Ebola à Butembo : Ces pratiques des agents de riposte qui dérangent la culture et la tradition

Des employés du centre Ebola de Butembo prennent en charge une femme atteinte d'Ebola, le 28 mars 2019

Depuis la déclaration, il y a dix mois, de la première épidémie à Virus Ebola dans le Grand-Nord (Beni, Butembo et Lubero) de la province du Nord-Kivu , les équipes de riposte posent des actes qui heurtent la culture et la tradition de la communauté Yira (peuple majoritaire dans cette partie du Nord-Kivu).

Même si les communautés n’osent s’indigner publiquement, elles sont tout de même surprises et inquiètes face à ce qu’"Ebola leur apporte".

Creuser des tombes avant la mort des malades

Chez les Yira, dont font partie les Nande, il n’est pas de coutume de creuser la tombe avant la mort du patient, "même s'il est à l’agonie".

« D’ailleurs, avant la mort du patient, on n’hésite même à spéculer sur le lieu de son enterrement. A moins que ça soit le patient lui-même, sentant sa mort prochaine, qui indique où il souhaite être enterré », fait remarquer à ACTUALITE.CD Mme Rachel Vanzwa, 30 ans.

Mais avec la venue de la maladie à virus Ebola à Butembo (ville de référence des Nande, Ndlr), les communautés sont surprises de voir l’équipe de riposte contre l’épidémie apprêter tout d'un coup « près de cinq  tombes (Bureau urbain de l’état civil et de la population)», au cimetière public de Kitatumba, par exemple, avant même la mort des patients admis aux soins au sein des Centres de traitement d’Ebola (CTE).

 «On dirait qu’ils savent que nos proches vont mourir», s’indignait un participant au Symposium social organisé du 30 mai au 1er juin, à Butembo, par les confessions religieuses.

« Creuser une tombe avant la mort du patient, c’est comme lui souhaiter un malheur. En principe, on creuse une tombe pour une personne précise, c’est-à-dire qu’on doit savoir en amont qui doit y être enseveli. Aussi, on ne creuse que quand le patient est mort. Et on ne doit pas laisser une tombe sans qu’il y ait des proches qui veillent tout autour. Et si l’on veut l’enterrer ailleurs, on doit faire des rituels de "déplacement de la tombe", et dans le trou creusé au départ, on doit y planter un bananier, pour dire qu’on ne creuse pour rien», a expliqué à ACTUALITE.CD le journaliste-anthropologue Christian Kahindo Muke, auteur du livre «La Nation Yira». 

Cependant, M. Nzuva Kihanda Jean Bosco, chef de bureau urbain de l’état civil et la population à la mairie de Butembo, indique que le fait pour les équipes de riposte de creuser d’avance les tombes, c’est pour éviter qu’elles soient débordées.

« Il y a des fois où les équipes chargées d’enterrements dignes et sécurisé (EDS) ont une dizaine de corps à enterrer le jour. Elles sont débordées. C’est ainsi qu’elles préviennent, en creusant en avance. Aussi, c’est pour écourter le temps d’enterrer une victime pour éviter d’être pris à partie par des manifestants contre la riposte », justifie-t-il. 

Employer les femmes dans les activités funéraires

Dimanche 12 mai 2019. Hôpital de Matanda. 11h00'. Quand les proches de Mme Kasivika Sabina voulaient retirer de la morgue de cet hôpital la dépouille de cette ancienne militante de la société civile locale, présumée morte d’Ebola, pour son enterrement, ils sont "surpris de voir le cercueil contenant le corps de l’illustre disparue être transporté par des jeunes filles".

« C’était des jeunes filles de près de 17 ans, membres de leur équipe d’enterrements dignes et sécurisés qui nous ont apporté le corps de notre maman. Ça nous a surpris, parce qu’en grandissant, nous on sait qu’une femme ne peut pas transporter une dépouille. Ce n’est pas parce que c’est un boulot qu’il faut violer la culture », révèle Mme Micheline Kalipi, témoin de l’évènement.

Un membre de l’équipe de riposte, qui s’est confié à ACTUALITE.CD sous couvert de l’anonymat, signale qu’il est vrai que les femmes sont aussi employées dans les équipes d’Enterrements dignes et sécurisés (EDS).

« Mais avec les remarques de la société civile et des anthropologues de la riposte, la question a cessé dans la zone de santé de Katwa, mais dans celle de Butembo, les filles continuent à être employées dans les équipes de EDS, notamment comme hygiénistes dans les morgues», révèle-t-il.

« Chez les Yira, une femme n’enterre pas et ne peut, par conséquent, être employée dans le transport de dépouille. Parce qu’on les considère comme des portes d’entrée facile des esprits. Il faut les éloigner des morts », prévient Christian Kahindo Muke. 

Enterrer les femmes enceintes avec leurs enfants

Il arrive également aux équipes de riposte d’enterrer des femmes enceintes avec l’enfant. Car d’après un membre de l’équipe de riposte, « il est interdit de manipuler les corps des personnes mortes d’Ebola. Pas facile donc de les séparer ».

Des cas précis rapportés à ACTUALITE.CD, sont ceux enregistrés en décembre 2018 dans les zones de santé de Kalunguta et Vuhovi, où des femmes enceintes ont été enterrées avec leurs enfants.

« Ce n’est pas seulement question de culture ou de tradition, mais il est d’une règle générale qu’on ne peut pas enterrer deux personnes dans une même tombe, c’est comme les mettre dans une fosse commune », commente l’anthropologue Christian Kahindo Muke. 

« Une femme enceinte porte en elle deux personnes : elle-même et l’enfant. Chacun d’eux a une protection des ancêtres. Les enterrer ensemble, c’est violer les tabous ancestraux. Cela peut parfois être considéré comme source de porte-malheur dans la famille. Dans certaines circonstances, cette femme peut ne pas être accueillie au village des ancêtres », explique de son côté, M. Edgard Mateso, membre de l’Asbl Kyaghanda Yira.

Du côté de la coordination de la riposte, la source rétorque que leurs «socio-anthropologues ont mené des recherches qui attestent qu’il y a des rituels qu’on réalise avant ces genres d’enterrement». 

Enterrer les "responsables des familles et coutumiers" dans les cimetières publics

Il arrive aux équipes de riposte d’enterrer certains patients morts d’Ebola dans des cimetières publics alors que, parmi eux, il y a des "grands responsables des familles et coutumiers" qui ne doivent être enterrés que sur leurs terres ancestrales (amahero).

«C’est question de distance, de sécurité et de confiance. Cela arrive souvent pour des distances éloignées. Quand une famille dit vouloir aller enterrer son proche mort d’Ebola, par exemple, à Kipese, on accepte difficilement, parce que d’abord, Kipese est éloigné de Butembo (plus de 60 km), aussi, on est obligé de franchir des villages insécurisés où sont actifs des miliciens. Ce qui est dangereux pour les équipes d’EDS. En plus, on ne peut pas livrer le corps, parce que nous craignons que les proches puissent aller le manipuler, ce qui constitue un grand danger public. Dans une situation pareille, on oriente le défunt dans un cimetière public plus proche», témoigne Mbusa Kambalo Olivier, un ancien employé de la riposte.

Cela dérange la culture parce que, d’après Kahindo Muke Christian, chez les Yira, enterrer quelqu’un sur sa terre ancestrale, c’est confirmer son origine. "Par exemple, en cas de conflits fonciers chez nous, on demande à chacune des parties de prouver que ses ancêtres ont été enterrés sur ce terrain conflictuel, pour qu’on lui reconnaisse l’origine, voire le droit d’héritage."

"Mais enterrer les gens dans des cimetières publics, alors qu’ils ont encore leurs terres ancestrales, c’est comme décréter leur exclusion et créer à leur progéniture la difficulté de prouver leur droit d’héritage", explique-t-il à ACTUALITE.CD.

Claude Sengenya