
Par
Piaget Mpoto Balebo
Professeur en Relations Internationales à l’Université de Kinshasa et Expert en Diplomatie et Sécurité (piagetmpoto@unikin.ac.cd )
Depuis quelques décennies, un grand nombre de mots anglais s’ajoutent à notre vocabulaire d’année en année. Ce phénomène s’est amplifié depuis le début de ce siècle avec la mondialisation et l’émergence du langage d’internet.
Aujourd’hui, des milliers de mots anglais sont couramment utilisés dans le français. Il suffit de décoller de l’Aéroport International de N’djili pour constater l’omniprésence de l’anglais. À peine installé confortablement sur son siège, sans égard à la seule langue officielle de la RDC, l’hôtesse de l’air vous demande aimablement : « Do you want coffee or tea ? Chicken, beef or fish ? » Inutile de poursuivre la scène : nombreux sont ceux qui ont vécu et continuent de vivre ce malaise à la fois désagréable et handicapant.
De Kinshasa à Lubumbashi, en passant par Goma, les grandes villes congolaises voient se multiplier les écoles privées bilingues, souvent aux frais scolaires exorbitants. Pour les plus nantis ou les plus visionnaires, ils préfèrent y inscrire leurs précieuses têtes blondes afin qu’elles y soient formées, dès le bas âge, à la langue de Shakespeare.
Pour une embauche à Tshimbulu (Kananga), à Kingulube (Sud-Kivu) ou à Mokomu (Mai-Ndombe), là où personne ne parle anglais, les avis de vacance de poste dans le système des Nations Unies et certaines autres boîtes sont publiés en anglais et/ou exigent la maîtrise de cette langue comme condition sine qua non à l’embauchage, au grand dam de ceux pour qui le français est la seule et unique langue de travail.
D'aucuns n’ignorent que depuis plusieurs années, un besoin pressant se fait sentir dans les milieux politiques, scientifiques et populaires congolais : celui de faire de l’anglais la deuxième langue officielle de la République démocratique du Congo, avec, à terme, une possible adhésion au Commonwealth. De nombreux acteurs politiques, sociaux et scientifiques se sont exprimés à ce sujet. Cependant, au-delà d’une simple volonté ou d’un prestige linguistique, reconnaitre l’anglais comme seconde langue officielle de la RDC relève d’un véritable besoin national, porteur d’avantages incalculables dans plusieurs domaines.
Sur le plan communicationnel
Selon des données récentes, on compte environ 1,85 milliard de locuteurs anglophones dans le monde, dont quelque 450 millions de natifs, contre environ 321 millions de francophones. Ces chiffres, probablement sous-estimés pour l’anglais, témoignent de l’impact mondial de cette langue.
En ce XXIᵉ siècle, alors que la RDC lutte pour faire entendre sa voix sur la scène internationale, il devient impérieux de s’arrimer à l’anglais pour atteindre certaines sphères d’influence. Le public s’intéresse naturellement davantage aux informations publiées dans sa langue qu’à celles traduites, conformément à la maxime : « Celui qui traduit, trahit ». C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le drame que vit la RDC depuis environ 30 ans, dans sa partie orientale, est très peu connu par plusieurs nations du monde, le narratif congolais est à peine audible car présenté et défendu dans une aire linguistique très limitée.
Sur le plan économique et commercial
Sans pour autant minimiser le rôle de l’OIF, les pays du Commonwealth bénéficient d’avantages économiques et commerciaux indéniables par rapport à ceux de la Francophonie. Les géants économiques mondiaux, qu’ils soient anglophones ou non (Japon, Chine, États-Unis…), font du business en anglais. Les grandes places boursières du monde (Londres, New York, Hong Kong, Singapour, Tokyo)… fonctionnent essentiellement dans cette langue.
Avec ses minerais stratégiques qui sont d’une importance capitale dans le monde industrielle actuelle et du futur, son hydrographie qui fait saliver le monde, sa forêt qualifiée de deuxième poumon voire le premier selon certains facteurs et plusieurs de ses autres richesses, la RDC est appelée à être au centre de l’attention mondiale. L’utilisation de l’anglais de manière fréquente et officielle, constituera un atout majeur pour l’essor du pays. J’omets ici les aspects les plus connus tels que celui de la mondialisation et des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Sur le plan scientifique et éducationnel
Sur le plan scientifique, la comparaison entre le nombre de brevets déposés par les scientifiques anglophones et francophones est sans appel. La quasi-totalité des publications scientifiques de référence, des ouvrages et des appels à contribution se font en anglais. Participer à un colloque ou à une conférence internationale requiert la compréhension et la pratique active de cette langue, sans quoi l’on se contente d’un rôle passif et symbolique.
Les ouvrages des auteurs de renom et les travaux de recherches de qualité, toutes les références bibliographiques ainsi que les bourses d’études (Chevening pour les britanniques, Fullbright pour les américains et China Scholarship Council pour les chinois) sont publiés en anglais, les manifestations scientifiques, les appels à contributions, les revues les mieux cotées, et le symposium internationaux ne dérogent pas à la règle. Faire de l’anglais la seconde langue officielle de la RDC stimulerait le développement scientifique et technologique du pays, tout en offrant une meilleure visibilité aux chercheurs congolais.
Sur le plan éducatif, la meilleure façon d’introduire durablement l’anglais est de l’utiliser comme langue d’enseignement dès la maternelle, puis au primaire et secondaire, jusqu’à l’université. Aujourd’hui, seuls les enfants des familles aisées ont accès à des meilleures écoles anglophones et/ou bilingues. En faire une langue officielle permettrait de démocratiser cet accès, d’accorder la chance à tous les enfants, indépendamment de leur origine sociale, ethnique, et de leurs moyens financiers, de briser les barrières et les discriminations en vue de permettre à chacun de réaliser son potentiel sur la seule base de ses mérites et de son travail, bref, de doter tous les jeunes Congolais d’un outil d’avenir. Introduire l’anglais comme seconde langue officielle et la langue d’enseignement fera de ce dernier une arme d’avenir à la portée de tous les enfants, et non pas un privilège réservé à une infime caste de la population.
Sur le plan professionnel et technique
L’introduction de l’anglais comme langue officielle exigera une réadaptation progressive des agents publics et privés. L’État, en collaboration avec l’INPP et les entités territoriales décentralisées, devra mettre en place un vaste programme de formation. Les enseignants devront être formés pour enseigner non seulement l’anglais, mais aussi en anglais.
Sur le plan technique, la compréhension de l’anglais permettra aux professionnels (médecins, ingénieurs, informaticiens, chimistes, etc.) d’utiliser efficacement des outils et documents rédigés dans cette langue, ce qui représente aujourd’hui la norme internationale. C’est ainsi qu’il est constaté que la plupart des technologies de pointe viennent des pays comme la Chine, l’Inde, les USA, le Japon, la Corée, le Canada, la Grande-Bretagne etc. Et même les pays comme l’Allemagne, la France, l’Italie, le Brésil, la Russie…écrivent souvent leurs notices en anglais pour faciliter l’utilisation de leurs outils dans les pays qui les importent. La maitrise de l’anglais, bien plus qu’un simple choix majeur, devient une nécessité pour tout pays ambitieux.
Conclusion
En somme, il est impérieux de faire de l’anglais la seconde langue officielle de la RDC. Le monde contemporain impose une adaptation rapide aux mutations en cours. Si la RDC ne veut pas être au ban des puissances qui compteront sur la scène africaine et internationale, elle se doit de se mettre en ordre de bataille afin d’éviter de faire continuellement partie de la queue du peloton des puissances africaines et mondiales. Il est suicidaire de refuser d’élever l’anglais comme deuxième langue officielle et de ne pas s’inspirer de la quasi-totalité des pays voisins qui nous entourent, qui ont tranché depuis longtemps. Opter pour l’anglais, lingua franca, est la meilleure décision qu’il fallait prendre depuis. Il ne s’agit pas ici de l’anglais pour l’anglais car cela pourrait bien changer un jour pour devenir le mandarin ou l’espagnol, qui sait ?
Plus haut, nous avons énuméré quelques avantages que comporte l’adoption de l’anglais comme seconde langue officielle. Cette énumération quoi que n’étant pas exhaustive, donne un aperçu des progrès pouvant être réalisés une fois cette décision prise. Certes, si les intellectuels congolais entendent se plier aux exigences de la recherche scientifique et d’un monde de plus en plus globalisé, il devient impérieux que le grand Congo se mette dans l’air du temps.
Il serait, par ailleurs, assez naïf et imprévoyant de prétendre y arriver sans une planification conséquente et une volonté politique sans faille. La RDC se voulant grande dans l’Afrique de demain et ayant une vocation de grandeur, de par sa position géopolitique et ses richesses diversement immenses, ne doit pas se limiter dans les projections, à ne penser qu’aux aspects politiques, économiques, géographiques, etc. Intégrer la question cruciale de l’adoption de l’anglais comme seconde langue officielle et, à terme, la première, doit faire partie des politiques publiques des prochaines années. La finesse de la mise en œuvre de cette proposition dépendra de la clarté de la légifération et de la planification qui devront s’en suivre.