I. Introduction
Depuis plus de 25 ans, le quotidien de la majorité de la population congolaise est jalonné d’atrocités de masse commises par des acteurs étatiques et non étatiques, congolais et étrangers, dans un climat prévalant d’impunité qui a miné la confiance des citoyens dans les institutions et l’état de droit.
L’impunité dont jouissent les responsables présumés de crimes internationaux a été et reste l’un des principaux obstacles à l’instauration de la paix et de la stabilité en République démocratique du Congo (RDC) et dans la sous-région des Grands Lacs. Pourtant, les accords de paix successifs ont bien souvent privilégié des solutions politiques à court terme, sacrifiant la justice sur l’autel de la paix, et les recours à l’option sécuritaire ou militaire n’ont pas permis de protéger avec succès les civils dans les Provinces en conflit, malgré la présence de la Force des Nations Unies agissant sous le chapitre VII de la Charte depuis plus de 20 ans.
Parmi les diverses initiatives visant à établir la vérité sur les crimes du passé et à lutter contre l’impunité, le Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la RDC, publié en 2010, est la plus aboutie à ce jour.
Outre le travail de cartographie et de documentation méthodique de 617 incidents violents commis pendant l’un des chapitres les plus tragiques de l’histoire moderne du pays, au cours duquel les femmes et les enfants ont payé un très lourd tribut, les experts onusiens ont estimé que le système judiciaire congolais ne dispose pas des moyens nécessaires pour relever les défis liés à la répression des crimes internationaux. De plus, ils ont formulé une série de recommandations à l’attention des autorités congolaises pour briser le cycle de la violence et de l’impunité. Ces recommandations soutiennent la nécessité de recourir aux mécanismes judiciaires et non-judiciaires de la justice transitionnelle, qui sont complémentaires.
Plus de dix ans après la publication du rapport Mapping, ces recommandations sont restées lettre morte, ce qui est particulièrement choquant face à l’ampleur et à la gravité des crimes commis à l’encontre de la population civile depuis des décennies.
C’est dans ce contexte que la Fondation Panzi salue l’implication du Président de la République, Félix Tshisekedi, homme politique sans lien avec les crimes du passé, qui a mis la justice transitionnelle à l’agenda du gouvernement de l’Union Sacrée de la Nation « pour bâtir le chemin de la réconciliation nationale et de la paix ». De plus, dans un récent rapport sur la RDC, le Secrétaire Général des Nations Unies a encouragé les autorités congolaises à adopter une stratégie nationale de justice transitionnelle qui permettrait de lutter contre l’impunité et de rendre justice aux victimes des crimes les plus graves.
L’expression de la volonté politique du gouvernement Sama Lukonde et l’exhortation du Secrétaire Général s’inscrivent dans un élan très large de la société civile congolaise et des mouvements citoyens qui ont manifesté pacifiquement par milliers à travers le pays à l’occasion du 10e anniversaire de la publication du rapport Mapping le 1er octobre 2020. Cette mobilisation visait à réclamer la fin de l’impunité et la mise en place d’un Tribunal Pénal International pour la RDC et/ou des Chambres spécialisées mixtes au sein de l’appareil judiciaire congolais pour poursuivre et juger les auteurs nationaux et étrangers des crimes répertoriés dans le rapport.
En outre, diverses confessions religieuses, dont l’Eglise du Christ au Congo et la Conférence Episcopale Nationale du Congo, se sont également prononcées en faveur de l’établissement de mécanismes de poursuites et de jugements internationaux ou internationalisés en vue de garantir l’indépendance et l’impartialité dans l’administration de la justice pour les crimes du passé et du présent.
Au niveau international, les partenaires institutionnels et diplomatiques soutiennent ces initiatives visant à mettre en exergue la plus-value de la justice transitionnelle afin d’empêcher que les atrocités passées et présentes ne se reproduisent, de contribuer à restaurer l’état de droit et d’instaurer une paix durable en RDC.
Le Parlement européen a adopté une résolution le 16 septembre 2020, appelant à la création d’un Tribunal Pénal International et/ou de mécanismes mixtes de jugement et de poursuite, exprimant ainsi son soutien à un processus de justice transitionnelle en RDC. Dans la foulée de l’adoption de cette résolution, le chef de la diplomatie européenne en RDC a insisté dans le cadre du dialogue politique RDC/UE sur le fait qu’il ne pourra y avoir de retour à une paix durable sans jugement des crimes documentés par le Rapport Mapping, mais aussi tous ceux commis depuis lors. Ses homologues américains, canadiens et suisses ont également exprimé leur soutien à une démarche englobant les différents aspects de la justice transitionnelle pour pérenniser la paix.
Le temps est venu de se mobiliser autour de ce momentum pour avancer sur le chemin de la paix par la justice. Dans le cadre des efforts en cours au niveau des autorités congolaises, la Fondation Panzi exhorte les responsables politiques à concevoir sans tarder une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle, avec la participation de la société civile et le soutien de la communauté internationale.
Cette stratégie devra prendre en compte les besoins des survivant.e.s et des communautés affectées, et devra envisager une complémentarité entre les différents mécanismes de la justice transitionnelle, judiciaires et extra-judiciaires, en vue de mettre fin à l’impunité et garantir aux victimes leurs droits à la non-répétition des atrocités, à la justice, à des réparations et à la vérité pour parvenir à la réconciliation et à l’instauration d’une paix et d’un développement durables.
Par ailleurs, la spécificité de la situation de la RDC en matière de justice transitionnelle tient au fait que les crimes internationaux n’ont pas été exclusivement commis dans le contexte de conflits armés internes, mais aussi et surtout dans le contexte de conflits armés internationaux ou internationalisés de par l’intervention de nombreux pays tiers. Il s’avère donc indispensable de prendre en compte l’implication de ces pays dans l’élaboration de la stratégie et dans la conception des quatre principaux mécanismes de justice transitionnelle qui devront être mis en œuvre.
Enfin, la stratégie nationale devra impérativement intégrer une forte dimension genre vu le recours massif, méthodique et systématique à la violence sexuelle utilisée par tous les belligérants comme une arme de guerre et une stratégie de terreur.
L’objet de cette note de plaidoyer de la Fondation Panzi est de contribuer à alimenter le débat dans le cadre des efforts de la société civile congolaise pour contribuer à l’élaboration d’une stratégie de justice transitionnelle, en mettant l’accent sur la nécessité de prioriser les poursuites judiciaires et l’assainissement des forces de sécurité, et d’entamer un dialogue constructif avec les autorités congolaises et les partenaires internationaux, au premier rang desquels figure le Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme (BCNUDH), mandaté par le Conseil de Sécurité et le Conseil des Droits de l’Homme pour apporter son assistance technique aux autorités de la RDC en matière de lutte contre l’impunité et de justice transitionnelle.
II. Réformes institutionnelles et garanties de non-renouvellement des atrocités
Dans les sociétés qui cherchent à sortir d'un régime autoritaire et de conflits armés, internes ou internationaux, il est fréquent que les victimes de violations des droits humains, y compris les survivantes de crimes de violence sexuelle, vivent dans la peur car leurs bourreaux peuvent continuer à les menacer quotidiennement, souvent dans leur propre milieu.
C’est le cas en RDC où les diverses tentatives pour mettre fin à la violence ont planté les graines de de l’instabilité et de l’impunité en intégrant des éléments des groupes armés rebelles, congolais et étrangers, au sein des forces de sécurité et de défense de la République, en vertu du principe d’inclusivité consacré dans les accords de paix. Ceux qui sont censés protéger les civils et le territoire – l’armée, la police, les services de renseignement – sont bien souvent devenus une source de menaces pour la population et pour le pays, entraînant des conséquences désastreuses pour la protection des civils.
Des processus de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) sous-financés et bâclés ainsi que les politiques de « mixage » et de « brassage », souvent accompagnées de promotions, ont intégré l’indiscipline au sein des institutions. Cette situation a favorisé l’organisation d’un système légitimant la violence et les crimes comme mode d’accès au pouvoir, hypothéquant ainsi l’instauration d’une paix durable.
Pourtant, les victimes d’atrocités de masse ont droit à des garanties de non-répétition. L’Etat congolais doit veiller à ce que la société en général et les survivant.e.s en particulier n'aient pas à subir à nouveau des violations de leurs droits les plus fondamentaux. À cette fin, le gouvernement devrait entreprendre dans le cadre du processus de justice transitionnelle des réformes institutionnelles pour garantir le respect de l'état de droit, favoriser la culture des droits de l'homme et rétablir la confiance des citoyens dans les institutions.
Ainsi, les agents de l’Etat qui ont commis des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire ou qui n’ont pas assumé le rôle qui leur incombait pour empêcher ces violations – en l’occurrence les forces de sécurité et l’appareil judiciaire – devront donc être réformées et assainies en priorité.
Ces réformes destinées à garantir aux citoyens des protections contre le non-renouvellement des violations auront le plus d’impact à court et à moyen terme pour obtenir la stabilisation du pays et constituent des préalables indispensables à tout effort visant à instaurer une paix durable. Elles devront inclure non seulement l’armée (FARDC), la police (PNC) et les services de renseignement (ANR, DEMIAP, etc.) mais aussi le secteur de la justice et de l’administration pénitentiaire, en vue d’assurer la protection des personnes, des biens et du territoire.
Dans de multiples résolutions, le Conseil de Sécurité a exhorté les autorités congolaises à entamer une profonde réforme du secteur de la sécurité (RSS) pour briser le cycle d’impunité qui entoure les forces de sécurité en RDC. Il a souligné qu’une vraie RSS ne peut aboutir à des résultats durables si ces forces ne sont pas assainies. De nombreux experts internationaux et nationaux ont formulé les mêmes recommandations, à l’instar des Rapporteurs des sept procédures spéciales thématiques sur l’assistance technique au Gouvernement de la RDC, mandaté par le Conseil des Droits de l’Homme, ainsi que des experts du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme à travers le rapport du projet Mapping.
Le lien le plus manifeste entre la justice transitionnelle et la réforme des institutions consiste donc dans la mise en place d’une procédure d’assainissement (vetting). Ainsi, la Fondation Panzi encourage le gouvernement congolais à assainir sans plus tarder le secteur de la sécurité en mettant à l’écart de leur position de pouvoir les agents de l’Etat – en particulier ceux de l’armée, de la police, des services de renseignements et de l’appareil judiciaire – qui ont été impliqués dans des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
Cette procédure non judiciaire, qui vise à l’identification et à la révocation des institutions publiques des personnes responsables des violations des droits de l’homme, constituera une mesure cruciale de prévention des violations desdits droits – l’une des finalités de la justice transitionnelle – et permettra également un certain degré de satisfaction pour les victimes et les survivant.e.s, dans la mesure où les auteurs qui ne seront pas poursuivis en justice seront au moins exclus de leurs positions de pouvoir, réduisant ainsi leur capacité de nuisance.
Il s’agit aussi d’une condition préalable à toute autre initiative de justice transitionnelle crédible, car la présence dans les institutions étatiques de responsables présumés de violations graves des droits de l’homme est de nature à leur permettre d’utiliser leur pouvoir pour empêcher ou freiner tout effort de justice. De plus, la culture de l’impunité va de pair avec le climat de peur dans lequel vivent de nombreuses victimes et témoins de crimes de masse, fréquemment menacés de représailles par leurs bourreaux s’ils réclament la justice, des réparations et la vérité.
En outre, le gouvernement doit mettre en place un mécanisme de vérification des antécédents en matière de droits humains de ceux qui postulent dans les services publics. Chaque candidat devra faire l’objet d’une enquête transparente et approfondie sur son respect des droits humains et son aptitude à exercer une fonction donnée. Ceux qui ne satisferaient aux exigences de ce test ne pourront intégrer les forces de sécurité et de défense.
La RSS devra aussi inclure l’adoption d’une loi de programmation pour l’armée congolaise, la formation d’un corps d’armée et l’amélioration de la structure de commandement et de contrôle. De plus, des réformes structurelles visant à renforcer la responsabilité institutionnelle s’avèrent nécessaires. Cela peut inclure l'élaboration de normes professionnelles de conduite, de procédures de plainte et de discipline ainsi que de mécanismes de surveillance et d’inspection. Des programmes de formation systématiques des officiers et des autres éléments de forces de sécurité et de défense en droits de l’homme et en droit international humanitaire s’inscrivent également au rang des priorités. Avec le soutien des bailleurs de fonds, la construction de casernes et de camps militaires permettant de maintenir les soldats à l’écart des populations civiles, l’enregistrement des armes, des programmes visant à pourvoir le ravitaillement aux unités, surtout en zone opérationnelle, et à s’assurer qu’elles perçoivent leurs salaires, s’avèrent aussi importants dans le cadre de ces efforts de réforme.
Les futures réformes devraient également inclure l'adoption de quotas pour augmenter le nombre de femmes dans les secteurs de la justice et de la sécurité. En outre, la formation et le renforcement des capacités des éléments des forces de sécurité et des agents des forces de l'ordre en matière de genre sont essentiels pour répondre de manière adéquate au fléau des violences sexuelles.
La présence escomptée d’acteurs internationaux en soutien au processus de justice transitionnelle en RDC, principalement dans le domaine des poursuites et des jugements des crimes internationaux, devrait aussi être considérée comme une invitation pour le législateur congolais d’abolir la peine de mort, non seulement pour conformer le droit pénal avec les meilleurs standards internationaux mais aussi pour favoriser les extraditions d’auteurs présumés de violations des droits de l’homme ressortissants d’Etat tiers ou résidant à l’étranger.
Le cadre normatif visant à la protection des défenseurs des droits humains en général et à la protection des victimes et des témoins représente également des prérequis à la poursuite de crimes internationaux sensibles.
Enfin, les réformes en cours devront également veiller à dépolitiser les institutions d’appui à la démocratie, compétentes pour l’organisation et la validation des élections, à savoir la Commission Electorale Nationale Indépendante et la Cour Constitutionnelle, en vue de mettre un terme aux crises chroniques de légitimité du pouvoir qui constituent l’une des causes des crises récurrentes ayant déstabilisé la RDC ces dernières décennies.
III. Poursuites pénales
Le droit international oblige tous les Etats de poursuivre et de juger les auteurs de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Ainsi, le droit à la justice est reconnu aux victimes des crimes internationaux et la justice transitionnelle ne peut en aucun cas être une alternative à la responsabilité pénale des auteurs présumés d’atrocités.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a appelé dans diverses résolutions toutes les parties – l’Etat congolais et les autres Etats de la région impliqués dans les conflits armés – à l’obligation de traduire en justice les responsables des crimes de masse commis en RDC. En outre, il considère la lutte contre l’impunité comme un élément indispensable et préalable à la réconciliation et au rétablissement de la paix.
En vue de briser le cycle des violences et de l’impunité, les poursuites judiciaires devraient donc figurer au premier plan des mesures de justice transitionnelle à envisager.
Dans le cadre de l’évaluation des capacités domestiques pour rendre justice pour les crimes les plus graves commis en RDC depuis le début des années 1990, les experts onusiens ayant réalisé le rapport du projet Mapping ont conclu que les moyens dont dispose le système judiciaire congolais pour mettre fin à l’impunité sont « sans aucun doute insuffisants ». D’autre part, de nombreuses autres sources mettent en évidence le manque de ressources et de capacités du secteur de la justice en RDC miné par des problèmes de corruption, des interférences politiques et un manque d’indépendance affectant une bonne administration de la justice.
Enfin, le rôle souvent déterminant des acteurs étrangers dans les conflits armés ayant dévasté le territoire congolais et la forte implication d’Etats tiers dont les forces armées et des groupes rebelles affiliés ont occupé de larges pans du territoire de la RDC pose la question des poursuites et du jugement des violations des droits humains et du droit international humanitaire commises par les ressortissants étrangers.
Pour ces différentes raisons, les juridictions nationales n’apparaissent pas suffisamment effectives pour rendre une justice indépendante, impartiale et efficace.
Il sied de relever ici que la Cour Pénale Internationale n’est compétente que pour les crimes commis après le 1er juillet 2002, date de l’entrée en vigueur du Statut de Rome, alors que la 1e guerre du Congo a eu lieu de 1996 à 1997 et la 2e guerre du Congo s’est déroulée de 1998 à 2003.
Face à l’ampleur et à la gravité des crimes commis lors de la période sous examen par le projet Mapping et jusqu’à ce jour, et tenant compte de la dimension régionale du conflit, la Fondation Panzi plaide pour la mise en place de mécanismes de poursuite et de jugement à trois niveaux : international, internationalisé/mixte et national, ayant à l’esprit que chaque formule présente des avantages et des faiblesses.
Nous passerons ici en revue trois options combinant ces différents niveaux, dont l’articulation sera fonction de la volonté politique émanant de l’Etat congolais et des Nations Unies, en rappelant que le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, s’est engagé dans son discours à la Nation, début décembre 2020, à l’issue des consultations nationales, à « obtenir de la communauté internationale et des Nations unies en particulier, le soutien à l’initiative visant l’établissement d’un Tribunal Pénal International et de chambres spécialisées mixtes en RDC ».
Option 1 : la mise en place d’un tribunal pénal international ad hoc pour la RDC (TPI) et de chambres spécialisées mixtes au sein du système judiciaire congolais
L’idée d’installer un TPI pour les crimes les plus graves commis en RDC n’est pas neuve, même si elle connaît une nouvelle impulsion. Prévu dans les résolutions du Dialogue Intercongolais en 2002, évoqué à diverses reprises par l’ex-Président Kabila, aucune requête officielle n’a pourtant été adressée aux Nations Unies à ce jour pour créer un TPI. Néanmoins, une telle juridiction est réclamée avec ferveur par un grand nombre de défenseurs des droits humains et d’organisations de la société civile et, depuis le mois de septembre 2020, par une résolution du Parlement européen.
Un TPI est un organe subsidiaire du Conseil de sécurité des Nations Unies et sa création est précédée par la reconnaissance de « l’existence d’une menace contre la paix » en tant que
Ainsi, la Fondation Panzi invite le Président et le gouvernement congolais à envoyer dans les meilleurs délais une requête officielle au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour examiner cette question.
Si un TPI est créé par le Conseil de Sécurité sur base du chapitre VII de la Charte, ce tribunal aurait une compétence matérielle pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et de génocide. Il aurait primauté sur les juridictions nationales et ses décisions seraient obligatoires
Si le TPI aurait vocation à poursuivre et juger les ressortissants congolais et étrangers responsables de crimes les plus graves commis du début des années 90 jusqu’à ce jour, le Président de la République pourrait également solliciter l’appui des Nations Unies pour établir, en complément, des chambres mixtes et spécialisées. Celles-ci seraient intégrées dans l’ordre juridique national au sein de Cours d’Appel (comme au Cambodge, en Bosnie-Herzégovine ou en République Centrafricaine), suite à la signature d’un Mémorandum ou d’un Accord entre le Gouvernement congolais et la MONUSCO, conformément à l’art. 149, alinéa 6 de la Constitution de la RDC qui édicte : « la loi peut créer des juridictions spécialisées ». La Fondation Panzi invite donc à la signature d’un tel Memorandum d’entente entre la RDC et la MONUSCO et à l’adoption d’une loi sur l’établissement de chambres spécialisées mixtes.
Ces chambres spécialisées de caractère mixtes de par leur mode de création – un Accord entre le gouvernement congolais et les Nations Unies –, et leur composition – des magistrats et des juges nationaux et internationaux – interviendraient en complément du TPI en se concentrant sur les poursuites des auteurs présumés des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire se trouvant en RDC.
La participation d’enquêteurs, de procureurs et de juges internationaux experts dans les crimes de masse serait de nature à contribuer à réduire les ingérences politiques dans l’administration de la justice et à apporter des garanties d’indépendance et d’impartialité si elle est majoritaire par rapport aux magistrats et juges congolais. En outre, cette option permettrait de renforcer les capacités du système judiciaire congolais par un transfert de compétences et un transfert graduel des fonctions dévolues aux acteurs internationaux aux mains de leurs homologues nationaux.
La mise en place de chambres spécialisées mixtes au sein de l’appareil judiciaire congolais a été fréquemment préconisée et a été proposée comme une solution de lutte contre l’impunité pour les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire par plusieurs représentants de la société civile congolaise et de la communauté internationale au cours des dernières années, notamment dans les recommandations du rapport conjoint de sept procédures spéciales thématiques sur l’assistance technique au Gouvernement de la RDC et dans les recommandations du rapport Mapping. La création des chambres mixtes faisait également partie des recommandations des Etats généraux de la justice réalisés en 2015. Plus récemment, le Parlement Européen s’est aussi prononcé en faveur de cette option, combinée avec un TPI.
Il sied de rappeler qu’un avant-projet de loi créant des « Chambres spécialisées pour la poursuite judiciaire des crimes internationaux » a été présenté au Parlement congolais en 2011 et que le gouvernement a soumis en 2014 un autre projet de loi, sans qu’aucune de ces démarches n’aboutissent.
Enfin, les juridictions nationales, qui sont les premiers dépositaires du droit pénal international, auraient une compétence générale résiduelle pour poursuivre et juger les affaires non traitées par le TPI et les chambres spécialisées mixtes, et devraient donc se désister chaque fois que les mécanismes internationaux ou internationalisés se seraient saisis.
Option 2 : la mise en place d’un Tribunal Pénal Spécial pour le Congo et de chambres spécialisées mixtes
Dans l’hypothèse où le Conseil de Sécurité ne répond pas favorablement à la requête de créer un TPI pour le Congo, le Président de la République pourrait solliciter aux Nations Unies le soutien
Ce type de juridiction internationale de composition mixte serait créée par un accord entre le gouvernement congolais et les Nations Unies. Elle appliquerait le droit pénal international relatif aux crimes internationaux et, si approprié, des dispositions de droit interne congolais.
Une telle juridiction, étant constituée d’une majorité d’enquêteurs, de magistrats et de juges internationaux, jouirait d’un grand degré d’indépendance et d’impartialité grâce au rôle prépondérant accordé aux acteurs internationaux, ce qui serait de nature à créer des conditions propices à une meilleure coopération avec les Etats tiers et d’autres institutions comme Interpol.
Par contre, ne faisant pas partie du système judiciaire national, son impact sur le renforcement des capacités de la justice congolaise serait plus limité.
Dans cette deuxième option, la Fondation Panzi préconise que le Tribunal Pénal Spécial se concentre en priorité sur la poursuite des présumés auteurs, congolais ou étrangers, qui portent la plus grande responsabilité dans la commission des plus graves crimes internationaux, et que les chambres spécialisées mixtes traitent les autres dossiers prioritaires en matière de lutte contre l’impunité. Les juridictions nationales auraient une compétence résiduelle pour les dossiers dont les mécanismes évoqués plus haut ne se seraient pas saisis.
Option 3 : la mise en place de chambres spécialisées mixtes
Si le gouvernement congolais et la communauté internationale ne retiennent pas l’option de créer un TPI ou un tribunal hybride indépendant du système judiciaire congolais, l’option a minima serait alors de mettre en place des chambres spécialisées mixtes, en veillant à ce que la composition des organes de poursuites et de jugements soit majoritairement internationale pour les raisons évoquées supra.
Les tribunaux congolais resteraient compétents pour la poursuite et la répression des crimes internationaux dont les Chambres spécialisées mixtes ne se seraient pas saisies, selon une stratégie nationale de poursuites basée sur des critères de sélection de cas à définir et une procédure de désistement entre les mécanismes internationalisés et domestiques.
Face à la probabilité assez grande que des Chambres spécialisées mixtes voient le jour, la Fondation Panzi tient à saluer les efforts des Tribunaux militaires pour lutter contre l’impunité de certains crimes internationaux commis en RDC, plus particulièrement de crimes de violences sexuelles commis ces dernières années. Néanmoins, elle estime que la présence escomptée d’acteurs internationaux au sein des organes de poursuites et de jugements dans le cadre du processus de justice transitionnelle en genèse offre une opportunité pour effectuer un transfert vers les tribunaux ordinaires, en conformité avec les standards internationaux et avec la loi de mise en œuvre du Statut de Rome adoptée en juin 2015. Cette loi modifiant respectivement le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code pénal militaire et le Code judiciaire militaire a notamment supprimé la compétence exclusive des tribunaux militaires pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et de génocide.
En effet, de nombreuses recommandations formulées de manière répétée depuis de nombreuses années par les experts des Nations Unies et de la société civile ont exprimé diverses préoccupations et insuffisances face à la compétence longtemps exclusivement attribuée aux tribunaux militaires pour juger les crimes internationaux. Au niveau des droits de la défense, les accusés devant la Cour militaire opérationnelle n’ont pas le droit à un double degré de juridiction, ce qui est contraire non seulement à la Constitution mais aussi aux standards internationaux en matière de droits humains.
Rappelons qu’en vertu de la loi de 2015, les tribunaux civils sont désormais compétents pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et de génocide commis sur le territoire congolais, sans considération de la position officielle de l’auteur présumé du crime ou de toute immunité dont il/elle peut disposer en vertu du droit national ou international, mais force est de constater qu’à ce jour, les tribunaux civils n’ont encore que peu exploité cette possibilité de rendre justice aux victimes des crimes les plus graves.
La Fondation Panzi tient à attirer l’attention sur un défi de taille qui se présenterait dans l’optique où un TPI n’est pas instauré : mettre fin à l’impunité dont jouissent les nombreux auteurs de crimes internationaux commis en RDC par des ressortissants étrangers et/ou étant à l’extérieur du pays dans le cadre de mécanismes intégrés au système judiciaire national.
Le Conseil de Sécurité a souligné à maintes reprises que les forces qui ont occupé des zones de la RDC devront être tenues responsables des violations des droits humains commises dans les territoires qu’elles ont contrôlés. Il a également rappelé l’obligation de l’Etat congolais mais aussi des autres Etats de la région, notamment les Etats impliqués dans les conflits armés, de traduire les responsables des violations en justice et de permettre que le nécessaire soit fait pour que ceux qui auraient commis des violations du droit international humanitaire en répondent.
Nous l’avons vu plus haut, seul un TPI pourrait rendre des décisions obligatoires pour tous les Etats, y compris ceux limitrophes de la RDC et dont les forces et groupes armés sont impliqués dans la commission de crimes internationaux lors des conflits.
Pour que justice soit rendue au niveau domestique en RDC, il faudrait donc des accords d’extradition et une coopération judiciaire très efficace avec tous les Etats parties au conflit, notamment l’Ouganda et le Rwanda, car l’établissement des faits et des responsabilités, y compris des commandants ou des commanditaires, sera difficile sans l’assistance et la coopération des autorités des Etats tiers concernés.
Malgré divers engagements pris par les pays signataires de l’Accord-Cadre d’Addis Abeba pour la paix, la sécurité et la coopération et de la Déclaration de Nairobi sur la justice et la bonne gouvernance, force est de constater qu’une réelle volonté politique de tous les Etats concernés pour traduire en justice leurs ressortissants auteurs présumés de crimes internationaux commis en RDC fait défaut, malgré la création d’un Réseau de coopération judiciaire de la région des Grands Lacs. En effet, à ce jour, la Fondation Panzi n’a pas connaissance de poursuites engagées par des pays tiers à l’encontre de leurs nationaux impliqués dans la commission des crimes les plus graves commis en RDC.
Pourtant, le droit international oblige les Etats à poursuivre ou à extrader leurs ressortissants, ainsi que les personnes se trouvant sur leur territoire, à l’instar de la récente et première mise en examen prononcée dans le cadre d’une procédure judiciaire ouverte en France sur la base du Rapport Mapping à l’encontre de Roger Lumbala, en application du principe de la compétence universelle pour les crimes internationaux les plus graves.
Ainsi dans l’hypothèse où un TPI ne voit pas le jour, la Fondation Panzi invite le Conseil de Sécurité à adopter une résolution obligeant les Etats tiers à traduire en justice leurs ressortissants impliqués dans la commission de crimes commis en RDC et exigeant la coopération de tous les Etats dans la poursuite des auteurs présumés de violations graves, congolais et étrangers, pour qu’ils soient traduits en justice devant les mécanismes internationaux ou internationalisés à créer en RDC.
Enfin, la prise de décision de création de tels mécanismes et le démarrage effectif de leurs activités pouvant prendre du temps, il s’avère urgent pour la Fondation Panzi de procéder au plus vite à la collecte et à la préservation des preuves qui pourront servir devant ces juridictions. Ces preuves, et plus particulièrement celles qui pourront être tirées lors de l’exhumation de nombreuses fosses communes inventoriées par le Rapport Mapping, sont essentielles et indispensables pour établir devant les tribunaux la responsabilité pénale des auteurs des crimes de masse commis en RDC. Le Président de la République devrait, sans plus attendre, adresser une lettre au Conseil de sécurité dans laquelle il demande l’aide de la communauté internationale et l’adoption d’une résolution du Conseil de Sécurité créant une Équipe d’enquêteurs, intégrée dans la MONUSCO, comprenant entre autres des experts en anthropologie médico-légale, chargée de recueillir, conserver et stocker des éléments de preuve d’actes susceptibles de constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide perpétrés en RDC, selon les critères les plus rigoureux, qui devraient être définis dans le mandat de cette équipe d’enquêteurs.
IV. Réparations
En vertu du droit international, les victimes de violations des droits humains et du droit international humanitaire ont droit à une réparation adéquate, effective et rapide. En effet, la victime ou ses ayants droit ont le droit à recevoir des dommages et intérêts de la part de l’auteur du crime. En outre, l’obligation de fournir réparation incombe également à l’Etat pour les actes et omissions qui peuvent lui être imputés, notamment lorsqu’il a failli à son obligation de protéger la population civile en temps utile.
Le droit à la réparation peut prendre plusieurs formes possibles et inclure diverses mesures de restitution, d'indemnisation, de réhabilitation, de satisfaction et de garanties de non-répétition, comme le prévoit le droit international dans de nombreux traités relatifs aux droits de l'homme et au droit humanitaire.
Selon les Nations Unies, une personne peut être considérée comme une victime indépendamment du fait que l'auteur de la violation soit identifié, appréhendé, poursuivi ou condamné. En outre, dans l'exercice de son droit à la réparation, la victime doit bénéficier d'une protection contre les intimidations et les représailles.
Parmi les différents mécanismes de la justice transitionnelle, le droit à la réparation est l’outil le plus orienté sur les droits des victimes et de nombreuses études ont souligné que l'une des principales demandes des victimes et des survivant.e.s est la justice réparatrice. En effet, la réparation représente non seulement une mesure de justice, mais reconnaît également le préjudice infligé et fournit un soutien financier ou matériel à la victime pour lui permettre de reconstruire sa vie dans la dignité.
Les réparations se font généralement de deux manières : elles peuvent être ordonnées par un tribunal (réparations judiciaires) ou établies par un décret gouvernemental ou en vertu de la loi (réparations administratives).
Malgré le courage de nombreuses victimes de crimes de masse de porter plainte en justice, et de surmonter les nombreux obstacles liés à l’administration de la justice en RDC, leur aspiration à voir leurs bourreaux condamnés va de pair avec leur espoir d’obtenir des dommages et intérêts. Pourtant, alors que les tribunaux congolais ont fréquemment accordé ces dernières années des réparations à des victimes, notamment à des survivantes de violences sexuelles, ces indemnités ne sont jamais versées même lorsque l’Etat congolais est condamné solidairement au versement des dommages et intérêts avec les prévenus – bien souvent des éléments des FARDC – lorsqu’ils sont insolvables.
Il faut relever que la procédure congolaise visant à l’exécution des décisions de justice portant réparation, en phase post-procès, est complexe et onéreuse, ce qui décourage de nombreuses victimes et les laisse avec un sentiment amer de justice à moitié rendue. Le non-paiement de ces indemnités mine non seulement la crédibilité du pouvoir judiciaire et la confiance des justiciables en la justice, mais décourage aussi les victimes à déposer plainte, mettant ainsi à mal les efforts de lutte contre l’impunité.
Pour remédier à cette situation, la Fondation Panzi invite le gouvernement à mettre en place sans tarder un système permettant de s’assurer que des dommages et intérêts soient versés aux victimes de graves crimes internationaux jugés par la justice congolaise.
Face aux difficultés et aux obstacles auxquels font face les victimes dans les démarches visant à l’obtention d’une réparation découlant d’une décision judiciaire, qui exige l’établissement des responsabilités des auteurs, et tenant compte du fait que beaucoup d’auteurs, pour diverses raisons, ne seront pas poursuivis en justice, il y a lieu de chercher en parallèle des alternatives à la voie judiciaire pour octroyer des réparations aux victimes et survivant.e.s qui n’auront pas accès aux mécanismes de justice formels.
Ainsi, les réparations administratives sont de plus en plus souvent préconisées dans les contextes de violations massives des droits de l'homme. Ces programmes de réparation ont généralement une portée beaucoup plus large que les réparations judiciaires et sont moins exigeants à l’égard des victimes, notamment en matière de preuves à fournir. En outre, ils se concentrent avant tout sur le dommage subi, sans chercher nécessairement à imputer la faute à un individu précis.
Afin de garantir l'octroi rapide de réparations aux victimes et aux survivant.e.s qui en ont cruellement besoin et qui attendent d’obtenir justice et d'autres formes de réparation depuis de nombreuses années, ces programmes administratifs de réparation devraient être poursuivis, développés et mis en œuvre en parallèle et en complémentarité avec le développement et la mise en œuvre des autres mécanismes de justice transitionnelle mentionné dans le présent document.
En raison du grand nombre de victimes et au regard de la complexité des réparations à mettre en œuvre, il serait judicieux de confier l’élaboration de programmes de réparations à un organe spécifique qui devrait jouir d’une grande indépendance, d’un niveau élevé de probité et de prérogatives larges pour définir le type de violation qui sera sujet à réparation et identifier des catégories de victimes ayant droit à différentes formes de réparations. En effet, la détermination des bénéficiaires d’un programme de réparation est d’une importance cruciale et plusieurs critères valables peuvent être utilisés, par exemple la gravité de la violation, ses conséquences sur la santé physique ou mentale des victimes, la stigmatisation, l’éventuelle répétition des violations, ou la situation socio-économique actuelles des victimes. Les types de réparation devront aussi être déterminés : individuelles, collectives, matérielles et symboliques.
Notons que si les réparations individuelles et pécuniaires constituent la seule mesure de réparation prévue en droit congolais, d’autres mesures sont envisagées par les standards internationaux dans le cadre de processus de justice transitionnelle. Des réparations collectives, par exemple la construction d’une école ou d’un centre de santé ou la mise en place de projets de développement au profit des communautés affectées, doivent également être encouragées. Il en est de même de mesures d’ordre plus symbolique, certaines à faible coût, comme des excuses publiques par le gouvernement ou le Chef de l’Etat au nom de la Nation, ou d’autres initiatives qui visent à répondre au besoin de préserver la mémoire, comme l’édification de musées et de mémoriaux, ou encore l’institution d’une journée de mémoire dédiée au souvenir des victimes.
Ces mesures symboliques impliquent non seulement un processus de reconnaissance publique et officielle des violations et de leurs conséquences pour les victimes mais s’adressent également à l’ensemble de la société comme un appel à la non-répétition, avec le message « Plus jamais ça ».
Prenant en compte ces différentes options, il est particulièrement important que les victimes soient impliquées dans la conception et la mise en œuvre des programmes de réparations. C’est animé par cette vision que le Mouvement National des Survivant.e.s de Violences Sexuelles en RDC a adopté le slogan : « Rien sur nous, sans nous ! ». Des processus de consultation des victimes s’avèrent indispensables car les victimes connaissent mieux que quiconque leurs besoins et leurs priorités, et sont les mieux placées pour répondre aux préoccupations concernant les modalités et la répartition des réparations qui les concernent directement. A cet effet, des financements appropriés doivent être dégagés pour renforcer les capacités de réseautage et de plaidoyer des organisations de défenseurs des droits humains en général et des associations de victimes et de survivant.e.s en particulier, en vue de garantir leur participation effective dans le processus de justice transitionnelle.
Pour répondre aux attentes en matière de justice réparatrice, l’Etat devrait donc envoyer un signal politique clair sur sa volonté de venir en aide aux victimes de crimes internationaux. Il devrait mettre en place un programme national de réparations afin d’intervenir dans tous les cas où les responsables du préjudice subi ne sont pas identifiés ou ne peuvent ou ne veulent pas s'acquitter de leurs obligations.
La Fondation Panzi a connaissance de diverses initiatives en discussion : un projet de loi sur les réparations qui a été déposé au Parlement depuis plusieurs années ; un projet de Fonds au niveau du Ministère de la Justice destiné à recevoir les fonds devant provenir des réparations issues de la procédure judiciaire « RDC contre l’ Ouganda » devant la Cour internationale de Justice ; un projet de Fonds de réparations pour les victimes de violences sexuelles, porté par le Bureau de la conseillère spéciale du Chef de l’État en matière de violences sexuelles et jeunesse, avec la collaboration du Ministère de la Justice ; et en fin un projet de Fonds d’indemnisation des victimes des violations graves des droits de l’homme est en préparation au niveau du Ministère des Droits Humains.
Ce foisonnement d’initiatives en cours, dont aucune n’est encore aboutie, met en évidence la nécessité d’adopter au préalable et en priorité une stratégie et un programme national en matière de réparation, centré sur les victimes et sensible au genre, avant d'adopter un cadre normatif et de mettre en place un Fonds fiduciaire ou un Fonds d’indemnisation en vue de mettre en œuvre le programme de réparation pour les victimes des conflits en RDC.
La mise en œuvre d’un tel programme nécessitera un investissement indispensable de l’Etat congolais et le soutien de la communauté internationale. L’Etat congolais devrait envisager divers modèles de financement des réparations. Ces mesures de réparation devraient également être prises en charge par les Etats tiers dont la responsabilité est engagée y compris les Etats dont la responsabilité est engagée pour les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises dans les conflits qui ont eu lieu en RDC, en tant qu’obligation en vertu du droit international coutumier, et comme vecteur privilégié pour créer les conditions propices à une réconciliation régionale et une coexistence pacifique.
V. Mécanismes de recherche de la vérité
Le peuple congolais dans son ensemble et les victimes de violations des droits humains en particulier ont le droit de connaître la vérité sur les événements passés qui ont trait à la commission de crimes de masse. Il s’agit de faire la lumière non seulement sur les circonstances et les raisons qui ont conduit à la perpétration de ces atrocités mais aussi sur les causes profondes, les structures et les institutions qui les ont permises ou facilitées.
L'exercice effectif du droit à la vérité constitue une garantie essentielle contre la répétition des violations et est particulièrement important pour les sociétés qui cherchent à sortir de régimes autoritaires et répressifs qui ont souvent tendance à réécrire délibérément l'histoire et à nier ou minimiser les atrocités afin de se légitimer, d'alimenter la méfiance et même de susciter de nouveaux cycles de violence. L’établissement de la vérité contribue donc à empêcher ce genre de manipulation révisionniste ou négationniste.
Le droit à la vérité, dans sa dimension individuelle ou collective, a été explicitement cité comme base juridique dans plusieurs instruments établissant des commissions vérité ou d'autres mécanismes similaires. Les actes juridiques établissant ces commissions se fondent souvent sur le besoin des victimes, de leurs proches et de la société en général de connaître la vérité sur ce qui s'est passé et de faciliter le processus de réconciliation, de contribuer à la lutte contre l'impunité et de réinstaurer ou de renforcer l'état de droit et la démocratie.
Ces commissions – des organes d'enquête non judiciaires – se voient en général accorder une période relativement courte pour la prise de dépositions, les enquêtes, les recherches et les audiences publiques, avant de terminer leur travail par un rapport public final.
Bien que les commissions de vérité ne remplacent pas la nécessité de poursuites judiciaires – et la justice n’a pas à être la première victime de la recherche de la vérité –, elles offrent néanmoins une forme de compte-rendu du passé et sont donc particulièrement intéressantes dans les situations où les poursuites pour l’ensemble des crimes de masse sont impossibles ou peu probables, comme en RDC, en raison du nombre très élevé de crimes commis et de personnes impliquées. Le recours à un mécanisme de vérité a donc vocation à compléter et à combler les limites intrinsèques de l’approche judiciaire.
Malgré l’échec de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) instituée entre 2003 et 2006 à l’issue du Dialogue inter-congolais de Sun City et Pretoria, ayant entraîné une grande déception dans le chef des victimes, la soif de vérité sur les conflits, leurs genèses et les raisons profondes ayant conduit à tant de violence reste grande au sein de la société congolaise, particulièrement à l’Est du pays.
Après des décennies de déni, de manipulation et de mensonges, la recherche de la vérité est indispensable pour éviter la répétition des erreurs du passé, établir les différentes échelles de responsabilités – nationales, régionales, et internationales –, construire les bases d’une société apaisée face aux traumatismes du passé et favoriser la réconciliation au sein de la société congolaise et entre les pays de la région des Grands-Lacs.
Une nouvelle commission de vérité pour la RDC devrait donc avant tout tirer les leçons des erreurs du passé, et adopter une approche centrée sur les victimes et les questions de genre. Les raisons de l’échec de la CVR étaient liées à l’absence de processus de consultation, à la nature de sa composition – liée au principe d’inclusivité à la base de l’Accord global et inclusif –, à l’existence d’un double mandat irréaliste de recherche de la vérité et de gestion des conflits par la médiation, et enfin au défaut de capacités humaines et matérielles.
La Fondation Panzi a pris connaissance du projet de décret à l’étude au Ministère des Droits humains en vue d’établir une « Commission de la Justice Transitionnelle et de Réconciliation ». Cette Commission, qui serait chargée de mettre en œuvre la politique de justice transitionnelle en vue d’assurer la médiation et la réconciliation entre les auteurs et les victimes des crimes graves et procéder aux réparations nécessaires en faveur des victimes, ne semble pas avoir suffisamment pris en compte les erreurs de la première CVR : défaut de consultation, manque d’indépendance, structures bureaucratiques, double mandat de recherche de la vérité et de médiation, etc. En outre, il apparaît difficile pour une Commission de mettre en œuvre une politique de justice transitionnelle avant même qu’une stratégie nationale ne soit définie. Telle est la raison pour laquelle la Fondation Panzi invite le gouvernement à définir en premier lieu une politique nationale et une stratégie holistique de justice transitionnelle avant d’adopter un cadre normatif.
Le caractère international ou internationalisé de certains conflits qui se sont déroulés sur le territoire de la RDC pose la question de l’opportunité de donner un mandat régional à une structure nationale, ou d’explorer l’idée de mettre en place une instance régionale – une CVR de la région des Grands Lacs – pour établir les faits et les responsabilités des différents acteurs étatiques et non étatiques ayant occupé des portions du territoire de la RDC pendant les conflits et jeter les bases d’une coexistence pacifique entre les pays de la sous-région. Enfin, s’il peut s’avérer nécessaire d’analyser et de reconnaître officiellement le caractère international et régional du conflit, la question de mettre en place des Commissions provinciales, à l’instar de l’initiative en cours au Kasai Central, doit aussi être examinée dans d’autres contextes locaux sensibles, dans diverses Provinces du pays, comme par exemple en Ituri ou au Nord et au Sud Kivu.
C’est dans ce contexte que la Fondation Panzi formule quelques recommandations dans l’hypothèse où une nouvelle CVR nationale et/ou des CVR provinciales verraient le jour.
Les procédures de recrutement et de nomination sont d’une importance cruciale car la crédibilité, l’indépendance et la compétence des membres de nouveaux mécanismes de vérité pour la RDC détermineront dans une large mesure leur légitimité et le soutien dont ils bénéficieront. En outre, ces mécanismes devront rechercher la parité ou un quota minimum de femmes dans tous les postes de leur personnel, et des associations de femmes, y compris des survivantes de violences sexuelles liées aux conflits, devront être inclues dans le jury de sélection des commissaires.
Le mandat de la commission nationale et/ou d’une commission provinciale devra permettre de faire la lumière sur le contexte dans lequel les conflits se sont déroulés, les causes profondes de la violence ayant dévasté tant de vies et de communautés, l’ampleur et la nature systématique ou généralisée des crimes, et les différentes échelles de responsabilités, politiques, institutionnelles, sociales, économiques. Elle ne pourra se substituer à un organe de médiation ou à un mécanisme de réparation mais aura vocation à fournir des recommandations, notamment en matière de réparations et de réformes institutionnelles. Lorsque des populations spécifiques ont été particulièrement touchées par la violence, et surtout lorsque cette violence est peu rapportée ou mal comprise, comme c'est le cas pour les crimes à caractère sexuel, il sera utile de demander à la commission d'accorder une attention particulière à ces victimes ou types d'abus. Par exemple, certaines commissions vérité ont créé une unité "Femmes" et ont été chargées d'accorder une attention particulière aux abus contre les femmes et les jeunes filles, ou aux victimes d'abus sexuels. En outre, dans le cas de la RDC, les motifs économiques à la source des conflits armés, liés à l’occupation des terres et à l’exploitation et au commerce illégal des ressources naturelles et minières, devront être examinés de manière particulière.
En ce qui concerne les audiences, la commission devra élaborer des procédures pour faciliter et encourager les victimes à fournir des informations sur leurs expériences, notamment en adoptant des mécanismes de protection des témoins et de soutien psychosocial tenant compte des différences entre les sexes. La présence de femmes au sein de la Commission et de ses organes sera de nature à aider les survivant.e.s de violences sexuelles à se sentir plus à l'aise lorsqu'elles signaleront des abus sexuels. Une commission pourrait également organiser des audiences réservées aux femmes, en présence uniquement de commissaires et d'observateurs féminins, ou permettre aux femmes de témoigner lors d'une audience publique en voilant leur identité.
Le rapport final de la commission de vérité devra analyser les causes, le contexte et les conséquences de la violence sur la société congolaise en général et les victimes en particulier. De plus, il émettra des recommandations pour remédier aux préjudices subis par les victimes et garantir la non-répétition. Il représentera une voie importante pour garantir que les expériences des femmes pendant les conflits soient documentées et que des recommandations soient faites pour une réparation appropriée. Le rapport devra comporter des chapitres consacrés aux expériences des femmes et des enfants durant les conflits, ainsi qu'une analyse de genre intégrée dans l'ensemble du document.
Enfin, si l’option de recréer une nouvelle CVR ou de créer des CVR provinciales revient à l’ordre du jour, cela ne devrait pas se faire au détriment de mécanismes non officiels de recherche de la vérité, notamment toutes les initiatives de préservation de la mémoire historique, qui émanent le plus souvent aujourd’hui des acteurs de la société civile, et qui doivent aussi être encouragées. Il s’agit d’activités qui se multiplient aujourd’hui telles les marches de lutte contre l’impunité, les journées et cérémonies commémoratives des victimes des massacres, la construction de monuments ou d’un Mémorial en ligne, les demandes, exprimées par les communautés victimes, d’ouverture et d’exhumation des fosses communes, etc.
VI. Conclusion
L’ampleur et la gravité des crimes les plus graves commis en RDC depuis presque 3 décennies a profondément traumatisé l’ensemble de notre société qui est en perte de repères et de valeurs.
La culture de l’impunité dont jouissent les auteurs présumés des crimes les plus graves censés choquer la conscience de notre humanité commune est l’une des causes profondes de l’instabilité et de la perpétuation de violations graves des droits humains et du droit humanitaire jusqu’à ce jour.
Alors que les options politiques et sécuritaires ont échoué à stabiliser le pays et à protéger les civils et que la MONUSCO envisage un retrait graduel et progressif, il est plus que temps d’exploiter la plus-value des différents mécanismes de la justice transitionnelle pour empêcher que les atrocités passées et présentes ne se reproduisent, pour guérir notre société malade et avancer sur le chemin de la paix durable par la justice, aussi bien rétributive que réparatrice.
La Fondation Panzi poursuivra ses efforts de plaidoyer pour que les droits des victimes à la justice, à la vérité, à la réparation et à des garanties de non-récurrence soient enfin respectés.
Elle prie les Nations Unies de mettre la lutte contre l’impunité et la justice transitionnelle au cœur de sa stratégie de sortie de la RDC et exhorte le gouvernement congolais à adopter sans plus tarder une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle conforme aux meilleurs standards internationaux.
Fait à Bukavu le 05/06/2021
Pour la Fondation Panzi,
17