RDC : l'actualité de la semaine, vue par Nadine Bakari Saidi

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De la publication du gouvernement Sama Lukonde à la rencontre entre Bintou Keita et les femmes à Kinshasa, en passant par une table ronde sur la RDC à l'ère du digital, la semaine qui s'achève a été riche au niveau de l'actualité. Docteur en médecine, experte en gestion des conflits et stratégies militaires, entrepreneure et présidente d'une équipe de Football, Nadine Bakari Saidi revient sur les faits marquants de la semaine.

Bonjour Madame Nadine Bakari et merci de nous accorder cet entretien. La semaine a débuté avec la publication du gouvernement Sama Lukonde, après deux mois d’attente. Comment avez-vous accueilli la nouvelle de sa composition ? 

Nadine Bakari : Bonjour DeskFemme ! C'est avec un grand plaisir que je réponds à vos questions. Le nouveau gouvernement est un soulagement pour la gestion de l'Etat. Beaucoup d'affaires étaient restées en suspens parce que ce gouvernement n'avait pas encore été formé. Aussi, l'accusation ou la responsabilité du Front Commun pour le Congo (FCC) quant au non fonctionnement optimal du gouvernement sous la coalition FCC-CACH ne sera plus d'actualité. Et donc, nous attendons du président de la République, que son gouvernement, uniquement formé avec des alliés de son choix, puisse fonctionner et faire ses preuves. 

Pour la toute première fois, la RDC aligne 27% de femmes au sein d’un gouvernement central, bien que le Chef de l’Etat avait promis 30% de postes. Quel est votre point de vue par rapport à cette représentativité des femmes ? 

Nadine Bakari : je pense qu'il est bon d'être reconnaissant envers le président de la République pour avoir essayé au moins, d'inclure plus de femmes et de battre le record de la RDC, à savoir 27% de femmes au sein du gouvernement central. Toutefois, je ne considère pas en fait que l'inclusion féminine dans la gestion des institutions de l'État ou la représentativité au niveau du gouvernement est supposée se jauger en termes de pourcentage. On serait donc plus allé sur un choix fondé sur des compétences, qui pourrait amener un gouvernement inclusif avec 45 pourquoi pas 50 ou 65 % de femmes au gouvernement central et ne pas se fier au 27% qui sont déjà un pas, une évolution mais qui enferme les femmes dans une bulle. N'oublions pas en fait que 27 ou 30%, veut quand même dire qu'il y a 73 ou 70% de chances que ce soit un homme qui soit nommé ou sélectionné dans une institution à valeur égale. C'est plutôt ceci qui est supposé nous révolter plutôt que de nous sentir satisfait par une inclusion de 27%.

Et quelles sont vos recommandations vis-à-vis de ce gouvernement ? 

Nadine Bakari : je souhaite que ce gouvernement puisse fournir à la population, la gestion des affaires publiques de façon honnête et dans le but de rendre sa gestion profitable à la population et pas seulement aux membres dudit gouvernement. De pouvoir défendre beaucoup moins leurs partis et appartenance politique mais plutôt les intérêts du peuple, c'est très important. Mais aussi de penser à inclure la jeunesse dans les activités, dans la prise des décisions,. Somme toute, être plus ouvert à la jeunesse et aux initiatives des femmes.

Entre-temps, certains membres de l’Union sacrée pour la Nation ne sont pas satisfaits par la composition du gouvernement. Ils veulent notamment que ce gouvernement soit « réaménagé ». Qu’en pensez-vous ? 

 Nadine Bakari : je pense que l'homme est un éternel insatisfait. On ne changera pas sa nature parce qu'il est membre de l'Union sacrée pour la nation. Cela n'a donc rien d'étonnant du fait que certaines personnes ne se sentent pas satisfaites ou comblées par le choix et la composition du gouvernement Sama Lukonde. Toutefois, je les appelle à l'observation et à essayer de donner la chance aux candidatures sélectionnées et retenues pour gérer les affaires publiques. Il faut de la patience et de l'observation.

Une table ronde ayant pour thème, « La RDC à l’ère du digital » s’est tenue à Kinshasa du mardi 13 avril au mercredi 14. Aussi, dans le gouvernement, un nouveau ministère dédié au numérique a été créé. A ce jour, quels sont selon vous, les défis que rencontre la RDC dans ce secteur et comment y remédier ? 

Nadine Bakari : il est sûr que le président de la République ainsi que de nombreux penseurs ont compris que nous étions à l'ère du digital et qu'il fallait absolument que la RDC puisse digitaliser son fonctionnement. Qu'elle puisse créer des banques de données qui servent de solution palliative à la conservation sur papier. Les défis proprement dits quant à ce, c'est premièrement le manque d'électricité (elle n'est pas pérenne et ne se retrouve pas partout). On ne va alors pas essayer de digitaliser la commune de la Gombe et laisser d'autres quartiers de Kinshasa, laisser d'autres entités territoriales et provinciales dans toute la RDC. Bien qu'il faille partir d'un point. Il faudrait vraiment travailler sur l'accès à l'électricité, mettre en place une politique d'électrification de la RDC. Le deuxième point, c'est la disponibilité des techniciens qui maîtrisent les procédés de digitalisation. Il existe aujourd'hui des très nombreuses formations congolaises, des très bons éléments, très bons étudiants issus de toutes ces formations autour de l'informatique et du digital. Aussi, la formation en elle-même paraît insuffisante par rapport à l'actualité de l'ère du digital. Il y a certaines hautes technologies qui ne sont pas encore arrivées en RDC mais qui sont déjà disponibles dans les pays voisins. C'est aussi un défi.

En Sports, Félix Tshisekedi a lancé, en début du mois d’avril, les travaux de réhabilitation et d'aménagement des sites devant abriter la 9ème édition des Jeux de la Francophonie, prévue à Kinshasa, du 19 au 28 août 2021. Étant donné que vous évolué également dans le domaine sportif, quels sont selon vous, les défis à relever dans ce secteur en RDC et vos recommandations au nouveau ministre des sports en faveur du football féminin ?

Nadine Bakari : par rapport à ce domaine, les défis à relever sont premièrement les infrastructures. Le feu président Mobutu a laissé des infrastructures favorables qui n'ont malheureusement pas été bien exploitées ni rénovées de façon générale. Le contact du jeune congolais avec le sport, pas seulement dans les rues, mais dans les bonnes infrastructures n'est pas très facile. Deuxièmement, c'est le budget alloué au domaine du sport. On se rend compte que les sports ne sont pas la priorité du gouvernement. Mais ce que ce dernier pourrait faire, c'est intégrer les sports comme parties prenantes dans l'éducation des enfants. En Chine par exemple, les sports sont utilisés comme une adoration communautaire et aident au développement de l'humain. Il faudra que le gouvernement reconsidère les sports d'application de façon universelle, au niveau des écoles, des initiatives privées. Le plaidoyer que je lancerai à l'égard de l'actuel ministre des sports, c'est de pouvoir aider la Fecofa à promouvoir le football féminin, à donner la chance aux équipes de football de pouvoir avoir des championnats, surtout qu'il n'existe pas des ligues de football féminin. Il y a aussi la Coupe du Congo qui représente un championnat entre différentes équipes de football provinciales de la RDC, mais il faut vraiment donner un coup de pouce à ce secteur. Il faut également penser à valoriser les athlètes femmes.

Bintou Keita, la nouvelle Cheffe de la Monusco a été reçue par les organisations des femmes (politique, société civile, Administration, Economie et autres) ce vendredi 16 avril. Elle a, au cours de cette cérémonie, promis aux femmes de les accompagner dans la lutte pour la promotion des droits des femmes. Personnellement, qu’espérez-vous de son mandat en RDC ? 

Nadine Bakari :j'espère vraiment que la présence de Madame Bintou Keita, qui est actuellement la Cheffe de la Monusco puisse être un message fort à nos institutions afin de pouvoir encore plus ouvrir les portes de la représentation féminine dans les postes de décisions étant donné que leur homologue Représentante spéciale du SG de l’ONU est une femme. J'espère qu'elle puisse aussi inspirer les femmes, les jeunes filles qui parfois manquent de rôle modèle, et qui diront nous avons Mme Bintou Keita, noire comme nous, africaine comme nous, qui représente la Monusco en RDC. J'espère vraiment qu'elle puisse inspirer toute cette génération. J'espère aussi que la politique de son mandat soit africaine, malgré les différentes orientations politiques des Nations Unies. Qu'elle soit une politique profitable aux Africains. J'espère finalement qu'elle tiendra sa promesse du vendredi 16 avril devant les organisations des femmes, de les accompagner dans la promotion de leurs droits, c'est très important parce que de façon parfois insidieuse et inconsciente, les droits des femmes sont totalement bafoués en RDC. C'est bien d'avoir une autorité de plus qui s'implique dans la promotion de ces droits.

La question sur le départ des troupes de la Monusco persiste. Au cours de cette semaine, des manifestations ont eu lieu à Goma. Quelles stratégies mettre en place pour rassurer la population de cette partie du pays ? 

Nadine Bakari : nous pouvons premièrement mettre en place des cellules de conseil de crises étatiques pour que la population comprenne et ressente l'implication du gouvernement par rapport à son sort. Ces cellules devraient être mises en place et organiser des descentes notamment à l'Est afin de pouvoir recueillir le plaidoyer de la population et le remonter de façon officielle auprès du président de la République et de son gouvernement. Une autre stratégie serait de pouvoir déplacer l'état-major général à Goma avec les officiers afin de pouvoir considérer le Nord et Sud-Kivu comme zone rouge, zone de crise et pouvoir gérer la situation sécuritaire de proximité. Je pense que cela pourra permettre à la population d'être un peu plus rassurée.

Vous évoquez des cellules de crises qui puissent avoir pour mission, la descente dans l'Est, mener éventuellement des enquêtes et ramener officiellement le plaidoyer auprès du Chef de l'État et de son gouvernement. Mais récemment, l'assemblée nationale a adopté la création et la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire sur la même situation. N'est-ce pas là même chose ? Faudrait-il nécessairement d'autres cellules ?

Nadine Bakari : la cellule dont je parle n'est pas égale à une commission parlementaire. Il s'agit bien-sûr d'une cellule qui œuvre dans la gestion des conflits à proprement parler. Dans l'écoute, la retransmission des problèmes plutôt qu'une commission parlementaire avec des députés qui sont expérimentés par exemple en gestion des conflits.

Concernant la promesse du Chef de l’Etat de s’installer à l’Est, une délégation composée des femmes, des jeunes et des rescapés des attaques ADF séjourne depuis environ 10 jours à Kinshasa. Reçu par le Chef de l’Etat le jeudi, 15 avril, il a de nouveau réaffirmé sa promesse de s’y installer. Selon vous, en quoi la présence du Chef de l’Etat à l’Est pourrait contribuer à assurer la paix ?

Nadine Bakari : la présence du Chef de l'État dans l'Est de la République, notamment à Goma comme il l'a promis, serait salutaire pour la population par rapport à plusieurs aspects. Le premier étant sécuritaire, en se disant que le déplacement du Chef de l'État et sa suite augmentera la sécurité. Peut-être que cela dissuadera les milices et autres rébellions dans leurs actions.  Ça pourrait beaucoup contribuer à faire une publicité différente de ce pays mais aussi de pouvoir recevoir les homologues du président de la République dans ces zones comme il était prévu pour le sommet de la CIRGL. Cela pourrait contribuer à assurer la paix. Nous tous, population congolaise, attendons de lui la réalisation de sa promesse de se déplacer jusque-là.

Un dernier mot ? 

Nadine Bakari : à toutes les femmes et à tous les jeunes, qui voudraient se lancer dans la politique ou tout autre secteur, n’oubliez pas qu’il faut travailler, travailler beaucoup et travailler avec sérieux et abnégation. Il faut surtout se démarquer par la qualité de son travail. Merci. 

Nadine Bakari est également femme politique, elle occupe le poste de Directeur de cabinet au ministre provincial de la santé. Elle a commencé dans le domaine humanitaire avec la prise en charge des enfants de la rue, puis la sécurité et la défense, avant de se lancer dans l'entrepreneuriat avec une société spécialisée en fabrication des pavés et des blocs.

Propos recueillis par Prisca Lokale