En RDC, le pape et des églises par milliers 

Près du stade des Martyrs, où le pape prononcera un discours lors de sa visite à Kinshasa, des marchands en plein air proposent des pupitres d'églises, dont les acquéreurs ne sont pas catholiques mais adeptes des multiples églises dites "de réveil" implantées dans la très croyante capitale congolaise.

En bois ou en verre, simples ou ouvragées, les petites chaires s'alignent au bord de l'avenue de l'Enseignement, connue aussi pour regrouper de nombreux sièges de partis politiques.

"Des pasteurs viennent ici... C'est un bon business", reconnaît un vendeur, Frédéric Kimbaya, en soulignant que "les églises charismatiques achètent beaucoup plus que les autres". Sur un stand voisin, ce sont plutôt des fidèles qui achètent les pupitres aux inscriptions "Dieu est bon", pour en faire cadeau à leur église.

"Voyez, ce modèle est à 150 dollars, mais je peux le céder à 100 dollars", déclare M. Kimbaya.

Depuis une quarantaine d'années, les églises évangéliques et pentecôtistes dites "de réveil", venues des Etats-Unis, ont poussé comme des champignons en Afrique, notamment en République démocratique du Congo, immense pays de tradition chrétienne offrant aujourd'hui encore un terrain propice à leur expansion.

"Leur prolifération s'explique par la crise, politique et sociale", analyse pour l'AFP Gauthier Musenge Mwanza, enseignant chercheur au département de sociologie de l'université de Kinshasa.

Mobutu Sese Seko, au pouvoir de 1965 à 1997, ne supportait plus que l'Eglise catholique lui tienne tête. 

Pour diminuer son audience auprès de la population, le dictateur a fait venir dans l'ex-Zaïre des pasteurs évangéliques dont il a encouragé et financé les activités. "N'importe qui pouvait créer une église", sans aucune condition de formation ou de cadre juridique, déplore le sociologue.

- Miracles - Le nombre de ces églises a explosé à partir des années 1990, fortes d'une énorme popularité auprès de populations pauvres, au chômage, sans perspective d'avenir. 

Les pasteurs, révérends, bishops, archbishops, prophètes et apôtres plus ou moins autoproclamés, empathiques, parlant bien, habillés comme des "sapeurs" et possédant des chaînes de télévision, font des promesses de vie meilleure. 

Gagner de l'argent, se marier, voyager en Europe? Il suffit de prier Jésus, danser et chanter, et de donner des dollars aux prédicateurs, ironise Gauthier Musenge. 

Certains fidèles qui avaient déserté l'Eglise catholique pour ces chapelles plus séduisantes sont depuis revenus dans son giron, ayant constaté que les miracles tardaient à venir.

Ces églises elles-mêmes subissent "des crises, liées au départ de leurs pères fondateurs", estime le politologue Christian Ndombo Moleka. Des leaders sont aussi "remis en question dans leur conduite, leur moralité, leur rapport avec l'argent, leur alignement politique", poursuit-il. 

Malgré tout, les églises de réveil continuent d'attirer les foules. Leur nombre est difficile à établir, mais l'année dernière, un député voulait que les autorités en ferment 10.000, critiquables selon lui en termes de business, tromperie et escroquerie.

- "Des loups, des malhonnêtes" - "Dans les églises de réveil, et chez les catholiques aussi d'ailleurs, il y a des faux, des loups, des malhonnêtes, qui profitent de la misère des gens", admet Emie Kutino, "bishop" de l'église "Armée de la victoire". 

Mais "il y aussi des vrais, qui font un grand travail", ajoute cette pimpante quinquagénaire, rencontrée par l'AFP un dimanche alors qu'elle vient d'animer un culte devant des centaines de fidèles rassemblés au rez-de-chaussée d'un immeuble inachevé de quatre niveaux, siège de cette église de réveil parmi les plus anciennes du pays.

Emie Kutino est l'épouse de Fernando Kutino, fondateur de "l'Armée de la victoire", dont elle a assumé la tâche lorsqu'il a passé huit ans en prison, de 2006 à 2014, pour une affaire de détention d'armes.

"Montée de toutes pièces", pour des "raisons politiques", s'emporte sa femme, pour qui son mari a payé d'avoir critiqué le régime d'alors.

Affaibli par un AVC, Fernando Kutino vit pour l'instant en France et sa famille fait fonctionner son église: son épouse, qui précise avoir une licence de théologie, et une de ses filles, elle aussi pasteure.

"N'eût été la présence des églises, cette nation allait s'écrouler", estime Emie Kutino. "Il y a la guerre dans l'Est, l'injustice, les gens n'ont rien à manger. Mais nous prions, et à l'église, on peut donner quelque chose à la veuve et à l'orphelin", dit-elle.

Elle n'est pas catholique mais estime que la visite du pape François, attendu à Kinshasa le 31 janvier, "sera une bénédiction", dans un pays dont l'immense majorité des quelque 100 millions d'habitants prient dans une église ou une autre.

Emie Kutino veut même croire que "sa présence sera un plus pour que la guerre s'arrête".

AFP avec ACTUALITE.CD