RDC-Ebola : trois réalités à retenir pour la 10ème épidémie qui a fait plus de 2 000 morts en près de deux ans

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La dixième épidémie d’Ebola aura été la plus meurtrière jusque-là vécue dans l’histoire d’Ebola en République Démocratique (RDC). Jusqu’au 24 juin, date de la fin du compte à rebours, l’épidémie qui s’est déclarée pour la première fois dans une région à forte densité démographique (Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri) a décimé 2 134 personnes sur les 3 324 cas confirmés, en près de deux ans (du 1er août 2018 au 25 juin 2020). La riposte contre cette épidémie a été aussi difficile que complexe, car confrontée à plusieurs défis : la forte mobilité de la population rendant la surveille difficile, la présence des groupes armés bloquant les interventions dans certaines zones, la résistance des populations provoquée par des spéculations politiques, la ruée des ONG ou des entraves à la culture des communautés, ainsi qu’Ebola Business, cette mafia qui a fait d’Ebola une affaire des gros sous. Mais les équipes se sont assorties, aussi bien grâce à une série de stratégies et d’actions combinées. 

ACTUALITE.CD qui a couvert les péripéties qui ont émaillés cette dixième épidémie d’Ebola vous livre les trois réalités à retenir.

Une épidémie dans une zone à risque

C’est le 1er août 2018 que la dixième épidémie d’Ebola a été déclarée à Mangina, une localité située à près de 30 Km à l’Ouest de la ville de Butembo (Nord-Kivu). Certes, un village, mais avec des connexions avec des centres urbains du Nord-Kivu (Beni, Butembo et Goma), de l’Ituri (région de Mambasa) et des pays étrangers (Mangina est à 100 Km de l’Ouganda).

Contrairement à l’Equateur où Ebola est né, dans l’Est du pays, le trafic des personnes est fréquent et intense : une forte mobilité qui explique aussi la progression rapide de la dixième épidémie d’Ebola, face aux défaillances du système de surveillance, obligé à s’adapter au pas de la progression. La forte mobilité n’était pas le seul risque. Il y a aussi eu l’insécurité. 

C’était la première fois au Congo qu’Ebola est déclarée dans une région parsemée des groupes armés. Mangina, d’où est partie l’épidémie, se trouve à Beni, zone confrontée à des conflits armés sans fin. Tenez, depuis 2014, les régions situées à moins d’une vingtaine de Km seulement de Mangina connaît une insécurité généralisée, dont une série des massacres sans précédent des civils que le gouvernement congolais attribue aux Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), un groupe islamiste entretenant des liens avec l’Ouganda. Mais au-delà des ADF, la région abrite également des groupes armés mai-mai, des milices locales qui ont émergé dans la logique de contraindre le président Joseph Kabila à quitter le pouvoir après que son second mandat constitutionnel a expiré  en décembre 2016. Si la plus part de ces groupes armés sont concentrés dans les centres ruraux où l’on fait face au vide sécuritaire, dans les centres urbains (Beni, Butembo et Bunia), nous constatons par contre l’émergence des mouvements des jeunes, localement appelés groupes de pression, qui comme leur présentation le dit, font pression sur les gouvernants au sujet des questions de gouvernance, de démocratie ou de sécurité. 

Pour la première fois dans l’histoire de la riposte contre Ebola, les équipes de coordination ont été obligées de mettre en place une commission «sécurité», et conjuguer avec les groupes armés pour atteindre toutes les communautés.

Les premiers pas d’une riposte émaillée de risques, business et entraves à la culture

Pendant près d'une année à dater de la déclaration de l’épidémie, la riposte n'a pas été facile, car les agents de santé ont dû faire face à la méfiance et à la résistance d'une population gênée de les voir défiler avec leur argent. En septembre 2018, quand le premier cas d'Ebola est notifié à Butembo (importante ville commerciale du Nord-Kivu), d'un coup, des Jeep 4×4 débarquent, des hôtels pris d'assaut par des humanitaires, venus, d'après eux, sauver les vies de plus d'un million d'habitants (une estimation de la population de Butembo) qu'ils disent en danger. Un afflux inhabituel qui surprend les habitants, en majorité des commerçants aspirants, n'ayant jamais vécu la réalité des ONG (Organisations Non Gouvernementales). Car bien que situé dans l'est du Congo, Butembo demeure cet oasis de paix entre deux territoires troubles (Beni et Lubero) et n'a, par conséquent, jamais connu des violences à même de mobiliser les humanitaires. 

Avec la venue des ONG, les habitants, qui exercent au centre-ville, remarquent très vite la circulation des billets verts (dollars américains). Nous sommes encore au début de l'épidémie. Mais les habitants, habitués à gagner à la sueur de leur front, sont surpris de voir des mobilisateurs communautaires aller jusqu'à dépenser 10, 15 ou 25 dollars par jour, "tout simplement pour assurer le suivi et les investigations des présumés contacts". 

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Au-delà des approches de sensibilisation et des spéculations des politiques, le comportement des agents de la riposte face à l’argent des ONG a été l'une des causes de méfiance et résistance de la population. Méfiance et résistance vécues surtout entre février et mai, période de la grave crise de confiance, ayant aussi coïncidé avec la flambée des cas positifs, faisant momentanément de Butembo, l'épicentre de l'épidémie. 

D'autres pratiques des responsables des équipes de riposte sont venues envenimer la situation. C'est, par exemple, des recrutements complaisants. 

"Même les responsables de différentes commissions savent qu'il y a de l'argent. Il faut en faire bénéficier à leurs proches. Ils n'hésitent pas à faire venir des agents de leurs familles ou villages ou même de leurs provinces. Imaginez-vous, pour ravitailler un point de lavage en eau, il faut amener un agent à plus de 100 km", dénonçait déjà à ACTUALITE.CD l’habitant Elvis Vihamba. 

Ebola était donc devenu une affaire des gros sous. En février 2020, le journal français Libération a révélé que des agents de la riposte contre Ebola ont profité du système pour s’enrichir aux dépens de la population. Des magouilles et autres petits arrangements qualifiés localement d'«Ebola business». 

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Même si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) insiste qu’Ebola business n’est qu’une rumeur, elle reconnaît cependant que cette accusation est bien à la source de certaines des attaques contre la riposte. Attaques qui ont d’ailleurs coûté la vie à l’un de ses épidémiologistes déployés dans l’est du pays, docteur Richard Mouzoko avait été abattu par balles, en avril 2019 à Butembo, alors qu'il présidait, dans l’enceinte de la clinique médicale de l'Université catholique du Graben (UCG), une réunion de la commission "Recherches actives" de la coordination locale de la riposte contre la maladie à virus Ébola. 

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Un business qui a également multiplié des conflits d’intérêts. En mars dernier, Oly Ilunga Kalenga et Mbuyi Mwasa Ezechiel, respectivement ancien ministre de la santé et conseiller financier de ce dernier, ont été condamnés chacun à 5 ans des travaux forcés pour le détournement d’environ 400 000 USD américains alloués à la riposte contre Ebola. 

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Autres faits à la base des résistances, les équipes de riposte ont posé des actes qui ont heurté  la culture et la tradition de la communauté Yira (peuple majoritaire dans cette partie du Nord-Kivu) : Creuser des tombes avant la mort des malades, employer les femmes dans les activités funéraires, enterrer les femmes enceintes avec leurs enfants, enterrer les "responsables des familles et coutumiers" dans les cimetières publics, etc. Même si les communautés n’osaient s’indigner publiquement, elles étaient tout de même surprises et inquiètes face à ce qu’"Ebola leur apporte".

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Les 4 actions à la base de la baisse de résistance et violences

Face à la flambée des cas de résistance et violences, les équipes de riposte n’ont pas baissé les bras. Ils ont cumulé un certain nombre des stratégies et actions qui ont permis de faire baisser la violence, obtenir l’engagement communautaire et arriver au bout de l’épidémie.

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Dialogue social et d’engagement communautaire: des dialogues sociaux sont régulièrement engagés avec plusieurs couches sociales de  Butembo, pour tenter d’obtenir leur engagement dans la riposte contre l’épidémie d’Ebola. A l’instar du Symposium social organisé du 30 mai au 1er juin dernier à Butembo par les confessions religieuses, dont l’Eglise catholique, pour recueillir et analyser les lamentations des habitants, en vue de « chercher ensemble avec eux, une solution idoine et durable de sortie de crise».

Implication des leaders de base: aux premières heures de la riposte contre l’épidémie d’Ebola à Butembo, les équipes se sont fiées aux autorités politico-administratives, les prenant pour des leaders, alors qu’elles n’exercent presque pas une influence sur la population locale. Devant ces défis, les humanitaires impliqués dans la riposte ont redéfini petit à petit la notion de leader et commencent à recourir également aux chefs de quartier, des cellules, des 10 maisons et des communautés ecclésiales vivantes (CEV) de l’Eglise catholique pour se faire entendre.

Des actions judiciaires: au lendemain du meurtre, le 19 avril dernier à Butembo, de l’épidémiologiste camerounais déployé par l’OMS, le docteur Richard Mouzoko, la justice militaire du Nord-Kivu annonçait l’arrestation d’une dizaine de présumés auteurs de l'assassinat et la tenue imminente d’un procès public. D’autres prévenus, notamment auteurs présumés d’attaques et violences contre les structures et agents de santé devraient également passer à la barre, menaçait la même justice. Ce qui aurait découragé les violences.

Négocier avec les groupes armés : Jessica Ilunga qui coordonnaît par moment, la communication du ministre de la santé, avait reconnu sur ACTUALITE.CD que les violences contre les équipes de riposte relevait surtout d’un problème sécuritaire. C’est notamment la première fois qu’Ebola est combattu dans une zone de conflits armés. Pour assurer la sécurité des équipes de riposte, les autorités leur confiaient des escortes. Une solution qui s’avérait dangereuse, car cela a dans certains endroits exposés les agents de terrain. Ainsi, l’équipe de riposte a résolu de négocier avec certains groupes armés. Cette solution semble avoir payé à Kalunguta notamment sur l’axe Butembo-Beni où les autorités ont négocié avec les chefs miliciens pour qu’ils facilitent, dans la zone sous leur contrôle, le suivi des cas contact et l’administration des vaccins.

Le gouvernement a annoncé jeudi 25 juin dernier la fin de la 10ème épidémie d'Ebola à l'est du pays. La 11ème sévit depuis le 1er juin à l'Équateur. 

Claude Sengenya