Le M23 soutenu par l’Armée rwandaise contrôle la cité douanière de Bunagana (Nord-Kivu) depuis le 13 juin 2022. Ni les FARDC ni la force régionale de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (EAC) ne sont parvenues à déloger les insurgés, un statu quo qui inquiète à six mois des élections générales. Pourquoi la situation perdure? Pourquoi le M23 ne cède-t-il pas le contrôle total de Bunagana aux troupes ougandaises (EAC)? Quelles pistes pour sortir de la crise ? ACTUALITE.CD a donné la parole à un spécialiste de la région.
Christoph Vogel a été membre du Groupe d’Experts des Nations unies sur la RDC en 2016 et 2017. Enseignant-chercheur, il s’est spécialisé depuis 2008 sur la compréhension des dynamiques de conflit en Afrique centrale. Il a écrit notamment « Conflict Minerals, Inc.: War, Profit and White Saviourism in Eastern Congo (African Arguments) ».
Qu’est-ce qui explique ce statu quo? Pourquoi la situation n'évolue-t-elle pas?
La situation perdure pour un tas de raisons différentes. Je vais en choisir deux, c'est au niveau national et régional. Il y a l'intransigeance des acteurs clés d'un côté le M23 et de l’autre le gouvernement congolais, mais aussi de leurs soutiens et alliés respectifs. Et cette intransigeance se remarque essentiellement par une escalade verbale qui a eu lieu au courant de l'année passée et au début de cette année avec quelques moments d’accalmie, mais pas vraiment un renversement vers un débat plus constructif. Cela est bien sûr aussi accompagné par des actions militaires sur le terrain souvent provocateurs. Le deuxième point, c'est, je dirais, l’inertie de la communauté internationale avec comme face visible pour l'instant, des organisations régionales qui ont un peu pris le relais des organisations multilatérales et internationales, mais aussi avec des stratégies assez similaires. Il y a par exemple la MONUSCO qui pendant 20 ans, n'a pas réussi du tout à mettre fin aux conflits. On voit maintenant aussi des efforts régionaux qui ont plus de succès dans les stratégies pour geler les conflits que pour trouver ou forger une issue véritable.
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Pourquoi le M23 ne cède-t-il pas le contrôle total de Bunagana aux troupes ougandaises (EAC)?
Je pense à plusieurs raisons. Le M23, dans le cadre du déploiement est-africain, a cédé certains endroits et d'autres non. C'est la même chose pour la zone autour de Bunagana que pour d'autres zones, notamment celles situées près de Goma. Je pense que là, on est aussi dans un jeu plutôt tactique, où tout le monde essaie un peu de jouer, de faire semblant en quelque sorte de s'engager dans un processus régional, mais sans pour autant faire des concessions qui font trop mal. Pour le cas du M23 23 ça signifie céder le contrôle de certaines localités lorsqu’en même temps on peut aussi renforcer le contrôle sur d'autres parties du territoire. Clairement, Bunagana est un lieu clé, c'est une frontière très importante de la RDC. C'est un lieu qui est assez proche aussi des bastions historiques de la rébellion.
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Quelles pistes pour sortir de la crise ?
Comme d'habitude, ce n'est pas évident parce que là on a quand même observé une montée de la crise qui est en fait une crise particulière, celle dite du M23 dans un ensemble de crises beaucoup plus vastes qui couvrent un peu tout l'est du pays. Le deuxième point qui rend la chose plus difficile, c'est aussi cette intransigeance, l’absence de la volonté de différents acteurs de poser des actes de bonne volonté ou d'en fait donner un peu un bénéfice du doute à différents processus engagés. Et ça se fait remarquer d'un côté par le refus, pas forcément des concessions, mais le refus général de même s’asseoir autour d’une table du côté de Kinshasa. Cela se voit aussi par cette stratégie du M23 qui affirme avoir effectué un retrait en faveur de la force régionale EAC alors qu’il ne s’agit pas vraiment d’un retrait total. Il y aussi le Rwanda qui trouve une légitimité à l’action du M23, ce qui met ce pays dans les rangs des alliés du M23 au moins politiquement même s’il nie son implication dans la crise actuelle. On se retrouve dans une crise qui s’incruste dans une crise plus large au niveau sous-régional. Un premier pas serait de parvenir au respect d’un cessez-le-feu afin de donner un peu de répit à ces communautés qui ont assez souffert.
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