Note critique de l’arrêt de la cour constitutionnelle du 22 juillet 2022 en inconstitutionnalité de l’arrêt REA 183 du 27 mai 2022 du Conseil d’Etat

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Par Grâce Muwawa Luwungi, Assistant et Doctorant à la Faculté de Droit

En droit comparé, à la différence des cours suprêmes, les cours constitutionnelles peuvent être saisies du contrôle spécifique de la constitutionnalité des décisions de justice par une attribution expresse de compétence par la Constitution. Dans ce cas, la décision de justice est l’objet direct du recours, comme cela est le cas dans la plupart des recours déclenchés par les individus tels que le Verfassungsbeschwerde en Allemagne ou le recours d’Amparo en Espagne (Le Fatin-Rouge SteFanini Marthe, SeveRino Caterina (dir.), Le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice : Une nouvelle étape après la QPC ?, Confluence des droits [en ligne]. Aix-en-Provence : Droits International, Comparé et européen, 2017).

Dans d’autres systèmes en revanche, tels que le système français, belge ou italien, la cour constitutionnelle peut être amenée – dans le cadre du contrôle de constitutionnalité par voie préjudicielle – à contrôler l’interprétation d’une loi donnée par une juridiction ordinaire et, par ce biais, à contrôler la décision de justice elle-même. Dans cette hypothèse, ce contrôle ne constitue qu’un prolongement de l’examen de la constitutionnalité de la loi (Ibid).

Le Portugal représente, pour sa part, un exemple de système mixte dans lequel un contrôle diffus de constitutionnalité peut aboutir à ce que le Tribunal constitutionnel soit saisi des interprétations délivrées par les juridictions inférieures (Ibid).

En droit congolais, le cadre juridique de l’ouverture d’un contentieux de constitutionnalité des normes juridiques est circonscrit aux articles 160 et 162 de la Constitution du 18 février 2006, 43 à 53 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, et de la jurisprudence de la cour constitutionnelle dans l’arrêt sous R. Const 1272 du 4 décembre 2020 dans l’affaire Wanyanga Muzumbi, affaire dans laquelle la Cour constitutionnelle du Congo, examinant sa compétence, s’est déclaré incompétente à statuer sur l’inconstitutionnalité de l’arrêt sous RP 015/2020 du 2 juillet 2020 rendu par la haute cour militaire.

En effet, saisie en inconstitutionnalité de l’arrêt sous REA 183 du 27 mai 2022 du Conseil d’Etat, la cour constitutionnelle du Congo a cette fois-ci procédé à un revirement de sa jurisprudence en affirmant sa compétence en ces termes : «  le fait que cette compétence ne soit pas explicitement prévue par la Constitution ne laisse aucunement carte blanche aux juridictions de franchir le rubicon de l'inconstitutionnalité. En effet, la Cour rappelle que dans sa tradition jurisprudentielle, elle a étendu sa compétence aux actes d'assemblée chaque fois que l'Etat de droit était menacé. C'est notamment en cas de négation des droits de la personne humaine fondamentalisés et constitutionnalisés par le constituant du 18 février 2006 et en l'absence de toute autre juridiction à même de les rétablir. A ce jour, elle s'appuie aussi sur les législations et la jurisprudence constitutionnelle comparées, en ce qu'elles reconnaissent au juge constitutionnel la compétence de protéger l'Etat de droit incarné par la Constitution, volonté du peuple, seul détenteur de la souveraineté, même en l'absence de texte ».

S’appuyant sur une telle motivation incorrecte, la Cour a disposé en ces termes : « la Cour, siégeant en matière de constitutionnalité, déclare l’arrêt sous REA 183 du 27 mai 2022 du Conseil d’Etat pour l’élection du Gouverneur et du Vice-Gouverneur de la Province de la Mongala contraire à la Constitution, et partant nul et de nul effet ». Un dispositif jurisprudentiel qui mérite d’être critiqué pour le bonheur et l’évolution de la science.

Dans un Etat de droit, les gouvernants ne sont pas des personnes spéciales qui échappent au droit. Ce sont des hommes ordinaires comme les autres citoyens. A l’instar des Cours et tribunaux ordinaires qui sanctionnent les actes antisociaux des citoyens, il existe une juridiction constitutionnelle chargée de contrôler l’action des institutions politiques (M. DUVERGER, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, PUF, 1996, 18ème Edition, p. 28), et non pas rétracter ni frapper de nullité les sentences des institutions juridictionnelles étatiques. L’institution d’une Cour constitutionnelle, autonome des juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif, a fait naître un contentieux constitutionnel à côté des contentieux judiciaire et administratif (MABANGA MONGA MABANGA, le contentieux constitutionnel congolais, Kinshasa, EUA, Coll. Droit et société, 1999, p. 9). L’entreprise n’est pas allée de soi. Elle est le fruit de l’histoire d’un pays dont le régime a été caractérisé par des hésitations de mettre en place une juridiction capable de censurer en toute indépendance les actes inconstitutionnels des gouvernants (J-L. ESAMBO KANGASHE, La Constitution congolaise du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme. Contraintes pratiques et perspectives, Bruylant-Academia, Louvain-La-Neuve, 2010, p. 226).

Instituée par la Constitution du 18 février 2006 (Art. 149 al. 2, modifié par l’article 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 : « … Il est dévolue aux Cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Haute Cour militaire ainsi que les Cours et tribunaux civils et militaires», et Art. 157 de la Constitution du 18 février 2006 : « Il est institué une Cour constitutionnelle »), la Cour constitutionnelle est organisée par la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

En effet, nous lisons dans l’exposé des motifs de la Constitution de la République du 18 février 2006 : « Pour plus d’efficacité, de spécialité et de célérité dans le traitement des dossiers, les Cours et tribunaux ont été éclatés en trois ordres juridictionnels : les juridictions de l’ordre judiciaire placées sous le contrôle de la Cour de cassation ; celles de l’ordre administratif coiffées par le Conseil d’Etat, et la Cour constitutionnelle ».

A ce stade, le souligne brillamment le Professeur Kaluba Dibwa dans sa thèse de doctorat en droit intitulé « Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l’étude des fondements et des modalités d’exercice de la justice constitutionnelle », il est fort utile de marquer la différence qu'il y a entre la notion de « justice constitutionnelle » et celle de « juridiction constitutionnelle (D. KALUBA Dibwa, Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l’étude des fondements et des modalités d’exercice de la justice constitutionnelle, Thèse de Doctorat en Droit, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, Département de droit public interne, 2010)».

Cependant, le principe de la constitutionnalité implique d’abord, qu’en vertu du principe de parallélisme de forme et de procédure, seule une loi constitutionnelle, l’expression du pouvoir constituant institué, modifie la Constitution (Lire utilement M. LIHAU EBUA LIBANA La MOLENGO, Droit constitutionnel et institutions politiques, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, Année académique 1973-1974, p. 81 et ss., inédit), expression du pouvoir constituant originaire. Ceci n’a toujours pas été le cas en RDC où le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en RDC a été modifié par un texte qui portait initialement l’intitulé de Décret-loi avant d’être publié au JO sous la dénomination de Décret-loi constitutionnel n° 074 du 28 mai 1998 (Lire utilement J-L. ESAMBO KANGASHE, « le texte de la Constitution de la Transition du 4 avril 2003 à l’épreuve de l’identité constitutionnelle », Revue de Droit africain, n° 27, Bruxelles, juillet 2003, pp. 349-364).

Ensuite, constitutionnalité veut dire « conformité à la Constitution ». Ainsi, dire qu’un texte législatif ou réglementaire doit être soumis au contrôle de sa constitutionnalité implique l’examen par la juridiction constitutionnelle de la conformité de ce texte aux dispositions de la Constitution. Tout texte de droit doit avoir un fondement constitutionnel. Tout texte juridique, législatif ou réglementaire, peu importe son emplacement sur la pyramide de Kelsein, qu’il se situe immédiatement après la Constitution ou non, qu’il soit appelé ou non à subir un contrôle de constitutionnalité, doit trouver son fondement dans la Constitution.

Avant l’institutionnalisation et l’effectivité de la Cour constitutionnelle au Congo, le contrôle de constitutionnalité relevait de la Cour suprême de justice, toutes les sections réunies.

Ainsi, parler de la constitutionnalité implique a priori l’identification des textes juridiques appelés à subir le contrôle de conformité à la Constitution. Cela étant dit, il sied d’écarter de tout contrôle de constitutionnalité possible les décisions de justice, qu’elles soient rendues par les hautes juridictions ou par les tribunaux de police. Les lois congolaises de procédures instituent les seules voies de recours contre les décisions de justice mal rendues.

Au sujet de la hiérarchie formelle des normes juridiques (P. ORIANNE, Introduction au système juridique, Bruxelles-Louvain, Brylant, 1982, p. 147, cité par J-L. BERGEL, Méthodologie juridique, Paris, PUF, 2001, p. 173-174 : La nécessité d’une hiérarchie des normes : L’unité et la cohérence du système juridique suppose que les normes qu’il comporte soient ordonnées au sein d’une hiérarchie, si bien que chacune d’elles doit se conformer, pour son édiction et dans son contenu, aux conditions et aux exigences des normes qui lui sont supérieures), la Constitution est donc, d’après les Professeurs LIHAU (M. LIHAU EBUA LIBANA La MOLENGO, Op. cit., pp. 81-82) et VUNDUAWE (F. VUNDUAWE te PEMAKO, Op. cit., p. 265), cette norme supérieure d’où découle toute autre norme nationale ou internationale ; elle est la norme supérieure dans l’ordre juridique étatique, et toutes autres sources de droit viennent en application de la Constitution. Cependant, seuls les actes législatifs, réglementaires et d’assemblée subissent le contrôle de leur conformité à la Constitution : les lois constitutionnelles uniquement dans les limites matérielles et temporelles au pouvoir de révision fondées sur les articles 219 et 220 de la Constitution ; le contrôle a priori des lois organiques ; les lois référendaires ; les lois ordinaires ; les édits provinciaux ; les actes ayant force de loi ; les règlements autonomes ; les actes de gouvernement.

En droit congolais, les décisions de justice ne subissent pas de recours en inconstitutionnalité. Saisie d’un tel recours, la Cour constitutionnelle du Congo n’a pas d’autre issue de secours que celle de se déclarer incompétente à statuer.

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