Campagne de vaccination contre la Covid-19, affaire Willy Bakonga, critiques à propos de la vidéo d'Aminata Namasiya, massacres, nuits blanches et manifestations à l’Est, … la semaine qui s’achève a été riche en évènements. Ce 24 avril, Gabriela Mwimba, co-fondatrice du Réseau des Dames Enarques et juriste de formation passe en revue l'actualité de la semaine pour le Desk femme d'Actualité.cd
Bonjour Madame Gabriela Mwimba et merci d’avoir accepté de nous accorder de votre temps. La semaine qui s’achève a débuté avec le lancement de la campagne de vaccination contre la Covid-19 en RDC. À Kinshasa principalement, beaucoup de personnes hésitent encore à se faire vacciner. Qu’en pensez-vous ?
Gabriela Mwimba : l'hésitation de la population me semble justifiée dès lors que le vaccin Astra Zeneca a suscité beaucoup de controverses dans les pays qui ont commencé à l’utiliser pour leur campagne de vaccination. D'ailleurs, la RDC avait aussi repoussé la date du début de vaccination suite à ces allégations. Il est certes vrai que les bénéfices énormes de ce vaccin par rapport à ses risques minimes ont été mis en exergue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Agence européenne des médicaments mais il reste une nécessité, que cette campagne de vaccination soit accompagnée d'une bonne communication. Le fait que les hautes autorités (Chef de l'Etat, Président de l'Assemblée nationale, Président du Sénat, les deux premiers ministres sortant et entrant...) du pays n'aient pas participé à cette vaccination inaugurale à l'UNIKIN renforce davantage le scepticisme des citoyens. Et l'on devrait remédier à cette situation car en temps de crise il est important que l'exemple vienne des leaders. L'on s'interroge tout de même si la RDC ne devrait pas suspendre la vaccination à l'AstraZeneca en vertu du principe de précaution dont s'est prévalu le Danemark.
Selon vous, en dehors du vaccin, quels autres domaines nécessitent d'être renforcés dans la riposte contre cette pandémie ?
Gabriela Mwimba : dans la mesure où le vaccin n'a pas encore fait ses preuves en construisant une immunité collective, les autorités devraient éviter de se focaliser uniquement sur la vaccination en délaissant les autres domaines qui permettraient de lutter contre la Covid. A mon sens, il faudrait que la sensibilisation reste permanente pour le respect des gestes barrières dans les milieux publics. Cette crise sanitaire s'est aussi accompagnée d'une crise sociale et économique en mettant en évidence les faiblesses de nos systèmes de santé et constructions économiques. Le gouvernement devrait s'impliquer donc dans la réduction des effets néfastes de la Covid sur notre économie. En effet, comme vous le savez cette pandémie a entraîné la hausse des prix sur les marchés et l'Etat devrait non seulement accroître sa régulation dans ce secteur mais aussi voir dans quelle mesure nous pouvons produire les produits alimentaires sur place afin d'éviter cette crise alimentaire qui ne cesse de s'accroître dans le pays. Du point de vue de la recherche scientifique, l'État devrait allouer une part importante du budget à ce secteur afin de pouvoir apporter des solutions locales aux problèmes de santé qui se posent et promouvoir les éminents chercheurs congolais.
Mardi 20 avril, le premier ministre Sama Lukonde a déposé le programme de son gouvernement à l’Assemblée Nationale. Programme qui nécessite d'être rectifié car, il comporte la conclusion du Chef de l'État. Selon les élus nationaux, ce dernier n'est point redevable à cette institution. Selon vous, qu'est-ce qui aurait motivé l'insertion de cette conclusion ? Le programme, devrait-il nécessairement être rectifié ?
Gabriela Mwimba : c'est extrêmement grave que le Président ait été inséré dans la conclusion de ce programme du Gouvernement car d'abord, il n'en est pas membre. Ensuite, il est irresponsable devant le parlement du moins politiquement. Toutefois, il faut nuancer ceci car le Chef de l'Etat est le Chef de l'exécutif et c'est à ce titre d'ailleurs qu'il préside le conseil des ministres et ce programme est défini en concertation avec lui. Cela peut être la justification de son insertion dans la conclusion mais j'estime qu'il pouvait juste préfacer ledit programme. Il a été rapporté que l'investiture du gouvernement est retardée par cette rectification mais je pense que les élus ne devraient pas tant s'attarder sur cette question de forme mais examiner le fond du programme afin de voir comment le futur Gouvernement compte œuvrer pour l'intérêt du peuple. On ne peut pas continuer à perdre du temps sur la forme pendant que le peuple attend l'amélioration de ses conditions de vie. Nous espérons que cette demande de rectification n'est pas un prétexte pour refuser l'investiture du Gouvernement. Car, depuis hier le premier ministre Sama Lukonde a débuté les consultations avec les députés nationaux selon leurs caucus pour tenter de calmer les mécontents au sein de l'Union sacrée de la Nation. Les députés nationaux devraient privilégier l'intérêt de leurs électeurs et non leur positionnement personnel.
Au cours de cette semaine également, le ministre sortant de l’EPST (Willy Bakonga) a été arrêté au Congo Brazzaville, pendant qu'il tentait de joindre la France. Cette situation intervient alors qu’un procès qui remet en cause sa gestion dans ce secteur est encore en cours en RDC. Comment la justice congolaise devrait-elle agir dans ce dossier ?
Gabriela Mwimba : la justice congolaise doit rester professionnelle c'est-à-dire être guidée par la loi et seulement la loi. Elle devra le juger dans le respect de ses droits de la défense et surtout en ne considérant pas que le Ministre Bakonga est déjà coupable car la présomption d'innocence est garantie même si sa fuite pourrait être retenue comme une circonstance aggravante dans une certaine mesure. Il faudrait que la justice tienne compte des critiques qui lui ont été adressées dans les procès dit des 100 jours afin que les condamnés dans les prochains procès de ce genre ne se victimisent pas en parlant d'acharnement politico-judiciaire.
Le même ministre a écrit au bureau du Sénat pour solliciter sa réintégration, alors que visiblement, il aurait choisi de siéger à la chambre basse et céder son poste du Sénat à un membre de sa famille. Quelles sont vos attentes en matière juridique par rapport à ce dossier ?
Gabriela Mwimba : juridiquement, il me semble que le Ministre avait perdu son siège au Sénat en acceptant le mandat du député national qui est incompatible avec celui de Sénateur conformément à l'article 110 de la constitution et 212 du règlement intérieur du Sénat. La décision du Sénat de prendre acte de sa lettre n'est pas conforme à ses dispositions et la réponse du Président du sénat à la réaction du Sénateur Bakonga Reagan était totalement déplacée. Il faudra que ce dernier saisisse la Cour constitutionnelle. En fait, ce dossier soulève la question de la suppléance des candidats par les membres de leurs familles. La loi devrait interdire ceci dans le cadre de la moralisation de la vie politique.
Dans le même secteur de l'enseignement, une vidéo postée sur les réseaux sociaux d'Aminata Namasiya, nommée Vice-ministre au sein du gouvernement Sama Lukonde a reçu de nombreuses critiques à propos notamment de sa diction, la syntaxe et la cohérence de ses idées. Personnellement, comment avez-vous perçu cette situation ?
Gabriela Mwimba : je ne m'attarde pas trop sur la diction bien qu'elle soit importante pour faire passer un message, car je sais qu'elle est fonction de plusieurs facteurs dont l'origine culturelle et les interférences linguistiques. Mais sur la syntaxe et la cohérence, là je dois être intraitable avec une personne qui détient une licence sachant que le français est notre langue d'enseignement. Une personne qui a ce niveau d'études, devrait être capable de s'exprimer correctement et d'agencer de manière cohérente ses idées et arguments en français. Pour autant, nous devons apprendre à ne pas trop tirer sur les gens dans le sens négatif uniquement. Il faut lui accorder la chance de voir, de manière pratique, ce qu'elle peut faire car je suppose qu'elle s'exprimerait peut-être de manière cohérente et aisée dans une de nos langues nationales. Le français est, certes, notre langue officielle et de travail mais il y a lieu de privilégier dans certaines circonstances nos langues nationales. Cela dit, elle est priée de fournir des efforts pour maîtriser correctement la langue officielle. Elle devrait donc prendre ces critiques non pas pour des attaques personnelles mais bien pour des appels à s'améliorer.
On se rappellera aussi qu'une femme, Cheffe d'agence adjoint de la Société Nationale d'assurance (SONAS) Lubumbashi, avait reçu des critiques sévères dans une vidéo identique, postée sur les réseaux sociaux. Finalement, l'expression française devient-elle un élément de base pour juger de la compétence d'une personne ?
Gabriela Mwimba : comme je viens de le dire plus haut, la langue française n'est pas un indicateur pour juger de la compétence d’une personne mais quand on détient une licence on doit quand même maîtriser la langue française en RDC car c'est la langue d'enseignement. Sinon, comment a-t-on obtenu ses diplômes sans maîtriser la langue d'enseignement ? Je condamne seulement cet acharnement sur les femmes. Généralement, il y a beaucoup d'hommes aussi qui sont dans le même cas mais cela passe souvent inaperçu comme si c'était normal.
Au regard de ces actes, ceux de Willy Bakonga et Aminata Namasiya, quelles sont les réformes qui nécessitent d'être opérées dans le secteur de l'enseignement en RDC ?
Gabriela Mwimba : je pense qu'il faut renforcer l'éducation civique et morale d'une part, et d'autre part, revoir quelque peu notre programme d’enseignement en privilégiant l'apprentissage non seulement des langues étrangères autres que le français mais aussi des langues nationales. En effet, à ce jour, l'anglais devient de plus en plus la langue parlée presque partout dans le monde et c'est dommage qu'il soit enseigné très tard dans nos écoles. L'éthique et le sens du bien commun doivent être renforcés dès les premières années de formation pour espérer lutter contre la corruption et le détournement dans notre société.
A l’Est, des massacres se sont enchaînés au cours de cette semaine, entraînant la décision du caucus des députés élus de cette région de s'auto exclure des plénières. Ils ont également rédigé un mémorandum à l'intention du Chef de l'État. Que pensez-vous de leur décision et que devrait faire le Chef de l'État à ce sujet ?
Gabriela Mwimba : pour la position des députés nationaux de l'Est, l'initiative n'est pas mauvaise car elle permet d'accroître la pression sur les autorités politiques et sécuritaires pour résoudre ce problème. Mais il faudrait qu'ils retournent à l'Assemblée nationale pour investir le nouveau gouvernement afin de lui permettre de s'occuper de cette situation. Le Chef de l'Etat devrait accomplir sa promesse de s'installer à Beni comme cela est réclamé par la population. Cela permettra d'abord de rétablir la confiance entre les dirigeants et les dirigés car si la méfiance s'installe et demeure il sera difficile que le peuple collabore aux efforts de rétablissement de la paix. Il faut rétablir rapidement la confiance. Le peuple doit voir au-delà des promesses et discours que leur souffrance tient vraiment les dirigeants à cœur.
Hier, une manifestation des femmes pour exiger le retour de la paix et le départ de la Monusco a été réprimée à Beni. Les éléments de la police ont tiré à balles réelles pour disperser les femmes et empêcher l'aboutissement de leurs actions. Dans l'une des vidéos portant sur le même sujet, on peut voir un haut gradé de la police parler sévèrement à une manifestante. La politique de répression des manifestations en RDC, qu'en pensez-vous ?
Gabriela Mwimba : je condamne les dérapages de notre police qui a réprimé violemment la marche pacifique des femmes de Béni réclamant la paix. Cela est inadmissible qu'une population meurtrie par les terroristes soit également maltraitée par les forces républicaines qui doivent, en principe, rétablir la paix. Il faut des sanctions exemplaires contre ces policiers car la liberté de manifester est garantie. Il est inadmissible que ceux qui doivent protéger soient ceux qui tuent ou brutalisent la population. L'Etat doit cesser d'être le bourreau des droits de l'homme en RDC.
Le même vendredi 23, avait été décrété jour de deuil national par Félix Tshisekedi, en mémoire du Chef de l'État tchadien Idriss Deby, décédé au cours de cette semaine. Que représente cela pour vous ?
Gabriela Mwimba : cela est en contraste avec les réalités du pays car depuis que la population est massacrée à Béni il n'y a jamais eu de deuil national. Il faut éviter de donner l'impression de faire bonne figure à l'étranger au détriment de son pays. Toutefois, le discours du Président Tshisekedi aux obsèques de Idriss Deby est à saluer dans la mesure où il demande une transition pacifique et inclusive conformément aux textes. C'est l'attitude que l'Union africaine devrait avoir pour faciliter la démocratie sur le continent.
Entre-temps, le Chef de l'Etat a annoncé l'arrivée des troupes kényanes en appui aux Forces armées congolaises. Pensez-vous que cela contribuerait au retour de la paix à l'Est ?
Gabriela Mwimba : elles ne seront pas les premières à être sur le terrain en RDC. La Monusco est ici depuis plus de 20 ans mais les massacres continuent. Il y a eu Artémis en Ituri en 2003 mais aujourd'hui les massacres s'y poursuivent toujours. La solution c'est au niveau interne avec la motivation suffisante de notre armée. Car, les troupes étrangères viendront aussi avec d'autres agendas propres pour leur pays comme l'exploitation minière. Aussi, l'entrée des troupes étrangères dans un cadre autre que celui des Nations unies comme c'était le cas pour la brigade d'intervention avec la Tanzanie, nécessitera l'autorisation de l'Assemblée nationale sinon on sera dans l'hypothèse de 2009 avec l'entrée des troupes rwandaises sur le sol congolais.
Au niveau de l'Union Africaine, le Chef de l'Etat a été sollicité en tant que médiateur pour les conflits en Somalie. Que représente cette demande pour vous ?
Gabriela Mwimba : cette demande est normale au regard des fonctions qu'il exerce au sein de l'Union africaine et cela rentre, je crois, dans le cadre de ses attributions. Récemment, il venait de mener de bons offices également dans le cadre du conflit du barrage sur le Nil entre l'Égypte, le Soudan et l'Éthiopie. Nous souhaitons que son implication en Somalie se solde avec plus de résultats contrairement à ce mini-sommet sur le Nil qui n'a rien apporté comme avancée au conflit.
Le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi a également appelé la communauté internationale à intensifier son soutien et sa solidarité envers la RDC, qui devient le centre des réfugiés en Afrique. C'était à l'issue d'une visite de trois jours effectuée dans le pays. Que pensez-vous de cet appel ?
Gabriela Mwimba : la RDC est d'une hospitalité légendaire. Il faut éviter que cette hospitalité demeure la cause de son malheur. Depuis 1994, nous avons accueilli les Hutus rwandais sur notre territoire à la demande d'une partie de la communauté internationale et maintenant que ceux-ci se sont retournés contre nos populations qui les avaient accueillis, il faudrait effectivement que cette communauté internationale se montre solidaire avec nous en nous aidant d'abord à résoudre cette crise de tous les groupes armés étrangers qui terrorisent nos concitoyens à l'Est et ensuite, nous aider à bien encadrer les nouveaux réfugiés qui ne cessent d'atterrir sur notre sol. Évidemment, les autorités congolaises devraient rester en alerte avec un plan cohérent de gestion de ces questions de réfugiés dans notre pays pour résoudre à son niveau les problèmes existants et en prévenir des nouveaux.
Un dernier mot ?
Gabriela Mwimba : notre pays est dans une situation d'extrême urgence dans plusieurs domaines surtout sécuritaire et alimentaire. Nous n’avons pas de temps à perdre. Il faut que le Gouvernement soit investi en début de semaine prochaine et que les remises et reprises aient lieu la même semaine même afin que "Kisalu me banda" promis par le Président de la République commence réellement.
Propos recueillis par Prisca Lokale