Slam : dans son EP “Jibu”, Jenny Paria questionne, dérange et réveille les consciences

Photo
Jenny Paria

L’artiste slameur et rappeur congolais Jenny Paria Nzego a sorti depuis quelques semaines son premier EP dénommé “Jibu”, mot swahili qui veut dire réponse en français. Fidèle à sa franchise, Jenny Paria pose la voix sur de la musique avec des mots aussi forts que la profondeur de sa quête. En posant des questions ou en étalant des vérités, l’artiste conserve sa pertinence d’antan.

En 8 titres, le gomatracien a abordé des thèmes variés oscillant entre philosophie, panafricanisme, militantisme, religion et socialisme. “Jibu”, “Mobali”, “Folie”, “Malheur”, “Être Dieu quelques minutes”, “Rendez-nous nos dieux”, “Mental”, et “Image foutue” sont les titres des morceaux qui composent cet EP disponible sur YouTube et d’autres plateformes de téléchargement.

Son message est une question de “Mental”. Jenny dit partir à contre-courant de là où il est attendu en tant qu’artiste dans le monde actuel. Il souligne dans ce titre avoir eu la promesse du succès s’il trahit son message, “du coup je suis le meilleur rappeur mais pas le plus rentable”, argue-t-il. Une histoire vraie ou une ironie, il pense que le type de musique qu’il a choisi ne perce pas aussi facilement que d’autres.

“Je pense juste qu’une musique qui interpelle ou qui vend les valeurs n’a pas la même facilité de percer que celle qui promeut les bêtises. En prenant, cette position, je suis obligé de respecter le processus, les cœurs se font rare”, a dit Jenny Paria à ACTUALITE.CD

Dans ce coup de tête contre les clichés, Jenny Paria pousse un cri d’un l’esprit libre parfois en repoussant les limites d’une chanson normale pour distiller des pensées brutes. Celles parfois caricaturées comme la folie qu’il trouve comme un petit remède à l’anormalité du monde et de ce qui le compose. “Pourquoi choisir la normalité dans un monde où seuls les fous connaissent le bonheur ?”, se demande-t-il.

“Je préfère être ivre que suivre la normalité du monde qui n’est rien d’autre l’injustice, la méchanceté, la ruse, le mensonge… j’aimerais être assez fou pour donner ce qu’on ne sait plus donner, l’amour à tous, le respect à l’inconnu”, affirme Jenny Paria.

Le slameur va jusqu’à imaginer être Dieu, même pour un temps relativement court, et regarder le monde dans cette position. Il évoque la possibilité d’avoir le pouvoir de décider du sort du monde, des humains, de ce qui va arriver, etc.

“Je pense que la chanson se veut de faire comprendre que si tout le monde avait un pouvoir infini, le monde ne survivrait pas”, affirme Jenny.

Une quête plus qu’une découverte ; pas une fin mais un chemin

Le demi-finaliste de la coupe du monde de slam 2022 veut son projet comme une recherche plus qu’une détection. Dans le titre éponyme à l’EP, Jenny pose des questions qui touchent la sensibilité de l’humain au point de donner le sentiment que la quête de la vérité est plus importante que le style par moment dans ses textes.

« Nous sommes parmi les rares peuples qui avons hérité les convictions et par paresse et crainte, jamais on a eu à les remettre en question. En vrai, le but n’était pas de trouver les réponses, c’était plutôt d’amener les gens à se remettre en question sur l’identité, la spiritualité », précise Jenny Paria.

Ce morceau, l’artiste le voit aussi comme une marche vers les origines, un retour aux anciens, à la sagesse oubliée. “Est-ce que ceux qui parlent ont des choses à dire ?”, “Est-ce que toute joie est un bonheur?”, “Est-ce que ceux qui aident sont ceux qui peuvent”, “Est-ce que les plus calmes sont les plus timides”, etc. Ces questions font asseoir sa maïeutique non comme des simples outils pour obtenir des informations, mais un moyen d’examiner les croyances et de stimuler la pensée critique.

“Aujourd’hui les gens se focalisent sur le paraître, les gens nous respectent en fonction de notre position sociale et là je n’ai pas besoin de rappeler que celle-ci ne se limite qu’aux richesses matériels, quand les plus riches ont la parole, les plus sage n’ont pas le droit de parler”, déplore Jenny.

Pas une fin mais un chemin, Paria s’emmène à extérioriser le côté moins vrai du monde actuel, notamment à travers les filtres des smartphones et des réseaux sociaux. Il évoque cette réalité dans “Image Foutue” qu’il prend comme une confession moderne, un cri à peine voilé dans un monde trop exposé. “Snap remplace miroir. Les gens te suivent, mais qui t’accompagne ?”, se questionne-t-il encore. Il propose donc “une réponse à la solitude du paraître, à la violence du regard, à l’urgence d’être vra”.

Cover de l’EP "Jibu" réalisé par Vizionr

“L’Africain n’est ni esclave ni serviteur”

Pour un panafricaniste textuel, la question de l’Afrique a une place de choix dans les écrits de Jenny Paria. Au regard de l’histoire du continent, il a l’impression que plusieurs vérités ayant encore cours ont menti. 

“Je pense qu’il y a beaucoup d’inégalités, beaucoup d’injustice ; il nous faut travailler pour avoir l’équilibre”, conseille-t-il.

La religion étant un des thèmes centraux qui ont bâti la colonisation en Afrique, l’artiste n’a pas épargné la question, avec notamment un titre portant un message clair et direct : “Rendez-nous nos dieux”. 

“C’est une invitation au respect, l’africain n’est ni esclave, ni serviteur, l’Afrique c’est sa terre, il ne peut être que partenaire. Le dieu c’est l’histoire mal racontée, les héros oubliés”, précise Jenny Paria.

Il considère cette chanson comme un cri de mémoire et de révolte, une réponse à l’effacement de l’histoire africaine, à la manipulation des récits, et à la dépossession identitaire.

“Mwana mobali a lelaka te”

Jenny Paria n’a pas manqué de toucher des thèmes plus politiques aussi bien de manière directe qu’indirecte. L’Afrique est pauvre mais elle enrichit le colon, il le dit tout haut mais espère qu’avec de la volonté, tout peut changer. Il souligne un certain nombre de réalités paradoxales, avec notamment la complicité de certains dirigeants africains dans leur relation avec l’occident.

“J’aime dire que le peuple mérite ce qu’il tolère… on sait au fond ce qu’on mérite, on sait en vrai que les dirigeants se soucient de leur pouvoir que de la patrie, mais on aime bien leur masque”, indique Jenny Paria.

Malgré tout, un homme ne pleure pas, chante Jenny dans le titre “Mobali”. “En lingala ça garde sa juste valeur, la traduction aurait volé une petite magie de la phrase”, souligne l’artiste. Il parle de ces douleurs qu’on cache parce qu’on est homme. C’est aussi  à ses yeux, une lettre à la solitude, au manque, à l’oubli, un hommage à nos mères, un aveu d’impuissance, une force malgré tout.

Kuzamba Mbuangu