Seuls les soldats de rangs et officiers subalternes sont jusque là poursuivis par la justice militaire pour lâcheté devant les rebelles du M23 alors qu'à la chute de la cité stratégique de Kanyabayonga, le mal semble avoir emballé nombreux militaires congolais, y compris des officiers, à en croire les témoignages recueillis par ACTUALITE.CD au procès qui se tient depuis jeudi dernier à Lubero-centre où une trentaine de soldats sont jugés pour fuite devant l'ennemi et dissipation de munitions.
Quand on écoute les militaires qui défilent à la barre au procès en cours à Lubero (Nord-Kivu), on se rend compte que les prévenus sont tous des soldats de rang et officiers subalternes. Alors que quand on les aborde, on apprend que le péché de lâcheté devant l'ennemi semble avoir été commis même par des officiers, notamment des commandants des bataillons.
A l'audience de ce vendredi, un prévenu a témoigné qu'à la chute de Kanyabayonga entre les mains des rebelles du M23, de nombreux militaires, y compris des officiers, avaient fui la ligne de front.
« Nous étions tout un groupe de militaires sur la route (en fuite, ndlr). Les autres seraient même déjà à Beni, à Oicha. Nous sommes venus de Kanyabayonga et on nous a arrêtés pendant qu'on étaient tous en direction de Lubero », confesse ce soldat de deuxième classe condamné à mort pour fuite devant l'ennemi.
Selon lui, il n'y a pas que des soldats de rang qui ont fait preuve de lâcheté. Même certains officiers auraient précipitamment quitté le front sans autorisation. Nombreux ont perdu contact avec leurs unités, révèle-t-il.
« Sur la route, on pouvait faire marche avec seulement trois membres de notre bataillon, parfois avec d'autres qui ne sont pas de notre bataillon. Nombreux soldats ont fui, certains en tenue civile (pour se dissimuler, ndlr). Nous étions nombreux, y compris les Wazalendo. Mêmes certains commandants, comme celui de notre bataillon, montaient dans des véhicules pour décrocher de la ligne de front », témoigne-t-il.
Entre le 28 et le 2 juillet, le mal devenait profond au point que, d'après la capitaine Kahambu Mélissa, premier substitut de l'auditeur militaire de Butembo, nombreux commandant se sont retrouvés sur la ligne de front sans éléments.
Et pour causes?
Des sources militaires contactées par ACTUALITE.CD et des témoignages au procès de Lubero-centre avancent des raisons qui peuvent expliquer ce comportement de lâcheté. Ils évoquent l'inexpérience de certains militaires.
« Un moment nous nous sommes retrouvés sur la ligne avec de nombreux militaires récemment venus des centres d'instruction. C'était leur première expérience de guerre, et se retrouver corps à corps, ils ne pouvaient résister", explique à ACTUALITE.CD un employé de l'armée toujours présent sur le théâtre de front. "Dans d'autres combats, des militaires se sont retrouvés rien qu'avec des armes légères alors que leurs ennemis ont des armes d'appui », révèle notre source.
Juger pour discipliner
Devant ces faits, la capitaine Kahambu Mélissa explique que la haute hiérarchie militaire a ainsi décidé de la tenue des procès en flagrance pour décourager ces fuites.
« Il a été décidé par la hiérarchie de tenir des audiences d'Alimbongo à Lubero pour essayer d'éradiquer le fléau de fuite devant l'ennemi, d'abandon de commandants sur les lignes de front parce qu'il y a beaucoup de militaires qui sont en train d'abandonner leurs commandants », a révélé à la presse la capitaine magistrat Kahambu.
Un procès dissuasif et pédagogique
Depuis le 3 juillet, le tribunal militaire de garnison de Butembo organise ainsi des procès en flagrance d'Alimbongo à Lubero pour sanctionner les militaires qui tentent de fuir face à l'avancée des rebelles du M23 qui ont conquis les cités du Sud de Lubero.
Le premier procès en flagrance a eu lieu mercredi 3 juillet à Alimbongo, à seulement 20 km de la ligne de front. Procès qui a vu 27 militaires fuyards être condamnés à des peinent allant de 10 ans à la peine capitale pour lâcheté devant l'ennemi, dissipation des minutions et pillages.
Un deuxième procès est en cours à Lubero-centre. 32 militaires y comparaissent pour les mêmes faits.
Capitaine Kahambu Mélissa, représentante du ministère public, parle de procès dissuasif et pédagogique.
« Nous avons quitté Butembo pour venir appuyer le commandement sur la ligne d'attaque pour empêcher les militaires à ne plus décrocher. Ça ne sera pas le dernier procès. Nous voulons empêcher les militaires de se soustraire de leurs obligations sur la ligne d'attaque », prévient-elle, indiquant que la démarche commence à produire ses fruits.
"Oui, à Alimbongo, vous avez vu comment des militaires commencent à rentrer d'eux mêmes (sur la ligne de front, ndlr). Et c'est une procédure à caractère dissuasif et pédagogique", soutient la magistrate.
Seuls des soldats de rangs à la barre
Mais de tous les procès jusque-là organisés par la justice militaire derrière la ligne de front, seuls les soldats de rang et sous-officiers sont dans les filets.
Capitaine Kahambu Mélissa explique cela par l'incompétence du tribunal militaire de garnison de Butembo à poursuivre les officiers supérieurs.
« Ici nous sommes une garnison et notre garnison a sa compétence. Notre compétence c'est de capitaine aux militaires de rang. Il est difficile qu'on ait ici de cas de colonel. Pour ce qui nous concerne, à Alimbongo nous avons présenté deux capitaines et ici (à Lubero) trois capitaines », se justifie-t-elle.
Il pourra donc revenir à la cour militaire ou aux autres instances judiciaires à agir comme le tribunal militaire pour juger les officiers supérieurs qui se seraient également rendus coupables de lâcheté devant l'ennemi.
Claude Sengenya