RDC : des révélations d’un journaliste, trois ans après l’enlèvement de deux prêtres catholiques près de Butembo

Mgr Melchisédech Sikuli lors de la célébration eucharistique le 28 juin 2020 à la cathédrale de Butembo/Ph Claude Sengenya ACTUALITE CD

16 juillet 2017-16 juillet 2020, il y a trois ans jour pour jour, deux prêtres catholiques étaient enlevés presbytère de la paroisse Reine des Anges de Bunyuka, dans la périphérie Est de Butembo, en diocèse de Butembo Beni. Trois ans plus, on n’a toujours pas des nouvelles des abbés Charles Kipasa et Jean-Pierre Akilimali, alors que cinq jours après l’enlèvement, le secrétaire général de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO), l'Abbé Donatien N'shole, rassurait, dans une interview accordée à ACTUALITE.CD, que l’église catholique était en contact avec les ravisseurs, lesquels exigeaient une rançon afin d’obtenir la libération des prêtres. Le journaliste Nicaise Kibel'Bel Oka qui documente depuis plusieurs années la dynamiques des conflits dans l’Est du Congo révèle, dans un texte envoyé à ACTUALITE.CD que la communauté a «raté deux occasions de sauver nos deux abbés». Découvrez l’intégralité de ce texte plein de révélations.

Aux disparus de la paroisse de Bunyuka, votre longue absence ne nous console pas

Vous ne connaîtrez pas, Charles Kipasa et Jean-Pierre Akilimali, les sublimes attractions du tombeau. Eux deux comme leurs prédécesseurs Anselme Kakule Wasukundi, Edmond Bamtupe Kisughu et Jean-Pierre Mumbere Ndulani, les trois assomptionnistes enlevés dans leur couvent de Mbau presque aux mêmes heures du soir, ne connaîtront pas les sublimes attractions du tombeau.  La vie est une hôtellerie, c'est le cercueil qui est la maison de chacun, selon Flaubert. Nous leur avons interdit des demeures dans notre diocèse. Ils n'en ont pas et n'en auront pas. En tout cas pas dans notre diocèse. Naturellement dans les cœurs de certains d'entre nous.

Dimanche 16 juillet 2017 aux environs de 20 heures, les abbés Charles Kipasa et Jean-Pierre Akilimali, tous deux du presbytère de la paroisse Reine des Anges de Bunyuka, ont été enlevés par une dizaine d’hommes en armes portant des tenues militaires. Et depuis trois années aujourd'hui, personne ne donne signe de leur existence.

Et pourtant, on  pouvait bien les sauver des mains de leurs ravisseurs une année après.

Nous avons raté deux occasions de sauver nos deux abbés

1. Le jeune maï-maï Nelson Paluku, qui faisait partie de la milice ayant attaqué les élèves de 6ème secondaire en pleine session d'examen d'état et qui fut soigné clandestinement par docteur Jérémie à l'HGR de Beni avant d'être arrêté, jugé et libéré par « pitié » par la Cour militaire opérationnelle en foraine à Beni, est de nouveau arrêté lors des affrontements FARDC contre ADF/MTM. Nelson Paluku, qui travaillait pour le commerçant Peruzi, livre une information capitale, à savoir : « Les deux prêtres avaient passé la nuit dans la ferme du commerçant de Butembo, un certain Peruzi, à quelques encablures de la paroisse avant d'être conduits ailleurs ». C'est dans cette ferme qu'on aurait retrouvé les habits des abbés. L'homme d'affaires est interpellé puis arrêté par l'auditorat militaire/Beni. Coup de théâtre, un groupe de députés nationaux quittent Kinshasa pour Beni et réussissent, après d'intenses négociations et brandissant la menace de voir les groupes de pression de Butembo descendre à Beni, à obtenir la libération de l'homme d'affaires. Entre les deux abbés et l'homme d'affaires, nos députés avaient porté leur choix sur l'homme d'affaires. L'histoire se répète en bégayant. Par notre volonté de choix, nos deux prêtres ne seront plus notre préoccupation prioritaire.

2. Un certain John Ndungo, jouant au courtier des ADF, est arrêté vers Mutwanga par les FARDC et conduit à l'auditorat militaire à Beni. Lors de son audition, on y découvre dans son téléphone un message sur la position de nos deux abbés dans le secteur de Ruwenzori entre Lume et Mutwanga. Comble de malheur, les maï-maï lancent une attaque sur l'auditorat militaire et libèrent tous les détenus. John Ndungo comme d'autres se sauve. Au 1er octobre 2018, nos deux abbés étaient encore vivants et leurs ravisseurs étaient d'une mobilité régulière pour ne pas laisser des traces, selon les communications retrouvées dans le téléphone de John Ndungo. Et après, silence de mort.

A ce jour, soit trois années après, les chances de les retrouver vivants sont minces et surtout de les retrouver même morts sont quasi inexistantes. Nous sommes quelle communauté humaine qui ne juge ni ne punit ses enfants ? Quelle communauté des vivants sommes-nous quand nous opérons le mauvais choix, quand nous sacrifions les serviteurs de Dieu ?

De l'identité des kidnappeurs

Ce que l'on sait de cette triste affaire de kidnapping est qu'il est associé à deux personnes ayant choisi pour vocation le maquis : Kakule Sikuli Lafontaine et Bwambale Kakolele alias Aigle blanc. Au lendemain de cet enlèvement, des sources concordantes affirment que Lafontaine Kakule aurait appelé l'ordinaire de Butembo-Beni, Mgr Melchisédech Paluku Sikuli conditionnant le retour des abbés par une rondelette somme d'argent, tout en citant son alter ego Bwambale Kakolele comme  celui qui avait le droit de vie et de mort sur Guillaume qui détenait les deux prêtres. L'argent lui avait-il été versé ? On ne le saura peut-être jamais. Seule certitude, les deux abbés ne seront pas remis à l'évêque jusqu'à ce jour.

Tenant à régler ce dossier dans la clandestinité, sans avoir tiré les leçons du kidnapping de trois prêtres assomptionnistes de Mbau en 2012, l’Église va recourir à  l'intervention de jeunes gens agissant sous le label « Véranda Mutsanga », un groupe de pression de la ville de Butembo se définissant comme « anti terroriste » pour retrouver les deux prêtres et leurs ravisseurs. La descente à la paroisse de Bunyuka ne donnera aucun résultat concret. De tâtonnement en erreur de stratégie, intervient l'arrestation de Me Kakurusi (conseiller juridique privé de l’Évêque selon les bonnes langues) et monsieur Jonas Kabuyaya (ex-APC impliqué dans la démobilisation des maï-maï de sa communauté et agent à l'ANR/Butembo). Ils sont accusés d'avoir escroqué l’évêque et arrêtés par l'ANR au moment où ils se trouvent à l'évêché. Humiliés par les jeunes de la Véranda Mutsanga, ils seront conduits manu militari à Goma puis retournés libres à Butembo sans que l’évêché supposé être le plaignant ne donne un éclairage sur cette arrestation trop médiatisée. L'abbé qui avait alerté l'ANR aurait simplement boudé le fait que l'évêque lui avait demandé de mettre à la disposition de deux infortunés la somme de mille dollars $ pouvant faciliter les recherches et contribuer à retrouver les deux prêtres. Tout ceci éloignait davantage les chances de les retrouver.

Trois années déjà entre souffrance et joie

Que sait-on de la souffrance qu'ils ont endurée ? Qui, dans notre communauté des hommes, a la faculté de donner la mort ? Pourquoi sont-ils portés disparus ? Trois ans après, la problématique de cet enlèvement repose et remonte à la surface les enjeux de notre responsabilité et de notre culpabilité sur la vie des serviteurs de Dieu dans notre diocèse. Ces disparitions (celle de Mbau et celle de Bunyuka) nous envoûtent, nous enivrent au point de rendre fous sans jamais nous consoler. La conséquence se résume en blessures dans nos cœurs : nous nous en prenons à tout celui qui les évoque et déversons sur lui toute notre haine. Parce que ces enlèvements ne sont pas des drames esthétiques mais tiennent d'une honte et d'une culpabilité que du deuil et du chagrin pour toutes les personnes éprises de bon sens.

Dans cette tragédie qui se joue dans notre diocèse de Butembo-Beni, l'on peut comme dans une sorte des béatitudes douloureuses, admirer la foi de nos 5 serviteurs de Dieu qui ont été forcés à vivre dans la  privation mais surtout ont accepté de faire le chemin de la Croix jusqu'à Golgotha sans jamais penser un seul instant à se donner la mort, à se « ôter leur vie » parce que, en baptisés et amis du Christ, on ne se donne pas la  mort pour ne pas léser notre Dieu.

Ils sont morts refusant par la volonté de notre Seigneur de recevoir l'onction des mains pécheresses de pauvres humains que nous sommes. Ils ne seront pas des Lazare avant la résurrection, amis du Christ qui font retour du monde des disparus dans celui des vivants. Mais qui sont les survivants de cette longue absence sinon nous autres que leurs fantômes ne quittent jamais. Même si nous faisons semblants de les avoir oubliés, de les avoir remplacés, d'avoir pris leur place dans la communauté. Charles et Jean-Pierre de Bunyuka, Anselme, Edmond et Jean-Pierre de Mbau, que vous dire que vous ne sachiez de nous ?

Nous les survivants, dans notre hypocrisie, dans notre manque d'amour, nous qui aimons encore cette vie parce que forts de ne pas (encore) trouvé dans le royaume de Dieu une place pour y demeurer, nous souffrons de ne pouvoir mourir à votre place à cause de notre égoïsme, de notre  manque d'humanité.

Mais sachez, chers prêtres de Jésus-Christ, sachez que ce qui est invisible aux yeux de l'humain n'a pas forcément cessé d'exister. Vous existez toujours. Dans nos cœurs, vous êtes ces tombeaux forts habitables où l'on s'immobilise chaque matin pour prier et on se recueille pour le repos de vos âmes. Sans la présence des touristes. Ce qu'on ne possède pas ou plus nous obsède, revient nous hanter. Votre longue absence ne nous console pas. Pardonnez-nous nos égoïsmes.

Nicaise Kibel'Bel Oka Journal Les Coulisses Actuellement basé à Goma (Nord-Kivu), Nicaise Kibel'bel Oka est journaliste d'investigation et écrivain. Directeur de publication du journal Les Coulisses. Prix africain de la Liberté de la presse 2009 décerné par CNN. Il s'intéresse à la géopolitique de la région des Grands Lacs africains et son impact sur la RDC.