Est de la RDC: complaisance de la communauté internationale, enlisement des processus de paix et faux pas du gouvernement ... à la base de l'escalade (Jason Stearns, directeur du GEC)

Les combattants du M23 à Kibumba
Les combattants du M23 à Kibumba

Alors que la communauté internationale et les pays de la région appellent à une reprise du dialogue entre Kinshasa et Kigali, la situation reste bloquée, notamment en raison de l’annulation de la réunion tripartite de Luanda. Si Kinshasa reste attachée au processus, Paul Kagame s’en distancie, multipliant les critiques à l’encontre de cette médiation dirigée par l’Angola.

Après la prise de la ville de Goma par la rébellion du M23 soutenue par le Rwanda renforçant son expansion ou sa zone d'influence dans la province du Nord-Kivu, Jason Stearns, chercheur et directeur du Groupe d'étude sur le Congo (GEC), a dans un X Space organisé par l’institut de recherche Ebuteli et ACTUALITE.CD vendredi 31 janvier, livré une analyse sur l'avenir des processus de paix relatifs à la crise de la RDC.

"Je pense que le processus de Luanda est plus au moins mort, Paul Kagame n'était pas content avec le leadership du président João Lourenço, il a suggéré des autres facilitateurs ou médiateurs y compris le président turc, y compris le président de la Mauritanie qui est toujours pour quelques semaines à la tête de l'Union africaine. Vous avez vu que le Président Tshisekedi a refusé par exemple l'offre de la facilitation du président Ruto tout récemment", a-t-il fait savoir lors de son intervention.

Jason Stearns estime que les cartes devaient désormais se jouer en dehors du continent africain.

"Je pense que ce n'est plus sur le continent que ça va se jouer, c'est maintenant à l'extérieur, on est en train finalement de voir les bailleurs des fonds maintenant en train de revoir et réévaluer le paquet qu'ils donnent au Rwanda, on a vu aujourd'hui une déclaration de l'Union européenne pour dire qu'ils vont réévaluer leur soutien au Rwanda, on a vu même déclaration des allemands, de la Grande Bretagne et on attend de voir la réaction des autres pays aussi", a-t-il ajouté.

La Communauté Internationale trop complaisante envers le Rwanda

Le directeur du Groupe d’étude estime que la communauté internationale se montre complaisante vis-à-vis du Rwanda contribuant à l'aggravation de la crise. 

"Je pense qu'il faut plonger un peu dans l'histoire pour comprendre comment nous sommes arrivés ici. Je pense qu'il y a la complaisance de la communauté internationale vis-à-vis du Rwanda. Si on compare avec l'attaque de M23 première version 2012-2013 quand ils ont aussi pris Goma en 2012, les bailleurs des fonds déjà à trois ou quatre mois après le début de la rébellion avant la prise de Goma, avaient coupé 240 millions USD d'aide au Rwanda. Ce qui a eu un impact direct et le M23 n'a duré qu'un an et demi à cette époque-là", a indiqué Jason Stearns, chercheur et directeur du Groupe d'étude sur le Congo (GEC).

Cette fois-ci, Jason Stearns note une augmentation d’appui extérieur en faveur du Rwanda en dépit de son soutien avéré à la rébellion du M23.

"Aujourd'hui nous sommes dans la quatrième année de cette rébellion de M23 et l'aide envers le Rwanda n'a fait qu'accroître, il y a un gros accord avec l'Union européenne qui a été signé 900 millions USD d'investissement au Rwanda, il y a un soutien de l'Union européenne à l'armée rwandaise au Mozambique de l'ordre de 40 millions d'euros, la Grande-Bretagne a versé 360 millions USD pour un deal qui concerne les demandeurs d'asile en Grande-Bretagne etc. Et donc, c'est assez contraire à ce qui se passait en 2012 et 2013. Je pense que cela a contribué au fait que les rebelles avec le soutien de l'armée rwandaise qui est beaucoup plus grande qu'à l'époque de 2012-2013 a su avancer, progresser et contrôler", a-t-il illustré dans son intervention.

Enlisement des processus de paix

Les processus de paix engagés pour résoudre la crise ont aussi contribué à l'escalade de la violence.

"Il y avait deux processus: de Nairobi au niveau national et le processus de Luanda pour le niveau régional surtout pour les pourparlers entre le Rwanda et les congolais de la RDC. Le processus de Luanda était arrivé presque à un accord de paix d'ailleurs les délégations étaient parties à Luanda en décembre pour signer l'accord de paix, il y avait un concept opérationnel déjà sur la table pour que le gouvernement congolais attaque les FDLR et le gouvernement rwandais retire ses troupes. Le deal était presque prêt et puis tout est tombé dans l'eau, à la dernière minute le président Kagame avait refusé de signer ce deal, et très vite après l'escalade a commencé", a rappelé ce chercheur.

Exploitation de la transition américaine

Selon ce chercheur, le régime de Kigali, soutien numéro Un du M23 a profité des élections américaines pour faire avancer son mouvement sur terrain.

"Le pays qui était le plus critique envers le Rwanda, le plus critique en tout cas parmi les bailleurs des fonds, c'était les États-Unis d'Amérique qui avaient depuis 2022 dénoncé le soutien rwandais au M23. Le président Biden a perdu les élections aux USA et on se trouve jusque-là dans une période de transition aux États-Unis où il y a le nouveau pouvoir, il y a un certain vide, ça donne une opportunité, une fenêtre d'opportunités pour certains pays pour le cas précis pour le Rwanda", selon M. Stearns.

Il a poursuivi:

"Je pense que ça a contribué à cette escalade, ils ont envoyé des troupes pour prendre d'abord Ngungu, ils sont descendus à Minova pour ensuite prendre Sake et Goma, ils avancent vers le Sud donc pour vite terminer avec cela".

Les erreurs et faux pas du gouvernement

Par ailleurs, Jason Stearns a abordé les failles du côté du gouvernement à la base de l'escalade des violences.

"On évalue les troupes de M23 ensemble avec l'armée rwandaise à peu près à 10.000 à 12.000 hommes, ça peut être un peu moins un peu plus la moitié au moins de l'armée rwandaise. L'armée congolaise compte 120.000 hommes et l'armée congolaise à cause de ses faiblesses institutionnelles qui sont bien connues, la prolifération des chaînes de commandement, la corruption, a dû chercher des alliés donc ce n'est pas seulement les 120.000 hommes, il y a des burundais qui les ont rejoints sur les fronts", a-t-il souligné.

Il a poursuivi :

"Il y a une mission de la SADC surtout avec les Sud Africains mais aussi les Tanzaniens et Malawites qui sont là aussi sur le terrain et la Monusco qui a prêté main forte, il y a les miliciens wazalendo qui ont été inclus au sein de l'armée à travers la réserve de l'armée de la défense qui sont aussi là sur le terrain. Je pense c'est aux côtés militaires qu'il faut aussi voir les faiblesses, il y a des faux pas diplomatiques c'est sûr mais aussi côté militaire je pense qu'il y a beaucoup à refaire, il faut une vraie auto évaluation du gouvernement et de l'armée par rapport à ce qui n'a pas marché".

La prise de Goma par les forces M23-AFC-RDF aggrave la crise sécuritaire, humanitaire et économique dans la région. Les combats ont intensifié la détresse des populations locales, et Félix Tshisekedi a annoncé une riposte militaire pour récupérer les zones occupées.

Clément MUAMBA