Par
Dan IDIMA NKANDA
Assistant à la Faculté de Droit de l’Université de Kikwit
Avocat à la Cour (22998)
Consultant au Cabinet Intelligence Consulting sarl
Contact : danidimank@gmai.com
Contre la conception classique qui considère les magistrats du parquet comme les simples agents de pouvoir exécutif, Madame Rassat Laure soutenait déjà en 1967 que les officiers du ministère public ne sont pas que des fonctionnaires chargés d’exécuter la volonté du Gouvernement, car ils restent guidés par le principe de la légalité des infractions et des peines qui leur interdit de poursuivre si aucune loi pénale n’a été violée[1]. En d’autres termes, l’officier du ministère public reste magistrat aussi bien dans son cabinet qu’à l’audience, et en tant que tel, il est régi par la loi portant statut des magistrats.
Cette question de la nature juridique du ministère public fait l’objet d’une controverse au sein de la doctrine congolaise depuis la révision de l’article 149 de la Constitution[2], et de l’institution du principe de la subordination hiérarchique qui voudrait qu’au sommet de la hiérarchie des magistrats du parquet se trouve placé le Ministre de la Justice, sous l’autorité duquel les officiers du ministère public exercent leurs fonctions[3]. Depuis, d’aucuns soutiennent que le parquet est un organe du pouvoir exécutif, c’est-à-dire constitué des fonctionnaires et mandataires publics, alors que d’autres le classent plutôt au sein du pouvoir judiciaire, c’est-à-dire constitué des magistrats.
Sans vouloir se lancer dans le débat, le parquet étant une institution incontestablement omniprésente au sein de l’administration de la justice congolaise, on peut pertinemment s’interroger sur sa structuration ou mieux son organisation ainsi que de l’étendue de l’autorité du Ministre de la Justice sur les magistrats du parquet.
A. Le pouvoir d’injonction du Ministre de la Justice sur les magistrats du parquet
En ce qui concerne le rapport entre le parquet et le pouvoir exécutif, il ressort de l’article 70 de loi de 2013 portant OFCJ, que les officiers du ministère public sont placés sous l’autorité du Ministre ayant la justice dans ses attributions. Celui-ci dispose d’un pouvoir d’injonction sur le parquet […].
Voulant donner un contenu précis à cette disposition, est-ce que le législateur voudrait exprimer l’idée selon laquelle, les officiers du ministère public, sont à la merci du Ministre de la Justice qui peut, en cas de faute, décider de leur suspension ou mieux interdiction ?
1. L’étendue de l’autorité du Ministre de la Justice sur le parquet
Une opinion doctrinale faisant autorité estime que l’autorité implique la subordination de la part du subordonné vis-à-vis du chef hiérarchique. Pour l’auteur, l’autorité dont est revêtu le Ministre de la Justice sur les magistrats du parquet fait de lui le chef de tous ces magistrats[4]. Cette opinion qui accorde au Ministre de la Justice le plein pouvoir absolu sur les magistrats du parquet, est à notre avis, contraire à l’esprit de l’article 70 sus évoqué, qui pourtant limité, circonscrit et encadre cette autorité in fine. En effet, cette autorité qui s’exerce en un droit d’injonction se limite à ordonner les poursuites, à donner l’impulsion aux poursuites et à exercer un droit de regard sur les officiers du ministère public sans porter préjudice au pouvoir du Conseil Supérieur de la Magistrature en matière disciplinaire.
Le magistrat du parquet jouit donc à l’égard du Ministre de la Justice de l’indépendance, mais il s’agit d’une indépendance limitée de quelques exceptions liées aux pouvoirs d’injonction du Ministre de la Justice. En revanche, il affranchit cette subordination vis-à-vis du Ministre de la Justice avec le Conseil Supérieur de la Magistrature, organe dont il relève disciplinairement.
De ce qui précède, on peut affirmer que le Ministre de la Justice conserve son pouvoir d’injonction à l’égard du ministère public sans que ce pouvoir ne se transforme en un droit de veto, de telle sorte qu’il prononce des sanctions disciplinaires en son encontre (suspension, interdiction…). Il peut, au contraire, saisir le Conseil Supérieur de la Magistrature, pour qu’une action disciplinaire soit ouverte à charge d’un magistrat du parquet.
2. L’autorité du Conseil Supérieur de la Magistrature sur le magistrat du parquet
Aux termes de l’article 20 de la loi portant organisation et fonctionnement du conseil supérieur de la magistrature, le Conseil Supérieur de la Magistrature est la juridiction disciplinaire des magistrats[5]. Ce pouvoir est selon l’article 21 de la même loi, exercé par la chambre nationale et les chambres provinciales de disciplines. Ainsi, tout manquement par un magistrat à ses devoir, s’érige en faute disciplinaire telle que définie à l’article 47 de la loi de 2006 portant statut des magistrats et l’expose aux sanctions prévues à l’article 48[6].
Il en résulte que le pouvoir disciplinaire est exercé par le Conseil de la magistrature, qui, seul est l’autorité compétente pour prononcer les sanctions disciplinaires énumérées à l’article 48[7]. Toutefois, les chefs d’offices des parquets peuvent, si les faits leur paraissent graves, prendre à titre conservatoire la mesure interdisant au magistrat dont les griefs sont reprochés, l’exercice de ses fonctions[8]. Cette mesure provisoire, ne doit pas être confondue avec les sanctions disciplinaires qui sont définitives.
A ce jour, conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution et de la loi portant statut des magistrats, l’on peut dire que l’autorité du Ministre de la Justice sur le parquet n’est plus limitée qu’au seul pouvoir d’injonction sur l’action publique, et non pas au pouvoir de sanctionner.
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[1] Laure R., Le ministère public entre son passé et son avenir, Thèse, Paris,1967, pp. 48 à 124.
[2] L’Article 149 de la Constitution de 2006 avant sa révision disposait, que le pouvoir judiciaire était […] dévolu aux cours et tribunaux […] ainsi que les parquets rattachés à ces juridictions. L’amendement introduit depuis la révision constitutionnelle du 20 janvier 2011 consiste en la suppression du parquet dans l’énumération des titulaires du pouvoir judiciaire.
[3] PUNGUE NEMBA NZUZI R-N., Guide pratique des magistrats du parquet, les fonctions du ministère public en République Démocratique du Congo, Kinshasa, tome I, en matière répressive, éditions du Service de Documentation et d’Etudes du Ministère de la Justice, 2006, p. 31
[4] LUZOLO BAMBI L., Traité de Droit judiciaire, la justice congolaise et ses institutions, Kinshasa, 2018, p. 106.
[5] Article 20 et 21 de la Loi N° 08/2013 du 05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du conseil supérieur de la magistrature, JORDC., 49éme année, spécial, 11 août 2008.
[6] Articles 47 et 48 de la Loi portant statut de magistrats précitée.
[7] Idem.
[8] Article 54, Idem.