Traque des ADF en RDC : Kampala propose à Kinshasa la création des unités locales de défense pour la protection des villages pendant que FARDC et UPDF sont engagées en profondeur

FARDC et UPDF à Beni
FARDC et UPDF à Beni

Le nouveau commandant Ougandais des opérations Shujaa, opérations menées conjointement avec l'armée congolaise depuis novembre 2021, recommande à la RDC la création des unités locales de défense pour la protection des civils dans des villages des zones opérationnelles. Au terme d'une audience des civilités lui accordée par le gouverneur militaire du Nord-Kivu ce mardi 7 octobre à Beni, le général major ougandais Stephen Mugerwa a déclaré à la presse avoir recommandé au chef de l'exécutif provincial d'échanger avec sa hiérarchie sur la nécessité d'adoption de cette stratégie de défense qui a déjà fait ses preuves en Ouganda lors de la traque des LRA.

Pour l'officier Ougandais, les unités locales de défense devraient garantir la sécurité des villages pendant que les FARDC et l’UPDF sont engagées dans la profondeur, en vue de contrer la stratégie de contournement des islamistes ADF.

« En tant que nouveau commandant de UPDF (pour les opérations Shujaa, ndlr), je suis venu voir le gouverneur à son bureau pour étudier comment en finir avec l'ennemi (ADF, ndlr). J'ai recommandé au gouverneur d'échanger avec sa hiérarchie. Si elle le lui permet, il faudra créer de Local defense (unité locale de défense, ndlr). Nous UPDF et les FARDC nous sommes dans la profondeur et il faut des unités pour protéger les populations (dans les villages, ndlr). Quand nous entrons en profondeur, soit quand nous frappons l'ennemi en profondeur, il nous contourne et vient se rabattre sur des civils. Mais si nous laissons des unités locales de défense derrière nous, tout ira bien », a expliqué le commandant Ougandais des opérations Shujaa.

Stephen Mugerwa a rassuré que la collaboration est parfaite entre les armées congolaise et ougandaise dans ce combat contre les ADF, auteurs des massacres des milliers de personnes depuis 2014 dans les territoires congolais d'Irumu et Mambasa (Ituri), de Beni et Lubero (Nord-Kivu), de Bafwasende (Tshopo) ainsi que dans le district ougandais de Kasese.

« Tout va bien. Il n'y a aucun problème. Nous coordonnons ensemble, nous mangeons ensemble, nous marchons ensemble, nous endurons ensemble. Je demande aux populations congolaises d'être calmes. Nous faisons tout de notre mieux pour nous rassurer, ensemble avec le gouverneur, que nous allons en finir avec cette guerre », a-t-il rassuré.

Local defense, quid ?

A sa conquête du pouvoir, Museveni a mis en place des unités de défenses locales (LDU) qui ont soutenu les conseils locaux dans la mobilisation de la population contre les partisans de l'opposition et ont servi de force de renfort à l'armée. Dans le volet de sécurité, ces unités collectaient des renseignements pour la NRA, l'ancienne armée ougandaise et les services de sécurité et assuraient le maintien de l'ordre. Leur rôle était de protéger les habitants et leurs habitations en luttant contre les insurgés.

Cyrille Mbugheki, l'ancien chargé des missions d'Antipas Mbusa Nyamwisi, un habitué du palais ougandais, a expliqué à ACTUALITE.CD que ces unités locales de défense ont beaucoup aidé le régime de Museveni à mater les insurrections, comme celles de la LRA.

« Ceux de Kasese (district ougandais frontalier avec le Congo, ndlr) peuvent vous témoigner que chaque semaine il y avait des massacres de masses des populations. Museveni avait décidé de prendre dans chaque village au moins trois personnes, des jeunes garçons et parfois des femmes qu'ils formaient à sécuriser les villages. Et après la formation, il leur remettait des armes contrôlées par la police et il leur donnait de petites motivations. Chaque village avait au moins trois armes et les rebelles ne pouvaient plus s'aventurer », a expliqué Cyrille Mbugheki, soutenant vivement la proposition ougandaise. « Si à Ntoyo il y avait deux ou trois armes, les ADF n'allaient pas commettre ce qu'ils ont fait », croit-il, évoquant l'attaque meurtrière des ADF qui a fait plus de 70 morts dans le rang des civils début septembre dans le secteur des Bapere (Nord-Kivu).

La proposition ougandaise rencontre des propositions qui émergeaient déjà dans l'opinion au Grand-Nord-Kivu. Alors enseignant à l'Université officielle de Rwenzori de Butembo, le professeur Muhindo Mughanda, actuellement Recteur de l'Université de Goma proposait déjà l'armement des citoyens, estimant que la stratégie pourrait dissuader les rebelles à s'attaquer aux civils. Proposition critiquée par le professeur Nissé Mughanda, enseignant des Relations Internationales à l'Université catholique du Graben qui évoquait la difficulté que pourrait rencontrer Kinshasa à contrôler la circulation des armes remises aux civils, dans une zone déjà fragile.

La RAD ou la recette congolaise ?

Au plus fort moment de crise du M23, la RDC a institué en 2023 la Réserve armée de la défense (RAD), un service supplétif des FARDC constitué de plusieurs catégories de personnes dont les militaires de carrière retraités et des services de sécurité les démobilisés du service militaire obligatoire ou contractuel ainsi que les volontaires civils engagés dans la défense du pays et de son intégrité territoriale, que plusieurs acteurs appellent « wazalendo » (patriotes).  Mais au Nord-Kivu, la RAD peine à fonctionner. Avec sa principale cible les milices wazalendo, la RAD ne sait pas les former et les encadrer pour les rendre utiles dans ses combats contre les ADF et le M23.

Claude Sengenya