Nord-Kivu: Léonard Kanyamuhanga, 20 ans avec vous et sans vous.

Ville de Goma. PH. ACTUALITE.CD

« Je sens que je vais bientôt vous quitter. Je n'ai qu'un seul regret : tous nos efforts de pacification de la province seront anéantis après moi. Cela m'arrache les larmes. J'y ai beaucoup réfléchi, et sincèrement, je ne vois pas qui  pourrait vraiment ramener la paix dans cette province ». Ainsi parla Léonard Kanyamuhanga 3 jours avant sa mort. Ce jour-là, le Seigneur lui donna un peu de force et il alla au gouvernorat situé non loin de la DGM et de la DGDA. Il convoqua ses collaborateurs les plus proches (4 au total) et leur parla, les larmes aux yeux et le cœur serré. Il prodigua quelques conseils au vice-gouverneur Innocent Shomwa et retourna à la résidence.

Voilà depuis ce jour du 31 juillet 2000, jour pour jour, 20 années depuis que Léonard Kanyamuhanga Gafundi a quitté la terre des hommes. Vingt ans que le regret exprimé trois jours avant sa mort reste toujours d'actualité. La province du Nord-Kivu n'est toujours pas pacifiée. On a beau construire des villas, des immeubles, des routes dans la ville de Goma, l'insécurité règne toujours en maître sur toute l'étendue de la province. Léonard Kanyamuhanga n'avait de cesse de dire et de répéter à ses administrés que rien ne valait la paix, même pas le développement. Car, le développement sans paix n'est que du vernis sur les ongles. Voilà pourquoi, il sillonnait avec toute son équipe les territoires du Nord-Kivu prêchant un seul message, la paix avant toute chose : « Donnez-moi la paix et je vous donnerai le développement », résumé par la formule « Tous pour la Paix et le Développement, en signe TPD » dénaturée et désacralisée à sa mort.

Léonard Kanyamuhanga savait que la paix dans sa province, comme état d'esprit, dépendait d'abord de la participation de sa population dans le vivre ensemble mais également et surtout des pays voisins qui avaient déversé leurs populations en RDC. Voilà pourquoi il entreprit de retourner d'abord les réfugiés dans leurs pays d'origine et il y réussit en 6 mois sans aide extérieure à rapatrier 60 mille Hutu au Rwanda. Avec son épouse, il fêta la Pâques 1999 à Jomba avec pour invités le chairman du district de Kisoro (Ouganda) et le préfet de la préfecture de Gisenyi (Rwanda) et en profita pour réinstaller les prêtres que l'insécurité avait exilés de leur paroisse. Alors que les deux hôtes de marque s'adressèrent à la population en kinyarwanda, le gouverneur, lui, opta pour le swahili afin que toute la population se sente frère et sœur. Il prit contact avec l'Ouganda, s'y rendit jusque dans le district de Rukungiri pour discuter paix et développement. Léonard Kanyamuhanga et toute sa formidable équipe s'installèrent à Kiwanja/Rutshuru pour impliquer la population dans la recherche de la paix et lui faire comprendre les bénéfices qui en découlent par l'acceptation de l'autre et réhabiliter les routes de desserte agricole et d'intérêt national.

Voilà, aujourd'hui 20 années depuis qu'il a rejoint le royaume de Dieu (parce qu'il était bon, loyal et serviable), la province du Nord-Kivu ne connaît pas de paix. On se réveille un matin, même la capitale Goma est envahie par des milliers d'inconnus. Des populations « inconnues » traversent la province à la recherche des terres. Des tueries, des massacres se déroulent dans la province devant l'incapacité des autorités. Les milices communautaires régentent la vie dans le Masisi, Walikale, Lubero, Rutshuru et Beni. Des ONG pullulent. La population manque de l'eau potable. Il n'y avait pas de MONUSCO parce que le gouverneur maîtrisait les rouages de la gestion sécuritaire de sa province. Les axes routiers ne sont plus fréquentés sauf pour les téméraires. La frontière congolo-ougandaise de Bunagana n'est qu'un itinéraire ressemblant à un tunnel pour les courageux. Les Interahamwe sont devenus des FDLR, des FOCA, des RUD et les NALU des terroristes MTM. Goma qui nourrissait le Rwanda vit aujourd'hui en totale dépendance des produits agricoles en provenance du Rwanda. La haine s'est accrue dans le cœur des gens. De plus en plus, on reparle de tribalisme, de séparation Grand nord et Sud, de balkanisation.

Vingt années après, Léonard Kanyamuhanga reviendrait à la vie comme Lazare, il aurait des larmes aux yeux. Aux côtés de Baraza wa Bazee, les milices communautaires ont accru leur degré de nuisance : M 23, Nyatura, APCLS, NDC, NDC-R, Mazembe, Uhuru, FAP, URDC, Raïa Mutomboki, Kifwafwa, UPDI...

Envieuse du luxe d'autrui, la Province s'est invitée confortablement dans une résidence privée abandonnant le gouvernorat qui lui appartenait. La mairie, les deux communes de Goma sont comme à l'époque du vieux Nzabara. Le seul bien dont il dispose et qui fait encore sa fierté, c'est  la résidence du Gouverneur qu'il a léguée à la postérité. Là aussi, on ne saura plus admirer la beauté de l'édifice et, le gouverneur, dans ses moments de loisir, assis à la paillote au bord du lac, saluant les passants car même la route est interdite d'accès pour cause d'insécurité. Léonard Kanyamuhanga avait l'habitude de se reposer dans cette paillote pour humer l'air frais du lac et en profiter pour saluer les quelques passants qui se rendaient au port. Il n'avait pas peur de l'insécurité parce que le peuple le chérissait comme les prunelles de ses yeux. Il pourra remercier ses successeurs d'avoir donné son nom à l'artère principale de la ville de Goma et à un cimetière déjà rempli.

Léonard Kanyamuhanga, gouverneur de la paix et de la modernité, avait une notion du  bien public irréprochable et une vision du développement à la base à  travers la confiance aux ressources humaines à sa portée et aux potentialités locales. Il croyait en l'homme et ne faisait jamais de distinction d'origine mais jugeait chacun par ses compétences, son patriotisme et son intégrité morale. Jamais devant le gouverneur Kanyamuhanga l'on pouvait se prévaloir de ses origines ethniques. Homme jovial, ouvert, tolérant et ferme à la fois, respectueux des autres, travailleur infatigable, il était ami à des artistes, à des journalistes, à des maçons, à des pêcheurs de sambaza, à des femmes balayeuses des avenues, à des militaires et policiers. Bref, il était à tous et pour tous.

Voilà  pourquoi, il croyait à l'expertise locale, jamais au développement de sa province par les ONG internationales. Voilà pourquoi il suscita joie et enthousiasme parmi les populations les plus démunies durant le bref moment passé à la tête de sa province (octobre 1996-juillet 2000) dont une année luttant avec la maladie. Voilà pourquoi nous regretterons toujours sa disparition prématurée. Voilà pourquoi nous l'avons aimé de tout nos cœurs. Voilà pourquoi, cher Gouverneur Léonard Kanyamuhanga, si loin si près de nous, avec vous et sans vous, nous ne vous oublierons jamais.

Nicaise Kibel'bel Oka.