CHRONIQUE LITTERAIRE DU PROF YOKA : « La  Saint-Valentin  à  risque »

Prof. Yoka Lye

Confidences  du  chauffeur  du Ministre

Qui a dit que « l’oisiveté est la mère des vices » ? Mon   patron   l’ex-futur-Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques  m’a dit le contraire. Je ne suis pas sûr d’avoir compris, mais lui a dit : « l’oisiveté est la mère de la créativité ».  Il est vrai qu’en ce moment, avec   la   démission du gouvernement, et l’ambiance incertaine d’entre-deux-saisons, mon Ministre a l’imagination fertile, et des gestes   de bienveillance débordants.

C’est sans doute pourquoi  notre Ministre nous a invités en sa résidence, nous les membres de son ex-futur- cabinet. Motif ? La Saint-Valentin ! Et  en  hommage spécial à sa charmante épouse. Surprise en arrivant à la résidence ministérielle ! Les colonnes,  les murs, le plafond, le parterre, tout   sous la paillotte,   était      tapissé de petits amours   de cœurs imprimés. Cœurs transpercés. Cœurs rouge-noir à la Saint-Valentin. Cœurs traversés de poèmes vibrants, avec  à chaque vers le prénom de l’épouse, de  madame-la-muse. Et en sourdine, propagés à travers tous les recoins de la résidence, des  frémissements   d’une rumba suave, romantique, soukoussée  par des chansons expressément dédicacées ; du genre :

«  Bolingo lokola likie

    Simbaka yango makasi

    Soki ekweyi yango epasuki

    Mawa na yo otikali »

(«  L’amour comme l’œuf

      Tiens l’œuf   avec précaution

      S’il tombe, il s’écrase

      Malheur à toi l’amoureux »).

L’épouse en était émue jusqu’aux larmes, se félicitant sans doute au fond d’elle  que ça dure, ce chômage  si  inspiré  de  son  mari  de  Ministre  en  oisiveté forcée.   La journée s’est passée ainsi dans une effervescence  toute en cuite . Puis le feu d’artifice  et  le   bouquet de la fête : des cadeaux des invités ; et surtout des fleurs, des fleurs…

… Au sortir de la fête,  je me suis promis, dès mon retour chez moi, d’honorer moi aussi ma propre épouse, chair de ma chair, mon amour d’œuf-talisman comme dans la chanson. Je suis donc passé  d’abord    chez  le jardinier du quartier et lui ai commandé le plus beau bouquet de fleurs de sa collection. Le jardinier en était d’autant plus surpris qu’habituellement les commandes de fleurs dans le quartier, et à cette heure tardive,  concernaient des bouquets pour deuils !

Il était en effet assez tard lorsque j’ai frappé à notre porte. Ma femme m’a accueilli   entre deux bâillements. Je me suis empressé de lui offrir avec effusion mon cadeau, en claironnant : « ma chérie, voici les fleurs que t’offre la Saint-Valentin ». Ma femme a écarquillé les yeux ; elle a rétorqué : «  la… Sainte-quoi ? Rentre  chez  ta … sainte-là,    et ramène lui  son cadeau empoisonné de rivale, des fleurs de cimetière ! »…

 

(YOKA  Lye)

14-02-2021