RDC : Mariette Mwesha lance une pétition pour réformer la gouvernance jeunesse

Mariette Mwesha
En tee-shirt bleu, Mariette Mwesha autour des jeunes dans le cadre d'un projet U-Report

 

Mariette Mwesha, actrice humanitaire et spécialiste du développement, a lancé une pétition visant une réforme profonde de la gouvernance en matière de jeunesse en RDC. Loin des actions symboliques, elle plaide pour une restructuration nationale où des experts dédiés seraient intégrés dans les ministères clés, avec une coordination centrale rattachée à la Présidence, afin de garantir des politiques durables, cohérentes et adaptées aux réalités des jeunes.

Dans un entretien accordé au Desk Femme d’ACTUALITÉ.CD, elle revient sur les raisons de cette initiative, l’urgence d’un changement de cadre institutionnel, et la nécessité de placer la jeunesse au cœur des réformes économiques, éducatives et sociales.

Desk Femme : Qu'est-ce qui vous a motivée à initier cette pétition et qu’attendez-vous de cette démarche ?

Mariette Mwesha : Mon engagement pour les enfants et les jeunes remonte à mon plus jeune âge. J’ai toujours été convaincue qu’un pays ne peut atteindre un développement durable sans placer la jeunesse au centre des priorités. Cette conviction a guidé mes études doctorales en développement, avec une spécialisation sur le développement de l’enfant et du jeune. Ce qui m’a poussée à lancer cette pétition, c’est le constat d’une absence de réponses structurelles malgré l’abondance de données alarmantes. Les décideurs reconnaissent les défis, mais les solutions restent trop timides. Je veux mobiliser, sensibiliser et pousser à l’action. 

Desk Femme : À quoi vise précisément cette pétition ?

Mariette Mwesha : Cette pétition vise une réforme structurelle de la gouvernance jeunesse. Il ne s’agit pas de multiplier des actions ponctuelles, mais d’instaurer un système durable où les jeunes deviennent de véritables acteurs de développement. Je propose d’intégrer des experts jeunes dans les ministères clés (éducation, emploi, PME, fonction publique, santé, agriculture, numérique) avec une coordination rattachée à la Présidence. Ce modèle permettra d’avoir des politiques concrètes, bien suivies et mieux mises en œuvre, au lieu de rester dans des discours ou des plans sans lendemain. 

Desk Femme : Plus de 60% de Congolais ont moins de 25 ans. Pourquoi cette jeunesse demeure-t-elle marginalisée ?

Mariette Mwesha : la RDC est un pays extrêmement jeune, avec un âge médian de 15,8 ans. Pourtant, cette majorité démographique reste en marge. Plusieurs facteurs l’expliquent : les décideurs sous-estiment encore les risques liés à l’exclusion de la jeunesse, la société condamne souvent leurs comportements au lieu de les comprendre ou de les accompagner, la précarité les rend vulnérables aux manipulations politiques, les politiques publiques sont fragmentées, mal coordonnées, et les jeunes sont rarement impliqués dans la décision, aussi le pays n’exploite pas son dividende démographique. Le potentiel d’innovation, de leadership et de mobilisation des jeunes est immense, mais sans politiques transversales et stratégiques, il reste sous-utilisé.

Desk Femme : Quelles réformes permettraient d’adapter le système éducatif aux réalités économiques ?

Mariette Mwesha : le système éducatif congolais reste trop théorique. Les programmes ne suivent pas l’évolution du monde contemporain. Les jeunes sortent de l’école sans être préparés à créer ou prendre un emploi. L’offre d’écoles techniques est insuffisante, et les formations professionnelles ne sont pas valorisées. Les stages, censés être un lien entre l’école et le monde du travail, sont souvent une simple formalité.

Pour réformer, il faut adapter les programmes aux réalités économiques, renforcer les écoles techniques, moderniser les infrastructures et valoriser ces filières, prolonger et structurer les stages pour en faire de vraies expériences pratiques, former continuellement les enseignants ainsi qu’introduire des séminaires pratiques et encourager le travail en équipe pour développer réseau, collaboration et esprit d’initiative.

Desk Femme : Comment instaurer un recrutement public basé sur le mérite ?

Mariette Mwesha : il faut une plateforme numérique nationale dédiée aux recrutements publics, avec transparence totale : offres, critères, responsabilités, modalités de sélection. Mais la technologie ne suffira pas. Il faut aussi un changement de culture politique. Aujourd’hui, beaucoup de diplômés sont au chômage alors que l’État paie encore des personnes absentes de leurs postes. On ne récompense pas la compétence. Une réforme durable implique transparence, méritocratie et intégrité dans toute la chaîne décisionnelle.

Desk Femme : L’État a-t-il une véritable stratégie contre le chômage des jeunes ?

Mariette Mwesha : il faut reconnaître certaines initiatives positives : l’ENA, le Plan décennal de réforme de la fonction publique, le PRONADEC, le FOGEC, l’ARSP, ou encore la Table ronde sur l’emploi des jeunes. Mais ces efforts restent insuffisants sans une vision économique cohérente. Il faut industrialiser le pays, diversifier l’économie, attirer les investisseurs grâce à un climat des affaires stable, renforcer l’entrepreneuriat local, réguler les recrutements dans les ONG et entreprises étrangères ainsi que miser sur le numérique, domaine où mes recherches identifient un fort potentiel. La RDC ne manque pas de stratégies, mais de mise en œuvre.

Desk Femme : Pourquoi supprimer le ministère de la Jeunesse et le remplacer par des experts intégrés dans les ministères ?

Mariette Mwesha : ce ministère, tel qu’il existe, est symbolique mais inefficace. Il n’a aucune autorité sur les autres ministères alors que les enjeux jeunesse sont transversaux. Intégrer des experts jeunesse dans chaque ministère avec une coordination à la Présidence donnerait du poids à leurs recommandations. Ce système obligerait chaque ministre à rendre compte de l’impact de ses actions sur les jeunes. C’est un modèle technique, stratégique et orienté résultats, et non politique.

Desk Femme : Certains diront qu’il s’agit d’une solution radicale … Comment convaincre ?

Mariette Mwesha : Radical ne veut pas dire irréaliste. Ce qui est utopique, c’est de penser que répéter les mêmes méthodes produira des résultats différents. Le ministère de la Jeunesse existe depuis des décennies, sans impact notable. Cette réforme s’inspire de modèles appliqués ailleurs. Elle est faisable : il existe déjà une conseillère du Président en matière de jeunesse. Ce modèle ancre la jeunesse dans tous les secteurs, avec des mécanismes de redevabilité.

Desk Femme : Un message aux jeunes filles ? 

Mariette Mwesha : Mon message à la jeunesse est simple : ne restez pas spectateurs de votre avenir. Prenez action. Mobilisez-vous pour le changement que vous souhaitez. Ne vous laissez pas manipuler par des discours creux ou des promesses sans lendemain. Inspirez-vous de ce que font les jeunes ailleurs pas pour copier, mais pour adapter, pour créer des solutions enracinées dans nos réalités. Aux filles, je dis : votre voix compte. Votre place est légitime. Ne laissez personne vous faire croire que vous devez attendre qu’on vous donne la parole. Prenez-la. Construisez. Influencez. Et surtout, restez solidaires.

Il faut noter que Mariette Mwesha est une activiste congolaise, ancienne pilote de U-Report de l'UNICEF, et diplômée de l'Université Catholique de Bukavu. Elle est titulaire d'une bourse Mandela Washington Fellowship 2025, doctorante en développement, et a été reconnue comme citoyenne d'honneur à Tulsa, aux États-Unis. Elle est aussi reconnue pour son engagement dans le développement communautaire et la jeunesse, en mettant l'accent sur l'éducation et la communication. 

Propos recueillis par Déborah Misser Gbalanga (Stagiaire)