Nous trouvant à Kisangani en marge de la commémoration du Genocost ce 02 août 2024, nous avons suivi avec une attention soutenue les déclarations, actes et décisions autour de la gestion du Fonds d’indemnisation des victimes de la guerre de rwando-ougandaise.
En tant que citoyen épris de justice, ayant constaté des actions populistes, des contre-vérités et des violations de la loi dans la posture du gouvernement sur ce dossier, nous avons pris l’option de faire la déclaration politique qui suit à l’attention de la communauté internationale et nationale ainsi qu’à celle de la société civile de la Tshopo :
EN GUISE DE RAPPEL :
Le Fonds Spécial de Répartition de l’Indemnisation aux victimes des activités illicites de l’Ouganda, FRIVAO en sigle, est un Etablissement public à caractère social créé par le Décret n°19/20 du 13 décembre 2019.
Le FRIVAO a pour mission de répartir les indemnisations individuelles et collectives aux victimes et aux entités, publiques et privées, affectées par les activités illicites de l’Ouganda et ce, en exécution de l’arrêt de la cour Internationale de Justice rendu le 09 février 2022 dans l’affaire qui a opposé la RDC à l’Ouganda pour des faits intentionnellement illicites commis par l’armée Ougandaise entre 1998 et 2003 dans l’ancienne province orientale.
La Direction Générale de FRIVAO a lancé les opérations d’enregistrement et d’identification des victimes dont le total s’élève à 14.528 personnes parmi lesquelles 3.121 victimes ont été certifiées en mai 2024 comme éligibles à l’indemnisation selon les catégories (perte en vie humaine, blessés, perte des biens, maisons ou établissements endommagés).
6.215 personnes ont été convoquées soit pour consultation médicale, soit pour complément d’informations.
Alors que le processus d’indemnisation des victimes certifiées (3.121) se déroulait paisiblement aux guichets de la RawBank de Kisangani, le processus a été malencontreusement stoppé par le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux qui remit en cause ledit processus qui pourtant découlait du dispositif mis en place par l’arrêt de la Cour Internationale de Justice et le Décret qui a institué le FRIVAO.
Consécutivement à cette décision verbale, sur les 3.121 victimes certifiées qui devraient déjà percevoir leur indemnisation, seulement 101 victimes ont touché leur indemnisation.
Contrairement à la communication faite par le Ministre de la Justice faisant allusion à la somme de 250 $ allouée aux victimes, il convient de souligner que conformément à la réunion du conseil d’administration de FRIVAO tenue en mai 2024, la Ministre de la Justice sortante, Madame Rose MUTOMBO avait autorisé l’indemnisation symbolique des victimes certifiées comme suit :
- 1.040 $ pour chaque perte en vie humaine,
- 880$ pour chaque blessé grave ou mutilé,
- 700$ pour chaque maison endommagée,
- 400$ pour chaque blessé léger et
- 300$ pour chaque perte des biens.
Au regard de ce qui précède, nous alertons sur :
II. DE LA DOUBLE TUTELLE ET DU DANGER DE L’INTERFERENCE DU MINISTRE DE LA JUSTICE :
Le Frivao, établissement public à caractère social, est placé sous un regime juridique de double tutelle. Autant il dépend du ministère de la justice, autant, il relève également de celui des finances.
Cependant, il s’observe un activisme très poussé du seul ministre de la justice qui suscite des questionnements si l’on analyse les retombées de son immixtion dans le fonctionnement interne du Frivao, établissement jouissant d’une autonomie de gestion.
Il s’avère que si le Ministre de la Justice n’avait pas interféré dans la gestion de l’Etablissement public FRIVAO qui jouit d’une autonomie de gestion, toutes les victimes certifiées seraient déjà indemnisées à ces jours, la certification de tous les convoqués serait effective, l’identification des victimes des territoires de Banalia et de Bafwasende serait déjà aussi réalisée.
DE L’ILLEGALITE DE L’ARRETE DU MINISTRE DE LA JUSTICE :
Il y a lieu d’évoquer l’illégalité et l’irrégularité de l’Arrêté numéro 0033/CAB/ME/MIN/J§GS/2024 du Ministre de la Justice du 12 août 2024.
L’Arrêté susmentionné viole la Loi portant statut des Mandataires publics, le décret créant FRIVAO et l’Ordonnance du Président de la république nommant les membres de la Direction Générale du FRIVAO.
Déjà, sur la forme, ledit Arreté porte « SUSPENSION » et ne fait nullement allusion à une quelconque « DESIGNATION » dans son intitulé. Curieusement, dans sa substance, il suspend et désigne.
De surcroit, ledit Arrêté, suspend sans ouvrir une action disciplinaire ni délimiter dans le temps ladite suspension. A son Article 4, il va jusqu’à charger le Secrétaire Général à la justice de son exécution alors que les membres de la Direction Générale de Frivao ne relèvent pas de la fonction publique.
Quant au fond, les compétences étant d’attribution, ledit Arrêté ne s’appuie sur aucune disposition légale afin de fonder le pouvoir du Ministre de la Justice en cette matière.
De sa lecture, il ressort que de toutes les dispositions des lois étayées dans ses motivations, aucune ne constitue une base légale solide octroyant la compétence au Ministre en cette matière.
L’Article 1 Littera B point 5 de l’Ordonnance n°22/003 du 7 janvier 2022 fixant les attributions des Ministères visé dans les motivations concerne les attributions du ministre ayant les infrastructures dans ses attributions et non celui de la justice.
Les membres de la direction générale du FRIVAO ayant été nommés par Ordonnance Présidentielle, la suspension de ces derniers (qui est légale) ne laisse pas au ministre de la justice une carte blanche pour désigner, même à titre provisoire, des intérimaires pris à l’extérieur de Frivao. Un des membres du personnel administratif (le plus séant) de Frivao pouvait expédier les affaires courantes.
Comme si cela ne suffisait pas, en plus du Coordonnateur, du Coordonnateur Adjoint et du secrétaire rapporteur, le Ministre de la justice ajoute, en violation du cadre organique, un nouveau membre de la direction générale. Ainsi, le Ministre suspend trois mandataires mais nomme quatre intérimaires.
L’Arrêté décrié du Ministre de la Justice évoque l’ouverture d’une instruction judiciaire contre les membres de la Direction Générale comme seule motivation de fait de la suspension des mandataires, alors qu’il n’en est pas le cas. A ce jour, aucune instruction judiciaire n’est en cours contre les membres de la direction générale du Frivao.
De plus, cette motivation de fait est dépourvue de fondement et constitue un vide par le fait que l’Inspection Générale des Finances avait mené un contrôle financier pendant 30 jours au siège du FRIVAO à Kisangani sur réquisition du Ministre, l’IGF a présenté son rapport de mission au Ministre et autres institutions de la République. Ledit rapport n’a jamais parlé d’un quelconque détournement de l’argent des victimes. Les extraits des comptes avaient été levés par les inspecteurs et attestent que tout l’argent est consigné dans les comptes ouverts à la RAWBANK.
PAR CONSEQUENT,
Nous recommandons :
A Son Excellence Monsieur le Président de la république, d’instruire le chef du gouvernement de veiller à l’application stricte de la Loi et des actes ayant force de loi par les membres de son Gouvernement ;
A Son Excellence Madame la Première Ministre, d’instruire le Ministre de la Justice de reporter purement et simplement son arrêté dépourvu de tout fondement juridique ;
Au Ministre de la justice de reporter son Arrêté pour excès de pouvoir et illégalité faute de quoi des actions judiciaires en annulation seront initiées en vue de faire appliquer la loi.
Par Godefroy Kahambo Mwanabwato