Journée internationale du travail: calvaire des fonctionnaires de l'État en chômage à Goma depuis l'arrivée de l'AFC-M23

L'emblématique rond-point "Chukudu" au centre ville de Goma
L'emblématique rond-point "Chukudu" au centre ville de Goma

Alors que le monde entier a célébré ce 1er mai la Journée internationale du travail, à Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo, la date n’a rien d’une fête pour de nombreux fonctionnaires de l’État en chômage. Depuis l’occupation de la ville par la rébellion de l’AFC/M23 appuyée par l’armée rwandaise depuis fin janvier dernier, ces agents vivent dans la précarité, sans emploi ni salaire, et appellent désespérément Kinshasa à l’aide.

Batundi Mwisha Pascal, ancien agent à la Direction générale des douanes et Accises (DGDA), n’a jamais repris ses fonctions depuis la chute de la ville de Goma aux mains des rebelles de l’AFC/M23. Cet événement, survenu dans un contexte de forte instabilité dans l’est du pays, a profondément bouleversé l’administration publique locale, forçant de nombreux fonctionnaires à fuir pour des raisons de sécurité. Depuis lors, Batundi Mwisha Pascal demeure absent de son poste, sans qu’aucune mesure officielle de réintégration ou de radiation ne semble avoir été prise à son égard.

« Notre quotidien est devenu un véritable cauchemar, toutes les activités sont paralysées. Nous, les agents sur le terrain, sommes abandonnés à notre sort, le silence de notre hiérarchie face à cette crise est inquiétant. Nous n’avons aucune information, aucun soutien, c’est comme si nous n’existions plus », a-t-il témoigné.

Et de poursuivre :

« Cela fait des mois que je suis sans travail, sans salaire, sans perspective. Comment peut-on vivre dignement dans de telles conditions ? Je demande aux autorités de ne pas nous oublier. Nous avons servi loyalement l’État. Il est temps qu’il nous tende la main, cette situation d’abandon est inacceptable. Nous avons des familles à nourrir, des responsabilités à assumer. Il faut rétablir nos droits », plaide-t-il.

Le même calvaire est vécu par Nzigire Kadesi Fabiola, veuve depuis onze ans et ancienne fonctionnaire au bureau du cadastre. Depuis l’occupation de la ville de Goma par l’AFC/M23, elle déclare n’avoir plus jamais remis les pieds dans son bureau.

« Depuis que la ville de Goma est tombée entre les mains du M23, on nous a demandé de faire preuve de patience, qu’il fallait attendre que les services soient réorganisés. Mais depuis, c’est le silence total, rien n’a changé, au contraire, notre situation ne fait qu’empirer. Personnellement, je ne parviens plus à scolariser mes enfants », confie-t-elle, visiblement frustrée.

Ntole Mushagalusa Célestin, ancien agent à la division de l’urbanisme, partage le sort incertain de nombreux fonctionnaires de Goma. Depuis la chute de la ville, il erre dans son quartier, sans perspectives claires de reprise de service ni reconnaissance institutionnelle de son parcours. Son quotidien est marqué par l’attente, l’oubli et une profonde incertitude quant à l’avenir de sa carrière, autrefois consacrée au service public.

« Depuis l’arrivée des rebelles, je ne travaille plus. Toutes les activités se sont arrêtées, et la vie est devenue très difficile. Le gouvernement nous a oubliés. Aujourd’hui, c’est la fête des travailleurs, mais pour moi, cette journée n’a plus aucun sens. Comment la célébrer alors que je suis sans emploi, sans ressources, et que ma famille souffre ? J’en appelle aux autorités de Kinshasa : qu’elles n’oublient pas que nous existons, qu’elles viennent à notre aide », lâche-t-il.

Même son de cloche au sein du gouvernorat du Nord-Kivu. Chantal Asifiwe Mukenyezi, agente à l’administration provinciale, dénonce ouvertement la marginalisation dont sont victimes les fonctionnaires restés à Goma, une zone toujours sous contrôle de la rébellion de l’AFC-M23. Selon elle, ces agents, pourtant restés sur place par devoir ou par impossibilité de fuir, sont ignorés par l’État central et privés de reconnaissance, de salaire régulier et de tout soutien logistique. Une situation qu’elle qualifie d’injuste et d’humiliante, alors que ces survivants de l'administration continuent tant bien que mal à faire fonctionner les services publics sous occupation.

« Aujourd'hui, c'est la Journée internationale du travail. Une journée qui devrait célébrer la dignité des travailleurs. Mais pour moi, elle a un goût amer. Je ne travaille plus. J’étais en service au Gouvernorat, mais depuis que Goma est tombée entre les mains du M23, nos vies ont été bouleversées. Le nouveau gouverneur nous avait mis en congé. Nous sommes nombreux à ne pas avoir pu rejoindre Beni, et nous restons sans salaire. Pourtant, nous n’avons pas fui nos responsabilités. Ce n’est pas par choix que nous sommes absents de nos postes. C’est la guerre qui nous a isolés, qui nous a coupés du reste du pays. En cette Journée du travail, je voudrais rappeler que nous, agents de l’État, restons des travailleurs, même en silence, même oubliés. Ce que nous demandons, ce n’est pas la charité, mais la reconnaissance de notre statut et de notre situation malgré la guerre », a-t-elle souligné.

Le 31 mars dernier, le gouverneur militaire du Nord-Kivu, le général-major Somo Kakule Evariste, avait signé une circulaire ordonnant la mise en congé technique de tous les agents n’ayant pas rejoint la ville de Beni, nouveau siège administratif de la province. Il évoquait une « cause de force majeure » justifiant la suspension des salaires. Mais cette décision avait été désavouée dès le lendemain par le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, qui a exigé l’annulation de la mesure. Pour lui, les conditions exceptionnelles de la région ne peuvent justifier l’abandon des agents publics.

Dès le 2 février, soit cinq jours après la chute de Goma, le gouvernement congolais avait promis d'assurer les prérogatives de l’État dans les zones sous contrôle rebelle, y compris le paiement des salaires. Trois mois plus tard, ces engagements n’ont toujours pas été respectés. Ce 1er mai, plusieurs agents de l’État vivant à Goma n’ont rien célébré. Leur seul souhait : retrouver leur dignité et que les autorités nationales assument enfin leurs responsabilités.

Josué Mutanava, à Goma