RDC: mettre fin à l’impunité comme un des moyens de restaurer la sécurité dans l’Est du pays 

Des enfants déplacés puisent de l’eau sur un forage, Ituri, 2003. Crédit : Amnesty International
Des enfants déplacés puisent de l’eau sur un forage, Ituri, 2003. Crédit : Amnesty International

PAR JEAN-MOBERT SENGA

La résurgence du Mouvement du 23 mars (M23), un groupe armé qui prétend défendre les droits des Tutsis congolais dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a conduit les acteurs régionaux à relancer les efforts diplomatiques.

Ces initiatives qui visent à apaiser les tensions entre la RDC et le Rwanda ont été ravivées par la Communauté d’Afrique de l’Est, qui comprend sept États. Le Rwanda est accusé de soutenir la rébellion du M23. 

Les réponses politiques et militaires que propose la Communauté d’Afrique de l’Est ne tiennent cependant pas compte des causes profondes du conflit armé dans l’est de la RDC, notamment l’impunité généralisée dont bénéficient les responsables d’atteintes aux droits humains.

Les efforts actuels menés par le Kenya au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est, à laquelle la RDC a récemment adhéré, et par l’Angola dans le cadre de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, visent notamment à favoriser le dialogue entre les autorités de la RDC, les groupes armés agissant sur son territoire et le Rwanda. Ces démarches diplomatiques ont également un volet militaire, la Communauté d’Afrique de l’Est prévoyant de déployer une force régionale pour lutter contre les groupes armés réticents au désarmement volontaire.

Ces deux stratégies ne sont pas nouvelles. Au cours des dernières décennies, la RDC a initié ou participé à de nombreux processus politiques qui ont abouti à des accords de paix, à l’amnistie de membres de groupes rebelles ou à l’intégration de combattants dans les forces de sécurité de l’État.

Le M23 tire même son nom de l’un de ces accords, celui conclu le 23 mars 2009. Le groupe avait invoqué un sentiment de frustration suscité par les manquements du gouvernement de la RDC à respecter cet accord, notamment l’intégration des combattants dans l’armée de la RDC, pour justifier la reprise de ses opérations armées au Nord-Kivu entre mai 2012 et décembre 2013. 

Après la défaite du M23 par l’armée congolaise, soutenue par la Brigade d’intervention de la Force des Nations unies, des pourparlers sous médiation régionale et soutien international avaient abouti en décembre 2013 à la signature d’engagements renouvelés, appelés déclarations de Nairobi. Près de 10 ans plus tard, le M23 affirme recourir de nouveau à la violence parce que le gouvernement n’a pas respecté ses engagements de 2013, entre autres. C’est le jeu sans fin du chat et de la souris.

Les déclarations de Nairobi ont porté sur les problèmes de sécurité et de gouvernance, notamment en abordant la question des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR). Les FDLR sont un groupe armé opérant dans l’est de la RDC qui compte dans ses rangs d’anciens membres des Interahamwe et d’anciens soldats rwandais qui auraient été impliqués dans le génocide de 1994 au Rwanda, ainsi que des combattants qui n’y ont pas participé (notamment parce qu’ils étaient trop jeunes à l’époque).

Le recours aux moyens militaires pour faire face au conflit armé dans l’est de la RDC a été utilisé à maintes reprises. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Félix Tshisekedi en janvier 2019, pas moins de six opérations militaires ont été menées dans l’est de la RDC, notamment l’instauration de l’état de siège en mai 2021 dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, un dispositif qui est toujours en place dans la région et qui s’apparente à un état d'urgence. Parmi ces interventions figure également une opération militaire conjointe avec l’armée ougandaise lancée depuis novembre 2021.

Outre les armées congolaise et ougandaise, qui opèrent ouvertement dans la région, des forces du Burundi, du Rwanda et du Soudan du Sud y font régulièrement des incursions, parfois avec la bénédiction de la RDC, selon les rapports du Groupe d’experts des Nations unies sur la RDC. La force de maintien de la paix des Nations unies en RDC (MONUSCO), qui compte au moins 17 000 Casques bleus, est également déployée depuis plus de 20 ans essentiellement dans l’est du pays. Cependant, la situation sur le terrain pour la population civile n’a fait que se détériorer.

Les auteurs d’atteintes aux droits humains s’en tirent impunément

Depuis près de trois décennies, le fait d’amener les responsables de crimes graves commis dans l’est de la RDC à rendre des comptes n’a que rarement, voire jamais, fait partie des démarches prises pour mettre fin à la violence. 

Le protocole de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs relatif à la lutte contre l’impunité pour les génocides et autres crimes graves est resté lettre morte. Certains dirigeants en RDC et dans d’autres pays considèrent que le fait de poursuivre les auteurs de crimes graves nuirait aux efforts de paix et de stabilité, mais rien n’est moins vrai. Si on peut tuer, violer, détruire et piller illégalement, et s’en tirer à bon compte, alors pourquoi ne pas commettre à nouveau de tels crimes ?

L’impunité généralisée a favorisé la prolifération des crimes commis par les acteurs armés. Selon les Nations unies, les combattants du M23 ont tué au moins 25 civils au Nord-Kivu depuis le mois de mars, tandis que plus de 170 000 personnes, dont des dizaines de milliers d’enfants, ont été contraintes de fuir leurs foyers en raison des combats entre le M23 et l’armée congolaise. Aucune mesure politique ne peut améliorer efficacement la situation de la population dans l’est de la RDC sans aborder la question des atteintes aux droits humains commises par le passé, notamment celles recensées dans le rapport du Projet Mapping des Nations unies de 2010 sur la République démocratique du Congo, et sans garantir l’accès des victimes à la vérité et à la justice.

L’est de la RDC accueille des centaines de milliers de réfugiés rwandais, burundais et sud-soudanais qui ont fui la guerre et les persécutions dans leurs pays. Les groupes armés de ces mêmes pays profitent également de l’absence totale de contrôle de l'État dans la région et viennent s'y installer.

Pour instaurer une sécurité durable dans la région, les décideurs doivent veiller à ce que les responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres atteintes graves des droits humains commis à grande échelle en RDC depuis les années 1990 rendent des comptes. Cette mission doit être menée en tant que priorité absolue, avec un plus grand engagement que celui auquel nous assistons actuellement.

La communauté internationale et régionale devrait également faire pression sur le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi pour que la situation des droits humains s’améliore dans chacun de ces pays et que tous leurscitoyens et citoyennes puissent y exercer pleinement et pacifiquement leurs droits civils et politiques. Les discours politiques et les interventions militaires ne suffiront pas à eux seuls à résoudre le problème de la violence contre les populations civiles dans l’est de la RDC.

Jean-Mobert Senga est chercheur spécialiste de la République démocratique du Congo à Amnesty International.

Cette tribune est parue pour la première fois le 10 août 2022, en anglais, dans le Mail and Guardian.