Jeux de la Francophonie: serons-nous prêts en 2022 ?

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Par Mabiala Ma-Umba, ancien Directeur de l’éducation et de la jeunesse à l’Organisation internationale de la Francophonie

C’est depuis le 02 juillet 2019 que le Conseil Permanent de la Francophonie (CPF) a attribué l’organisation des Jeux de la Francophonie à la République Démocratique du Congo (RDC). Depuis lors, les préparatifs piétinent, les comités d’organisation tournent en rond et se succèdent l’un après l’autre, dans un désordre organisationnel et financier effarant, donnant ainsi raison à ceux qui pensaient, à tort ou à raison, que la RDC serait incapable d’organiser, avec succès, un tel événement !  Aujourd’hui, le Chef de l’Etat, qui tient personnellement à ces Jeux, vient de désigner une nouvelle équipe, la cinquième en deux ans, pour piloter l’organisation de ces Jeux ! En dépit de cette indéniable volonté politique, à huit mois de l’événement, il faudrait un « miracle » pour que ces Jeux se tiennent aux dates prévues, c’est-à-dire du 19 au 28 août 2022.

L’obstacle majeur concerne les infrastructures susceptibles d’héberger les participants, artistes et athlètes. D’après le cahier des charges que la RDC a signé, la RDC doit mettre à la disposition des Jeux « un site d’hébergement unique, dénommé traditionnellement « Village des Jeux », sécuritaire, offrant une gamme de services et susceptible d’accueillir au moins 3500 participants et accompagnateurs ». Initialement, c’est le site de la foire internationale de Kinshasa (Fikin) qui avait été choisi mais, par la suite, le choix final a été porté sur le site du stade Tata Raphaël. Bien que signé dans des conditions opaques, un contrat avec des partenaires privés a permis, en avril 2021, de démarrer les travaux d’aménagement et de construction des infrastructures. Onze ou douze bâtiments de sept étages chacun devaient y être construits et livrés en avril 2022. Malheureusement, depuis quelques mois, les travaux n’avancent qu’à pas de tortue, probablement pour des raisons de décaissement des fonds. Quoi qu’il en soit, à ce stade, il est illusoire de croire que ces chantiers seront prêts avant le mois d’août 2022.

Il y aurait, semble-t-il, des options de rechange en guise de plan B : construire en  urgence des logements préfabriqués ou utiliser les logements des étudiants, notamment ceux de l’Université de Kinshasa ou, encore, réhabiliter le site de la N’sele. En réalité, aucune de ces options n’est viable eu égard aux délais et aux impondérables liés à chaque option. Compter sur ces options signifie organiser ces Jeux « vaille que vaille », courir le risque d’échouer et de mettre la crédibilité de la RDC en jeu. A ce stade, la seule option crédible est de solliciter auprès des instances de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) le report des jeux pour juillet/août 2023. Les instances de la Francophonie n’auront aucune raison de s’opposer à une telle requête si elle est bien motivée et surtout accompagnée d’un engagement politique que les délais seront respectés. La RDC pourrait d’ailleurs solliciter, à cette occasion, un accompagnement technique de la part du Comité international des Jeux de la Francophonie (CIJF).

Servir les intérêts stratégiques de la RDC

Certes, 2023 est une année électorale en RDC mais les élections ne se tiendront qu’en décembre, soit près de quatre mois après les Jeux de la Francophonie si ceux-ci se tiennent en juillet/ août. En reportant les Jeux de la Francophonie en 2023, le nouveau Comité National des Jeux de la Francophonie aura largement le temps de mettre de l’ordre dans les dossiers qu’il vient d’hériter et même de solliciter le concours de l’Inspecteur Général des Finances (IGF) pour vérifier la manière dont les  fonds ont été gérés par les précédents comités, depuis juillet 2019. Il est crucial que, pour des raisons de transparence, la gestion des fonds soit clarifiée, d’autant plus que les employés du Comité National des Jeux prétendent avoir des arriérés des salaires datant de 20 mois ou plus ! Reporter la date des Jeux permettra également au nouveau Comité National de renégocier le contrat de l’aménagement et de la construction des infrastructures et de repartir sur des bases saines, dans un partenariat public-privé gagnant-gagnant.  Enfin, reporter les Jeux en 2023 permettra à la RDC d’organiser les Jeux de la Francophonie non pas pour faire plaisir à l’OIF mais pour servir les intérêts stratégiques de la RDC et répondre aux besoins de la jeunesse congolaise.

En effet, rappelons qu’au départ, la candidature de la RDC avait été motivée par le besoin de replacer la RDC sur la scène internationale et que ces Jeux avaient été vus comme un « projet économique et  social », à l’instar du Mali qui, malgré la faiblesse de ses ressources, s’était porté candidat pour accueillir la Coupe Africaine des Nations de Football (CAN) en 2002. Pour le Chef de l’Etat malien de l’époque, Alpha Konaré, « la CAN était un projet économique ». Effectivement, grâce à la CAN, le pays s’était doté de routes et d’autres infrastructures, notamment hôtelières. Sur le plan économique, les retombées de la CAN 2002 furent inestimables pour le Mali! C’est dans cette perspective que nous avions personnellement initié et impulsé la candidature de la RDC et que nous avions mobilisé le soutien en faveur de Kinshasa. 

Pour nous, les Jeux de la Francophonie devaient être une opportunité pour la jeunesse congolaise de rencontrer d’autres jeunes  du monde, d’échanger avec eux, de nouer des liens de partenariat et de collaboration sur différentes préoccupations communes. Mais au-delà des échanges entre jeunes, les Jeux de la Francophonie constituent un événement politique, culturel et économique majeur.

Dans notre entendement, les Jeux constituent une opportunité de mobiliser la jeunesse congolaise autour des enjeux du numérique, du développement durable, des arts, de la culture et du sport, sur l’ensemble du territoire national et pas seulement à Kinshasa. En effet, les Jeux de la Francophonie ont la particularité d’abriter des compétitions sportives et un ensemble de concours culturels et scientifiques, en épreuves individuelles et collectives. A titre d’exemple,  les compétitions sur la création numérique et les projets de développement durable ont connu un immense succès lors des éditions précédentes des Jeux de la Francophonie. Ces jeux constituent donc une opportunité pour identifier et  promouvoir des jeunes talents dans différents domaines (en lien ou non avec les Jeux de la Francophonie) et de les soutenir de manière concrète. Par exemple, en amont des Jeux, le Ministère de la Jeunesse, Nouvelle Citoyenneté et Cohésion Nationale pourrait planifier un « Festival national des talents », une sorte de vitrine qui mettrait en valeur les nombreux talents dont regorge le pays. Au-delà de l’aspect évènementiel, les Jeux de la Francophonie devraient constituer une occasion d’actualiser la politique gouvernementale en matière de jeunesse et de sports et de se doter d’une feuille de route réaliste et consensuelle sur les questions de jeunesse et de sports.

Les Jeux de la Francophonie, c’est aussi un enjeu économique et social non négligeable : c’est indéniablement une opportunité d’améliorer certaines infrastructures (et pas seulement les sites sportifs), d’en construire de nouvelles et de rentabiliser celles qui existent. Comme dans le cas de nos Léopards, les Jeux peuvent contribuer à renforcer la cohésion nationale, le regain patriotique, l’unité nationale : dans cette perspective, la préparation des compétitions devrait, en effet, concerner toutes les provinces du pays et pas seulement la Ville de Kinshasa. Mais, au-delà des considérations patriotiques, divers événements culturels, économiques, scientifiques d’envergure nationale pourraient être planifiés en amont des Jeux, avec différents ministères, en partenariat avec des acteurs clefs du secteur privé et de la société civile ainsi qu’avec les agences de la coopération bi et multilatérale.

Accueillir, pendant une dizaine de jours, plusieurs milliers de visiteurs venant de tous les horizons du monde est une occasion que la RDC devrait saisir pour donner une impulsion à la politique touristique du pays. La tenue des Jeux constitue donc une grande opportunité à saisir pour redynamiser le tourisme et lancer des initiatives en direction de certains pays.

En marge des Jeux et en profitant de la dynamique que créeront les Jeux, le Ministère du Commerce Extérieur pourrait relancer la FIKIN comme un événement annuel majeur qui, jadis, avait été considéré, pendant longtemps, comme le baromètre de l’économie congolaise et un outil important de promotion du commerce extérieur. Si les installations de la FIKIN sont réhabilitées et que cette entreprise nationale relance ses activités, elle redeviendrait un outil précieux pour faire rayonner l’image de la RDC à travers le monde.

Définir notre doctrine par rapport à la Francophonie

L’attribution des Jeux de la Francophonie à la RDC (plus grand pays francophone après la France, en nombre de locuteurs réels) est une occasion propice pour lancer une réflexion stratégique sur le rôle et la place de la RDC au sein de la Francophonie. Cette réflexion stratégique est d’autant plus pertinente que l’OIF qui a  récemment célébré son cinquantenaire, se prépare à repartir sur de nouvelles bases, sous le signe du renouveau et de la refondation (cela tombe bien, puisque les Chefs d’Etat en discuteront lors du prochain Sommet de la Francophonie qui se tiendra en Tunisie en 2022).

Cette réflexion stratégique devrait permettre à la RDC de définir sa doctrine par rapport à la Francophonie, le rôle qu’elle souhaiterait jouer dans les prochaines années, les responsabilités qu’elle entend assumer, les bénéfices que le pays espère en tirer, les conséquences et les implications qui en découlent, les dispositions qu’il convient de prendre dans la conduite de la politique étrangère de la RDC ainsi que les structures internes qu’il convient de mettre en place pour soutenir l’engagement de la RDC vis-à-vis de la Francophonie. Cette réflexion ne devrait pas se limiter à la dimension politique ; elle devrait cerner tous les aspects de la coopération avec les Institutions de la Francophonie, y compris l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ainsi que les Conférences ministérielles permanentes (la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie– CONFEJES- et la Conférence des ministres de l’Education Nationale de la Francophonie - CONFEMEN), l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) et l’Association internationale des maires francophones (AIMF).

Enfin, l’organisation des Jeux de la Francophonie doit être vue comme un enjeu diplomatique important: c’est l’opportunité offerte à la RDC de redynamiser ses relations diplomatiques avec quelques Etats membres de l’OIF, sur les cinq continents, de renouer des liens de partenariat avec des pays comme la Roumanie ou la Bulgarie ou d’amorcer de nouvelles relations avec des pays plus lointains comme le Vietnam. En somme, l’organisation des Jeux de la Francophonie constitue une occasion pour la RDC de retrouver sa place et de renforcer sa présence au sein de la Francophonie.

 

15 novembre 2021 - MMU ([email protected] / +243 82 2628 494)