Programme scolaire : la langue, un vrai défis pour la réforme du système éducatif - Entretien avec Yann Kheme, enseignant d’école secondaire

Les élèves dans une salle de classe
Illustration. Les élèves dans une salle de classe/Ph. droits tiers

Les élèves congolais ont repris le chemin de l’école ce lundi 4 septembre. Une nouvelle campagne qui est lancée jusqu’en juillet 2024, comme dans l'accoutumée. A cette occasion, ACTUALITE.CD a interrogé un enseignant d’école secondaire qui baigne le système éducatif congolais. L’une des plus grandes réformes, évoque-t-il dans cet entretien, est de trouver une place pour les langues congolaises dans l’enseignement.

Yann Kheme enseigne le cours de français et de littérature au collège Cartésien à Kinshasa, il est également écrivain. Il est partant pour 8h de cours de qualité pour sortir du schéma colonial de formation des élites.

ACTUALITE.CD : L’année scolaire a débuté officiellement ce lundi 4 septembre, quel peut être votre vœu, une chose que vous aimeriez qu’elle soit faite en cette édition 2023-2024 ?

Yann Kheme : Aucun vœu. Sauf sans doute des défis. Parmi ceux que je compte relever, il y a développer l'esprit critique des apprenants.

Vous avez déjà feuilleté le programme scolaire des matières à enseigner aux enfants. Est-ce qu’il y a du nouveau ou bien on prend les mêmes et on recommence ?

Il faut préciser que les réformes pour ce qui est de l'enseignement du français ont été opérées il y a quelques années, notamment sur le plan de la méthodologie. Actuellement, c'est la méthode SESAM qui est utilisée dans l'enseignement-apprentissage du français. Il faut avouer que ces réformes ont permis de repenser autrement l'enseignement de la langue française à des enfants dont la plupart n'ont pas cette langue comme langue maternelle. Il vient résoudre le problème entre autres du manque de documents authentiques à utiliser et de leurs variétés, surtout dans les milieux défavorisés.

Aujourd'hui, tout document, qui peut de transmettre une information peut être exploité en classe de langue comme "texte". Il peut s'agir des planches de BD, des discours, des extraits de textes littéraires, des documents audios, etc. Et dans les classes, un accent particulier est mis sur le travail collaboratif. Les enseignants sont encouragés à faire travailler les élèves dans les groupes pour développer en eux des compétences. C'est des initiatives louables, en effet. Il faut l'avouer cependant, la tâche n'est pas toujours facilitée, surtout dans les classes à grand effectif.

Vous avez la responsabilité de former les élites congolaises de demain. A priori le système éducatif dans lequel nous évoluons depuis des années ne facilite pas cette formation, est-ce que vous avez la même impression ?

Il ne s'agit pas d'impression, il s'agit des faits. Notre système éducatif devient de plus en plus inadapté au type d'homme à former pour le Congo. Le professeur Bienvenue Sene Mongaba a toujours prêché dans son désert, de son vivant. « Il faut réformer l'école ou la fermer ». Les langues sont les véhicules de transmission de connaissances. Aussi longtemps que nous continuerons à enseigner en français à des apprenants dont les schémas mentaux de réflexion passent par nos langues, nous continuerons à déplorer le problème de niveau de l'élève finaliste du secondaire incapable de poser un problème et de tenter de le résoudre “en français” dans une production écrite. Alors que le problème est en grande partie cette langue d'acquisition du savoir intellectuel. Mais que voulez-vous ? La Constitution consacre le français comme langue officielle et les programmes scolaires allouent à peine quelques créneaux pour l'apprentissage des langues nationales.

Quelle est la réforme qui peut bien être adaptée pour que l’école ne soit pas une simple formalité pour obtenir un papier qui est le diplôme d’Etat ? 

C'est des réformes liées aux langues d'enseignement. Elles ne viendront pas résoudre tous les problèmes mais elles auront le mérite de rétablir un certain ordre et de nous sortir du paradoxe colonial et de l'impasse.

La plupart d’écoles considèrent que les langues étrangères sont les langues d’avenir et les intègrent dans leur programme. Par ailleurs, certains observateurs pensent que nos langues sont mieux adaptées pour transmettre des connaissances aux congolais. Comment analysez-vous la situation ?

Je penche plus pour la seconde opinion même si les deux peuvent se compléter. C'est suite à ces divergences que l'on propose actuellement que les élèves congolais apprennent dans les langues du cœur. Les Etats qui l'ont compris ont bâti ainsi leur système éducatif. Curieusement, on aime tout copier chez les autres, mais ça, nous n'avons pas été assez indépendants pour nous en inspirer. 

On ne demande pas de négliger l'apprentissage des langues internationales qui ouvrent des fenêtres sur le monde : l'anglais, le français, le chinois, l'espagnol, etc. Mais il s'agit ici de laisser le soin aux langues congolaises d'être les véhicules des cultures et donc, de la connaissance auprès des élèves qui ont ces idiomes comme langues maternelles. Nombrilisme ? Loin s'en faut.  Identité? Justement. Ces propositions ne sont pas nouvelles. Elles ont été formulées il y a longtemps et reposent quelque part dans les tiroirs des décideurs. Mais le problème, comme on le constate, est plus qu'une question congolaise. C'est un problème de puissance, de domination, d'intérêt, de géopolitique, etc.

Vous enseignez dans un établissement privé, où il y a plus d’innovations que dans le secteur public. Les enfants formés dans cet autre contexte ont-ils une avance dans la société par rapport aux autres ?

Absolument. Pour prendre juste un exemple, le programme du diplôme du baccalauréat international dans lequel j'enseigne « couvre une grande sélection de domaines d’études et a pour but d’encourager les élèves non seulement à développer leurs connaissances, mais également à faire preuve de curiosité intellectuelle ainsi que d’altruisme et de compassion. Ce programme insiste fortement sur le besoin de favoriser, chez les élèves, le développement de la compréhension interculturelle, de l’ouverture d’esprit et des attitudes qui leur seront nécessaires pour apprendre à respecter et à évaluer tout un éventail de points de vue. C’est ce vaste éventail de matières qui fait du programme du diplôme, un programme d’études exigeant conçu pour préparer efficacement les élèves à leur entrée à l’université », Guide de langue A : langue et littérature p. 2

Les retours que nous avons des universités dans lesquelles sont inscrits nos élèves qui ont suivi ce programme sont plutôt encourageants. Ces élèves qui deviennent étudiants ont un parcours reluisant et sont félicités.

Etes-vous favorable à la réduction des heures des cours tels que les mathématiques pour balancer avec les cours comme le civisme, l'entrepreneuriat, l’environnement, la biologie, etc qui touchent directement à la vie ?

Non, je suis plutôt favorable à un programme qui alloue un grand temps à l'apprentissage des mathématiques. Il est en effet possible d'avoir un programme qui met en avant la formation des apprenants dans les sciences tout en accordant de la place au civisme et à l'entrepreneuriat, l'environnement, etc. Mais on ne peut mettre la charrue avant le bœuf. En éducation comparée, les faits montrent que la Chine, à titre illustratif, s'est développée et est devenue une puissance économique aujourd'hui grâce à l'apprentissage intensif des mathématiques. Des apprenants chinois que j'ai eu à enseigner l'ont confirmé et s'étonnent que notre système n'accorde pas beaucoup de temps aux mathématiques.

Donc, on ne se développe pas actuellement en maîtrisant seulement ses droits civiques ou en acquérant des compétences en entrepreneuriat ou uniquement en maîtrisant les langues, en négligeant les mathématiques. Il faut que les autres puissent aussi de temps en temps nous servir de modèle. Mieux, je proposerai que les horaires de cours soient revus à la hausse. De 7h à 12h, on n'apprend plus. Huit heures de cours ne feront de mal à personne.

Propos recueillis par Emmanuel Kuzamba