Emily Maltman: Il est difficile de soutenir les actions de l’état de siège ou encore les offensives conjointes FARDC-UPDF sans la présentation d’un plan 

Emily Maltman
Emily Maltman

Comme tous les ans, la journée des droits de l’homme est célébrée ce 10 décembre, jour anniversaire de l’adoption en 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration universelle des droits de l’homme. A cette occasion, la rédaction de ACTUALITE.CD a reçu l’ambassadeur du Royaume-Uni en RDC, Emily Maltman.

Avec Cléopâtre Iluku, elle évoque les avancées et les défis dans le secteur des droits de l’homme, les violences basées sur le genre, l’état de siège, les opérations militaires conjointes FARDC-UPDF et beaucoup d’autres sujets. Claire et précise, elle donne la position de son gouvernement et sa lecture des évènements en RDC.

Journée internationale des droits de l'homme. Emily Maltman, vous êtes en poste en RDC comme ambassadeur depuis avril 2020. Quel tableau dressez-vous  de la situation des droits de l’homme?

Le Royaume-Uni se positionne comme un grand défenseur des droits humains en RDC et dans le monde. Nous avons une grande histoire avec les libertés civiles depuis plusieurs siècles. C’est cela qui a fondé notre nation et qui caractérise le dialogue avec d’autres peuples. En RDC, c’est vrai qu’il y a encore beaucoup de choses à faire dans plusieurs domaines dont la justice, les droits des femmes et des enfants. C’est vrai aussi qu’il y a eu des progrès cette année. On a vu des procès contre des seigneurs de guerre. Il y a maintenant des condamnations de ces seigneurs de guerre pour les violences faites aux femmes. C’est une grande avancée. 

Aujourd’hui, c’est la journée internationale des droits de l'homme mais aussi celle de la clôture de la campagne 16 Jours d'activisme contre la violence basée sur le genre. On vous sait également très sensible à cette question.

Il faut mettre fin à la violence contre les femmes et les filles. Pour cela, il faut lutter contre l’impunité. En RDC, des membres des forces de sécurité sont responsables des violences. Il faut arrêter cela. Il faut également progresser dans la promotion de l’éducation des filles. C’est essentiel pour qu’elles contribuent à l’avancement du pays, mais aussi pour qu’elles comprennent leurs droits. 

Quelle est la priorité aujourd’hui? 

Il y a beaucoup d’effort à fournir pour améliorer le secteur de la justice, la formation de la Police pour la prise en charge de ces cas. Le Royaume-Uni est impliqué dans la réponse à apporter aux survivantes particulièrement dans le secteur de la santé et de l’appui psychosocial. Nous sommes aussi focalisés sur l’accès à la justice. Nous avons à cet effet des projets dans l’Est de la RDC pour soutenir les femmes qui veulent porter plainte suite à une violence sexuelle. Il y a des cliniques mobiles qui apportent des conseils juridiques. C’est important qu’elles comprennent leurs droits et les mécanismes de la justice. C’est également important d’appuyer la police et les officiers de justice dans la prise en charge de ces cas. Il faut aussi promouvoir le respect de la femme dans la culture et la vie de chaque jour. Il y’a également des réponses immédiates à apporter. Comme ce que nous faisons dans le Nord-Kivu: réduire la distance entre les domiciles et les points d’approvisionnement en eau potable. Il faut aussi mieux éduquer les garçons sur cette question.

Y’a t-il une évolution ? 

Il y a de moins en moins des viols collectifs par exemple. On a connu dans ce pays des cas affreux: des villages entiers concernés par ces viols collectifs. On entend plus parler de cela au quotidien. Aujourd’hui, les femmes en parlent de plus en plus. C’est important de continuer cette lutte particulièrement la lutte contre l’impunité.

Droits de l’homme dans les provinces sous état de siège. Avez-vous des inquiétudes ?

Après six mois, malheureusement, on a pas vu la situation s’améliorer. Il y a beaucoup d’attente de la part de la population, mais pas encore d’action. C’est nécessaire d’avoir un plan concret de ce que le gouvernement va faire au niveau militaire, mais aussi côté stabilisation, développement, etc. C’est également important que l’état de siège n’aille pas en contradiction avec les droits humains. Malheureusement, le dernier rapport du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l'homme (BCNUDH) renseignent que les forces de sécurité sont aussi des acteurs des violations des droits de l’homme. C’est important que le gouvernement prenne ses responsabilités en sanctionnant les militaires responsables de ces actes. 

Concrètement, quel aurait été votre souhait? 

Nous aurons souhaité un plan concret du gouvernement qui voit comment les actions militaires vont être soutenues par des actions civiles, mais aussi un plan de sortie de cet état de siège. Il ne doit pas exister pour toujours. Il faut un plan. Ce plan peut être soutenu par des partenaires comme le Royaume-Uni. Sans plan, on ne saura pas apporter notre soutien parce qu’on ne connaît pas exactement les objectifs. Aussi, le gouvernement devrait apporter plus de ressources. Ce qui est fait jusqu’à présent n’est pas suffisant. 

Il y’a aussi les déplacés qui sont davantage des cibles des groupes armés.

C’est vrai la responsabilité première de sécuriser ces populations revient au gouvernement. Si l’état de siège a un plan clair sur comment avancer contre les groupes armés et stabiliser les zones après le travail militaire, cela peut aboutir à des zones plus sures pour ces populations. Ce n’est pas acceptable que les déplacés soient ciblés.

Les humanitaires sont aussi attaqués.

Il y a eu encore cette attaque contre un convoi du HCR escorté par la MONUSCO. Ce qui est frappant c’est de voir qu’un groupe armé a quand même ouvert le feu en dépit de cette sécurité. Il y a des blessés. La violence contre les humanitaires est un crime de guerre. Les responsabilités doivent être établies. 

Il y a également les opérations conjointes FARDC-UPDF. Avez-vous des inquiétudes ou des recommandations particulières? 

C’est une décision prise par les deux pays. C’est comme l’état de siège. Il faut avoir un plan bien élaboré avec des actions militaires ciblant les groupes armés, un plan qui protège les civils et favorise l’accès humanitaire, etc. Les opérations militaires sont peut-être une bonne chose, mais cela pourra être suivi par des efforts de stabilisation, de reinstauration de la sécurité et d’ouvrir des opportunités de développement. Il faut un plan compréhensif pour avoir un impact durable. 

Pour terminer, 2022 est une année pre-électorale. Des inquiétudes montent déjà concernant les diverses libertés dont celle d’informer.

La liberté de la presse doit être respectée chaque jour. Les journalistes et les autres membres de la société civile ont un rôle clé dans une démocratie. D’ici à la tenue des élections, il faudra garantir cette liberté. D’ailleurs, le président a apporté des garanties par rapport à la transparence du processus.

Peut-être un dernier mot?

C’est vrai qu’il y a des défis, mais il y a aussi des progrès. Nous avons vu des procès, des actions ont été enclenchées par le gouvernement. C’est important de redoubler ces efforts. Le Royaume-Uni reste un partenaire dans l’atteinte de ces objectifs. 

Entretien réalisé par Cléopâtre Iluku à retrouver ci-dessous en intégralité.