Jean Jacques Wondo, expert sur des questions militaires et ancien conseiller en charge de la réforme en profondeur de l’ANR en vue d’augmenter la capacité de la sûreté et sécurité de l’Etat. Un projet "saboté", selon lui, notamment en l’impliquant dans la "sordide" affaire Malanga.
Tribune
La prise, ce mercredi 10 décembre 2025, de la ville d’Uvira, dans le Sud-Kivu, constitue un facteur déterminant susceptible d’élargir le rayon d’occupation territoriale de la rébellion et de précipiter sa progression à l’intérieur du pays. Cette ville stratégique, à bien des égards, était érigée comme le verrou du dispositif défensif des FARDC, fortement appuyées par l’armée burundaise, déployée à hauteur d’environ 15 000 hommes, lesquels se sont révélés incapables d’en assurer durablement la défense. Par ailleurs, quelques milliers de combattants Wazalendo et des éléments des FDLR, également engagés aux côtés des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), n’ont pas non plus offert davantage de résistance. Désorganisés et désarticulés avec les autres forces alliées, ils ont rapidement abandonné les positions avancées qu’ils occupaient en amont d’Uvira.
À la suite de cette débâcle, le Burundi se voit très probablement contraint de rapatrier ses troupes, démotivées et éprouvées par l’intensité des combats, afin de prioriser la défense de son territoire national contre d’éventuels assauts de groupes rebelles tels que Red-Tabara. Ce repositionnement pourrait s’accompagner d’une tentative de négociation d’un accord de non agression avec le Rwanda, dans une logique de sécurisation de ses frontières.
Privées de ces trois soutiens majeurs (l’armée burundaise, les Wazalendo et les FDLR), les (FARDC) se retrouvent dans une situation de forte vulnérabilité. Les Wazalendo, tout comme les FDLR, en tant que groupes d’autodéfense communautaires opérant essentiellement dans les provinces du Kivu, vont en effet rencontrer de sérieuses limites opérationnelles s’ils sont projetés hors de leurs zones traditionnelles de combat, qu’ils maîtrisent empiriquement. D’autant qu’ils ne disposent pas réellement de doctrines de combat établies ni d’une formation adaptée aux techniques et tactiques de combat requises sur d’autres théâtres d’opérations que leurs bastions habituels, lesquels constituent en soi leur motivation au combat en termes de défense de leurs intérêts vitaux.
Dans ces conditions, les FARDC, privées de forces alliées, affaiblies par des purges successives au sein d’un haut commandement largement incompétent, à la tête d’une armée désarçonnée, aux effectifs artificiellement gonflés et profondément déstructurée sur les plans organisationnel, fonctionnel et opérationnel, risquent de faire face à de graves difficultés pour contrer les offensives rebelles.
À ces fragilités structurelles et fonctionnelles des FARDC s’ajoutent des carences logistiques majeures, accentuées par des défections en masse, ainsi que par l’abandon et la perte de matériels au Sud-Kivu, qui contribuent à la contraction d’une armée dont le processus de réforme (plan de réforme 2009 – 2025) a été abandonné depuis 2015 et a même été délibérément saboté jusqu’à ce jour.
Face à ce constat, la capacité des FARDC à contenir la progression rebelle apparaît fortement compromise et inespérée. Cela se lit d’ailleurs subtilement dans les discours officiels des autorités congolaises, voire burundaises, qui se limitent à interpeller la communauté internationale, leur ultime espoir.
Forte de ses récents succès, la coalition M23/RDF se voit motivée à poursuivre son aventure militaire en se déployant vers le sud, en direction du Grand Katanga, où les milices Bakata Katanga, historiquement opposées au régime de Kinshasa – et d’autant plus depuis que celui-ci traque les leaders politiques de cette partie du pays et mène une purge d’officiers katangais – pourraient se réactiver et s’allier de manière opportuniste au M23. Ce dernier pourrait en outre recruter d’abord au sein de la population du Katanga qui, sans mesurer l’impact d’une nouvelle occupation rwandaise de la RDC, attendent le M23 en libérateurs, mais aussi et surtout au sein du vivier des creuseurs artisanaux marginalisés, profondément mécontents de la gouvernance du secteur minier dans les provinces du Lualaba et du Haut-Katanga.
Ces creuseurs subissent en effet la loi de certains éléments de la Garde républicaine présidentielle sur des sites miniers spoliés par des proches du régime, où les conditions de cohabitation génèrent déjà tensions et conflits meurtriers.
Parallèlement, une progression rebelle vers l’ouest, en direction de la province du Maniema, faiblement protégée sur le plan militaire, demeure une hypothèse plausible.
En l’absence d’une solution politique interne globale et urgente, indispensable au stade actuel, ou d’une action décisive de la communauté internationale, qui manifeste une forme de « Congofatigue » vis-à-vis du régime de Félix Tshisekedi et de sa gouvernance sécuritaire cvhaotique, le risque d’une avancée fulgurante du M23 vers l’ouest, voire en direction de Kinshasa, apparaît élevé. Ils l’ont d’ailleurs déclaré dans leurs récents communiqués depuis la prise d’Uvira.
À ce rythme, la capacité du régime du président Félix Tshisekedi à résister à une telle dynamique, qui rappelle la progression de l’AFDL en 1997, demeure faible en l’absence d’une stratégie alternative efficace et crédible. Dans ces conditions, la probabilité d’un maintien du régime jusqu’à la fin juin 2026 apparaît sérieusement compromise, surtout s’il persiste dans une réponse militaire désespérée et utopiste.
Pourtant, dès son arrivée au pouvoir, le président Tshisekedi s’est montré peu enclin à engager les réformes de fond indispensables à la reconstruction de l’armée congolaise. Au contraire, il l’a sciemment affaiblie par des choix népotiques, clientélistes et complaisants, en plaçant à des postes stratégiques des responsables dont les profils sont inadaptés à la gestion d’un pays en guerre. À titre d’exemple, sont concernés le ministre et le vice-ministre de la Défense, le chef de la Maison militaire du Président, le chef d’état-major général, les commandants des zones de défense, le chef d’état-major de la force terrestre, le sous-chef d’état-major chargé des renseignements militaires (DEMIAP), ainsi que certains commandants de régions militaires.
À cela s’ajoutent les rôles flous exercés par le conseiller privé du chef de l’État et le coordonnateur des services internes de la présidence. Tous deux civils, dépourvus d’expertise avérée dans les domaines sécuritaire et militaire, ils se sont pourtant imposés comme de véritables gestionnaires de l’armée et des services de sécurité, profitant de leur proximité amicale et biologique avec le chef de l’État. Leur influence s’étend notamment aux achats de matériels militaires, un domaine qui devrait normalement relever d’experts du Corps logistique de l’armée.
Ainsi, au-delà de l’accusation du rôle avéré du Rwanda dans l’agression de la RDC via le M23, le président Tshisekedi, ses proches conseillers militaires et familiaux, ainsi que le gouvernement congolais portent une lourde responsabilité dans la déliquescence des FARDC. Une armée qu’ils utilisent tous comme source d’enrichissement, en gonflant des budgets militaires détournés et capturés par la suite à des fins personnelles, selon plusieurs témoignages concordants à notre disposition. Ils portent également une responsabilité politique majeure dans l’ensemble des stratégies et des actions diplomatiques et des négociations menées en toute opacité depuis la réactivation militaire du M23.
Jean-Jacques Wondo