Décès maternels en RDC : quels sont les préalables pour réussir un programme de maternité gratuite ?

Photo/Actualité.cd
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Selon le gouvernement et ses partenaires, toutes les heures, quatre femmes meurent suite aux complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Pour lutter contre ce fléau, le Chef de l'Etat a annoncé le 30 juin dernier, l’accès gratuit aux soins de santé pour la femme enceinte, les accouchements, et les soins des nouveau-nés. Au cours de cet entretien avec le Dr. Guy Mukumpuri, chef de division maternité à moindre risque du Programme de santé de la reproduction (PNSR), le Desk Femme aborde les préalables pour réussir un tel projet.

Bonjour Docteur Mukumpuri, selon vous que faut-il comprendre par «programme de maternité gratuite » ?

Guy Mukumpuri :Gratuité de la maternité signifie, la subvention d’une bonne partie des soins par l’Etat. L’Etat paie à la place de la population, les frais exigés. Tous les services qui prennent en charge la femme enceinte, la consultation prénatale (CPN), les accouchements, la consultation post-natale (CPoN), font partie de la maternité à moindres risques. Ainsi, de la conception de la grossesse à l’accouchement, y compris 42 jours après l’accouchement, il faut que la prise en charge soit adéquate et gratuite.   

Quelle est la pertinence d’un tel projet en RDC ?

Guy Mukumpuri : la RDC figure parmi les six pays au monde et les trois en Afrique, qui enregistrent le plus grand nombre de décès maternel. La gratuité des accouchements dans le cadre de la couverture sanitaire universelle constitue un grand atout dans la réduction du taux de la mortalité maternelle, au même niveau que d’autres approches tels que les soins obstétricaux essentiels (SOE) et autres.

 Au regard de l’ampleur des décès maternels en RDC, quels seront les préalables, pour réussir un tel programme?

Guy Mukumpuri : le discours du Chef de l’Etat est une déclaration politique. Elle doit se matérialiser pour que nous puissions avoir des résultats. C’est ainsi que le ministre de la santé a organisé des descentes dans différentes structures de la ville de Kinshasa. Au niveau du programme national de santé de la reproduction (PNSR), nous avons organisé une journée de réflexion avec des partenaires sur cette question.


Les préalables sont simples, il faut évaluer les besoins et les défis de chaque structure par rapport à la santé de la mère et du nouveau-né. Les établissements de santé doivent avoir des locaux, des médicaments, renouveler leurs matériels. Nous avons étudié tout cela. Et nous avons résolu de faire un état des lieux dans les 35 zones de santé de Kinshasa. L’objectif est d’identifier les différentes charges mensuelles de chaque structure. Quelle est la charge du personnel ? des médicaments ? des équipements ? de la population ? d’élimination des déchets et autres ? Dès que nous aurons ce paquet, nous allons le présenter aux autorités. Pour une structure qui a une capacité d’accueil d’une population estimée à 20.000 habitants, si la gratuité de la maternité intervient et que le nombre passe à 40.000 habitants, comment garantir la qualité ? Si la gratuité doit s’effectuer durant une année, les besoins devront être multipliés par 12. La même méthode peut s’appliquer à tout type de structure.

Faut-il dissocier les descentes réalisées par le ministre de la santé de l’état des lieux réalisé par le PNSR ?

Guy Mukumpuri :   je crois que les visites du ministre avaient pour objectif de palper du doigt les réalités de travail dans nos formations sanitaires. Ici, la technique est l’observation. Sur base de ce que l’on a vu, on fait de analyses. Pour les états des lieux, les données collectées doivent être analysées, synthétisées, nettoyées et mises sous forme d’un rapport qui va évoluer à différents niveaux pour une prise de décision. Le rapport final devra permettre d’élaborer une stratégie sur la gratuité de la maternité et des soins des nouveaux nés.

Où en êtes-vous au niveau de l'état des lieux ?

Guy Mukumpuri : nous sommes actuellement au niveau du plaidoyer. Nous avons élaboré le document technique et introduit auprès du partenaire qui doit analyser, mobiliser les fonds, retourner vers le PNSR pour la mise en œuvre. Pour la journée de réflexion, nous avons eu plusieurs partenaires. Mais le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) est le partenaire qui a accepté de nous appuyer.

Comment peut-on imaginer la mise en œuvre d’un programme de maternité gratuite pendant que des médecins sont en grève ?

Guy Mukumpuri :  dans nos formations sanitaires, la majorité des prestataires n’ont pas un salaire venant de l’Etat congolais. Ils sont payés depuis plusieurs années, grâce aux recettes de leurs structures. Ceux qui travaillent dans les maternités ont les accouchements comme prestations principales. La gratuité de la maternité ne doit pas se limiter seulement aux frais de fonctionnement ou aux médicaments, elle doit tenir compte des revendications des prestataires (médecins, infirmiers, sage-femmes, …). Sinon, nos maternités vont se transformer en mouroirs.

Avez-vous des recommandations ?

Guy Mukumpuri :  aux personnels de santé de coopérer avec les enquêteurs qui seront déployés. Qu’ils soient disposés à présenter leur état de besoin ainsi que le cahier des charges. C’est de cette façon que des bonnes conclusions seront établies. A la population, de faire confiance aux autorités qui veulent alléger leurs charges et contribuer au social en améliorant les soins. Nous avons une crainte, c’est de voir la gratuité mise en œuvre mais avec une qualité des soins défaillante. Nous demandons à la population de faire confiance aux autorités.

Propos recueillis par Prisca Lokale