, un pilier majeur dans la démarche vers la couverture sociale universelle).

Le 4e chapitre de l’ouvrage propose un certain nombre de mesures pour garantir à la RDC le droit à la sécurité sociale pour l’ensemble de sa population. Ces mesures, vous les présentez sous forme de démarches. Et les démarches n°6 et 8 consistent respectivement à modifier le programme scolaire en intégrant des cours obligatoires en lien avec la sécurité sociale et de créer l’Inspection Générale de la sécurité sociale. Comment et en quoi, d’après vous, chacune de ces deux mesures peut-elle contribuer à garantir le droit à la sécurité sociale en RDC ? 

La méthodologie choisie dans cet ouvrage est celle de proposer des mesures concrètes. De mon expérience dans ce domaine de sécurité sociale en RDC, j’ai véritablement compris qu’il y a un vrai souci d’élever le niveau de notre débat national sur cette question. D’où la nécessité d’intégrer la sécurité sociale dans le programme scolaire et/ou académique afin de permettre à l’ensemble de la population d’avoir une idée globale et claire sur la sécurité sociale.

S’agissant de la création de l’Inspection Générale de la sécurité sociale, mon souci est surtout la mise en place d’un régulateur, d’une structure d’assistance technique, de production des statistiques dans ce domaine. Ceci permet à notre pays d’avoir une coordination de toutes les structures nationales de sécurité sociale.

A

Dans l’ouvrage, vous insistez sur les réformes sociales de l’informel. C’est quoi concrètement votre démarche ?

Considérant la complexité de l’informel, cet ouvrage propose la mise en place d’une confédération des acteurs du secteur informel afin de disposer d’un interlocuteur unique dans le cadre du dialogue social. Il s’agit dans un premier temps de regrouper ces acteurs en fédération selon la nature d’activité et ces fédérations formeront une confédération par la suite.

L’ouvrage propose également la mise en place d’une politique de monotaxe afin de faciliter le recouvrement des cotisations sociales dans ce secteur. Cette politique de monotaxe est à mettre en place en collaboration avec les services mobilisateurs des recettes publiques dans notre pays. Le plus grand défi sera la numérisation (informatisation) de cette politique.

Étant donné que la démarche est celle de l’universalité sociale, quid des personnes vulnérables, sans revenus à la base pour cotiser au système de sécurité sociale ?

L’Ordonnance-loi sus évoquée institue déjà le régime des personnes vulnérables pour les questions de santé. C’est une première démarche. En ce qui concerne mon ouvrage, il était question de trouver plutôt des mécanismes de financement du régime des vulnérables non seulement pour la santé mais aussi pour l’assurance du revenu minimum. La littérature récente en matière de sécurité sociale insiste sur les financements innovants, entre autres la mise en place des fonds spéciaux se basant sur des ressources naturelles. Il revient donc à chaque pays de proposer un fonds spécial selon ses ressources naturelles prioritaires. Étant donné qu’il existe déjà un fonds minier en RDC, cet ouvrage propose d’intégrer une quotité de sécurité sociale dans la répartition de ce fonds. Cette quotité devrait permettre le financement de la sécurité sociale des personnes vulnérables.

Votre ouvrage est préfacé par le VPM Jean-Pierre Lihau et post facé par Junior Mata, DG de la CNSSAP : deux personnalités très proches de votre thématique. C’est aussi ça qui a naturellement guidé votre choix ? 

Effectivement. Le VPM Lihau a toujours été convaincu que la résolution de l’équation du social congolais en général et des agents publics en particulier devrait passer par la mise en place d’une politique sociale efficace. Le DG Junior Mata a insisté dans son postface sur l’optimisation de la gestion de la sécurité sociale par des outils efficaces. C’est un véritable privilège et surtout l’expression de la grandeur de leur part. De toute évidence, les démarches sont des portions magiques pour la réalisation de la couverture sociale en RDC. Ce sont de véritables réflexions que les décideurs politiques et administratifs devraient en principe exploiter pour aider notre pays à aller vers la couverture sociale universelle.

Propos recueillis par Japhet Toko