Célébrée le 1ᵉʳ décembre de chaque année, la Journée mondiale de lutte contre le sida rassemble des personnes du monde entier pour sensibiliser au VIH/sida et témoigner de la solidarité internationale face à cette pandémie. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), cette journée permet aux partenaires publics et privés de sensibiliser le public à la situation de la pandémie et d’encourager les progrès en matière de prévention, de traitement et de prise en charge du VIH/sida à travers le monde.
Elle est devenue l’une des journées internationales de la santé les plus reconnues et constitue une occasion unique de sensibiliser, de commémorer les personnes disparues et de rendre hommage aux avancées réalisées, notamment l’accès accru aux services de traitement et de prévention. Chaque Journée mondiale de lutte contre le sida est dédiée à un thème particulier. Celui retenu pour cette année est : « Surmonter les perturbations, transformer la riposte au sida ».
En République Démocratique du Congo, Médecins Sans Frontières (MSF), association humanitaire à vocation médicale révèle que plus de 60 % de la population a moins de 20 ans : une jeunesse nombreuse, pleine d’énergie et de promesses mais aussi très exposée au VIH. En 2024, 15 000 jeunes de moins de 25 ans ont contracté le virus, dont plus de 9 000 âgés de moins de 15 ans, principalement en raison d’une prévention insuffisante de la transmission mère-enfant (PTME) durant la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement.
"Malgré les progrès réalisés, la lutte contre le VIH reste semée d’obstacles pour cette génération. Outre les défaillances de la PTME, la mise sous traitement pédiatrique reste insuffisante, et l’accès au dépistage est limité : les tests ne sont pas toujours disponibles, et le dépistage volontaire est souvent payant. La loi interdit aussi aux moins de 18 ans de se faire dépister sans parent ou tuteur, et le manque d’information, même dans les écoles, est criant" a expliqué devant la presse ce mercredi 3 décembre 2025 Dr Gisèle Mucinya, coordinatrice médicale du projet VIH de MSF à Kinshasa.
Résultat : trop de jeunes développent encore des formes avancées du VIH/SIDA, faute de dépistage et de traitement précoces. Au Centre hospitalier de Kabinda, structure de soins spécialisée à Kinshasa, 489 patients suivis ont moins de 25 ans, dont 344 moins de 18 ans.
"Par rapport à cette génération d’enfants et d’adolescents, le parcours des personnes qui ont le VIH est semé d’embûches. Il a été noté que le dépistage précoce est compliqué par le manque de tests, par des obligations légales notamment le fait que les mineurs doivent être accompagnés d’un tuteur légal et par l’accès très limité à la prévention de la transmission mère-enfant, qu’on peut totalement éviter. C’est-à-dire qu’on peut éviter que la mère transmette le VIH à son enfant. À Kinshasa, nous intervenons depuis 2002 dans le domaine du VIH"a fait savoir Christine Januel, Coordinatrice projet VIH/TB chez MSF
Et de poursuivre :
"Je pense que c’est important de préciser que Médecins Sans Frontières, on est très connus pour les urgences, mais comme vous le savez, MSF est aussi une organisation médicale. On s’est mis dans la lutte contre le VIH en 2002, et on a commencé à soutenir le CH, donc le centre hospitalier Kabinda, en 2011. Aujourd’hui, notre lutte contre le VIH concerne principalement le VIH avancé, que l’on connaît plus communément sous le terme de sida. En termes de VIH avancé, nous sommes actuellement sur deux pôles, deux axes : le centre hospitalier Kabinda, où on soigne les personnes qui ont le VIH avancé on ne peut pas soigner le VIH avancé lui-même, mais on soigne les morbidités associées, notamment la tuberculose et un pôle qu’on appelle le pôle de décentralisation, qui vise à identifier le plus rapidement possible les cas de VIH avancé"
Les “clubs des jeunes” : un modèle simple, humain et efficace
L’abandon du traitement est particulièrement préoccupant chez les jeunes à Kinshasa. Pour y remédier, MSF et l’association congolaise Jeunesse Espoir ont lancé en 2019 une initiative novatrice : les clubs des jeunes. Leur principe est simple : offrir aux adolescents et jeunes adultes vivant avec le VIH un espace sûr, confidentiel et convivial, relié à une structure de soins, où ils peuvent échanger entre pairs.
Aujourd’hui, 83 jeunes âgés de 12 à 25 ans fréquentent ces clubs dans quatre communes de Kinshasa. L’initiative intègre aussi une dimension éducative et préventive essentielle : les jeunes y apprennent à protéger leur santé, comprendre leur traitement et réduire les risques de transmission. Les résultats sont parlants : en 2024, près de 80 % d’entre eux avaient une charge virale supprimée contre 71% en 2019 preuve de l’efficacité du modèle.
"Le modèle club de jeunes que Médecins Sans Frontières a piloté en 2019 a fait ses preuves. Ce modèle offre aujourd’hui un espace convivial pour les jeunes, où ils peuvent recevoir leur traitement, avoir accès au dépistage, être accompagnés, mais aussi partager leurs problèmes, défis et difficultés liés à la maladie. C’est un espace sécurisé, presque comme une famille, où ils se sentent en sécurité" a indiqué Docteur Gisèle Mucinya, coordonnatrice médicale du projet
Plus qu’un suivi médical, un espace de vie
Les clubs ne se limitent pas au suivi médical. Ils constituent un lieu d’écoute, d’apprentissage et de reconstruction personnelle. Les jeunes y parlent librement de leur quotidien, de leurs doutes, de leurs relations ou de leurs rêves. Ils participent à des activités éducatives, des ateliers d’expression et des sessions sur la santé sexuelle et reproductive.
La force des clubs réside aussi dans leur impact social. En permettant aux jeunes de briser le cercle de la peur et de la stigmatisation, le modèle transforme peu à peu les mentalités. Certains membres deviennent animateurs ou relais communautaires : ils sensibilisent au VIH, encouragent le dépistage et rappellent qu’avec un traitement régulier, on peut vivre pleinement. D’autres s’engagent comme médiateurs pour aider leurs pairs à surmonter les difficultés sociales.
"Ce modèle montre aujourd’hui ses preuves et nous sensibilisons pour le diffuser, dupliquer davantage, surtout dans le contexte actuel de financement limité. C’est un modèle à promouvoir au niveau national, car il facilite l’accès aux soins et contribue à améliorer et transformer la lutte contre le VIH en RDC"a-t-elle ajouté lors de son intervention
Un modèle à soutenir et à étendre
En 2024, MSF a lancé une recherche opérationnelle afin d’évaluer l’efficacité de ce modèle dans le renforcement de l’adhérence et l’amélioration de la santé globale des participants. Selon les intervenants du jour, les résultats sont sans appel : le modèle des Clubs des jeunes doit être pérennisé et étendu.
"Nous avons la preuve que cela fonctionne. Ce modèle permet de maintenir les jeunes sous traitement, d’éviter les formes avancées de la maladie très coûteuses à traiter et de renforcer la prévention dans toute la communauté. Toutes les raisons sont là pour le soutenir. Pourtant, son avenir dépend des ressources nationales et internationales disponibles pour lutter contre le VIH/SIDA en RDC. Ces moyens sont structurellement faibles et en baisse depuis la réduction de l’aide internationale américaine", a soutenu Docteur Pulcherie Ditondo, responsable des activités médicales communautaires de MSF à Kinshasa
Les deux principaux programmes, le President’s Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR) et le Fonds Mondial, ont vu leurs financements diminuer, avec des conséquences directes sur les activités menées, notamment par la société civile. Pour MSF, ce contexte justifie d’autant plus la nécessité pour les autorités et les partenaires internationaux de soutenir des initiatives innovantes, peu coûteuses et efficaces comme les Clubs des jeunes, et de les intégrer dans les stratégies nationales de lutte contre le VIH/SIDA.
Redonner espoir à une génération
Selon le MSF, au-delà des chiffres, les clubs des jeunes incarnent une révolution silencieuse : celle d’une jeunesse qui refuse la fatalité et la stigmatisation pour reprendre en main son avenir. Ils prouvent qu’en investissant dans des approches simples, communautaires et centrées sur les besoins réels des jeunes, il est possible de transformer la lutte contre le VIH non seulement en termes de santé, mais aussi de dignité et d’espoir. Chaque jour, de nouveaux visages émergent : ceux de jeunes qui retrouvent confiance, sortent de l’ombre et brisent les chaînes du silence et de la honte.
Clément MUAMBA