Procès Mouzoko : des peines de trois ans de prison à la peine capitale requises à l’encontre des présumés assassins de l’épidémiologiste de l’OMS

Procès du Dr Ricahrd Mouzoko de l'OMS/Ph. ACTUALITE.CD

Après près de dix audiences, le ministère public a prononcé ce samedi 6 mars son réquisitoire dans le cadre du procès des présumés assassins du docteur camerounais Richard Mouzoko, épidémiologiste de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lâchement abattu en avril 2019 en pleine crise d’Ebola en ville de Butembo (Nord-Kivu).

Pour les 25 prévenus déférés devant la justice militaire, le ministère public a demandé des condamnations allant de trois ans de prison à la peine capitale pour association de malfaiteur, participation au mouvement insurrectionnel et terrorisme par assassinat. Après la réplique des parties au procès, la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu, qui instruit cette affaire, l’a prise en délibéré pour un arrêt attendu lundi 8 mars 2021.

C’était un samedi de tous les enjeux pour les parties au procès  des présumés assassins du docteur camerounais Richard Mouzoko. Trois points étaient à l’ordre du jour de cette audience que la Cour militaire opérationnelle a préféré tenir dans la salle du tribunal de paix de Butembo, pour se mettre à l’abri des intempéries. Il s’agit notamment du réquisitoire du ministère public, la plaidoirie de la défense ainsi que des répliques.

Entre trois ans et la peine capitale

Dans son prononcé, le ministère public a soutenu que les 25 prévenus déférés devant la cour sont coupables d’association de malfaiteur, participation au mouvement insurrectionnel et terrorisme par assassinat. D’après lui, ils avaient agi en concertation pour assassiner l’épidémiologiste de l’OMS, en vue de « faire partir des prestataires non-originaires » suite à la disparité dans l’allocation des primes lors de la riposte contre la dixième épidémie d’Ebola.

Le magistrat militaire a ainsi requis à l’encontre de 17 prévenus en fuite, notamment le docteur Jean Paul Mundama Witende, considéré comme cerveau moteur, ainsi que des miliciens, considérés comme exécutants, une condamnation par défaut à la peine capitale. Pour les huit prévenus présents, le ministère public a demandé une condamnation à des peines allant de trois ans à 20 ans de prison, notamment trois ans pour les trois femmes chez qui les assassins auraient pris de la boisson avant et après le forfait, trois ans également  pour les docteurs Hippolyte Sangala et Paluku Luendo, cinq ans pour le docteur Gilbert Kasereka et 20 ans pour les deux présumés miliciens Pili-pili et Ise-somo.     

Il a également sollicité la Cour de déclarer recevable et fondée l’action de partie civiles, notamment celle de l’Université catholique du Graben (UCG) qui a demandé 500 000 dollars américains de dommages et intérêts pour les préjudices causés à sa clinique lors de l’attaque ayant conduit à l’assassinat de Richard Mouzoko.

Un réquisitoire fondé sur les témoignages d’un seul prévenu ?

Un réquisitoire qui était loin de rencontrer les attentes de la défense. Le collectif des avocats des prévenus Sangala et Luendo ont plaidé pour l’acquittement de leurs clients, accusant le ministère public de n’avoir « fourni aucune preuve attestant que leurs clients ont pris part à une réunion au cours de laquelle des participants auraient décidé de la chasse aux prestataires non-originaires ». Ils ont reproché au ministère public de ne s’être basé que sur des «simples déclarations ou témoignages» du prévenu docteur Gilbert Kasereka pour incriminer leurs clients. 

« Il y a un principe en Droit qui dit qu’à seul témoin, témoin nul », ont rappelé les avocats de Sangala et Luendo, appelant la cour à acquitter leurs clients pour « insuffisance de charges et absence de preuve ».

Prenant la parole, la défense du docteur Gilbert Kasereka a évoqué une dizaine d’évidence qui sont d’après elle, loin de prouver la culpabilité de son client.

« Notre client a juste entendu une idée émise par le docteur Mundama, celle de faire partir des médecins originaires. Pendant sa comparution, il a déclaré qu’il s’était opposé en deux reprises à l’idée. Le fait d’être auditeur d’une idée criminelle ne fait pas de lui un criminel. Kasereka a juste entendu une idée. Le ministère public n’a pas su prouver s’il a contribué en quelle hauteur à sa matérialisation. Et si l’idée est réalisée, nous devons préciser que nous n’avons donné à Mundama aucun mandat  pour agir à notre nom. Ceci étant, nous plaidons pour l’acquittement de notre client. Vaux mieux acquitter des milliers de criminels que de condamner des innocents », a plaidé l’avocat Serges Makeo qui défend le prévenu   Gilbert Kasereka.

La dernière plaidoirie a été celle des avocats qui défendent les trois femmes chez qui les présumés assassins auraient pris de la boisson avant et après le forfait, ainsi que  les deux présumés miliciens Pili-pili et Ise-somo.

S’agissant du cas de trois femmes prévenues, leurs avocats ont indiqué que leurs clientes ne sont que des simples vendeuses de Kasiksi, une boisson indigène, et qu’en accueillant des clients qui venaient prendre un verre chez elles, elles ne savaient pas qu’il s’agissait de rendez-vous de réunion.

En ce qui concerne le cas des présumés miliciens Pili-pili et Ise-somo, leurs avocats ont indiqué que leurs clients ne sont ni les provocateurs, moins encore les exécutants de l’acte criminel ayant conduit à l’assassinat du docteur Richard Mouzoko. Pour eux, il n’est pas juste qu’ils soient poursuivis pour participation à un mouvement insurrectionnel, car pour Pili-pili par exemple, il a cessé d’être miliciens depuis qu’il est devenu chauffeur, alors que Ise-somo, un ancien de la rébellion du RCD-KML au début des années 2000, est aujourd’hui chargé de sensibilisation des miliciens dans le cadre du processus de désarmement, démobilisation et  réinsertion (DDR).

Leurs connaissances avec certains miliciens qui auraient participé à l’exécution du docteur Richard Mouzoko date du temps de rébellion et n’ont aucun lien avec les faits sous examen, ont soutenu leurs avocats.

Après la réplique des parties au procès, tous les prévenus sont passés à la barre. Ils ont clamé leur innocence et plaidé, par conséquent, pour leur acquittement.  

La Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu qui siège au premier et dernier ressort a pris l’affaire en délibéré pour un arrêt attendu lundi 8 mars 2021.

Claude Sengenya