Deux lanceurs d’alerte, ex-agents de Afriland First Bank, ont accepté de s’exprimer à visage découvert, pour la première fois. Ils racontent comment, selon eux, la filiale congolaise de cette banque, aurait aidé Dan Gertler à contourner les sanctions américaines. Parmi les accusations de ces deux hommes, il y a également accusations des allégations sur le blanchiment d’argent qui s’opérerait à Afriland First Bank qui a connu une croissance exceptionnelles ces dernières années.
Dans un entretien exclusif à ACTUALITE.CD et RFI, Patrick Kafindo, directeur adjoint de cette banque, répond aux principales accusations.
Deux lanceurs d’alerte vous accusent de malversations. Vous aviez parlé de porter plainte ?
Nous avons porté plainte, le document était même sur les réseaux sociaux, ils ont été condamnés pour vol, faux et usage de faux, association de malfaiteurs ici au Congo.
Vous avez dans votre portefeuille les comptes de Dan Gertler ?
Vous êtes allé à la Rawbank, ils vous ont dit qu’ils n’ont pas de compte de Dan Gertler ? Toutes les banques en ont. Dan Gertler, il a ouvert ses comptes en 2007. Quand il a été mis sous sanctions, on a bloqué tous ses comptes. Dan Gertler a des comptes partout ici, dans toutes les banques. C’est un homme d’affaires. Il est installé au Congo. On n’accepte pas les personnes sous sanctions. La loi est claire là-dessus.
Vous avez des comptes de Pieter Deboutte, de sa famille, des sociétés qui ont été mises sous sanctions comme Ventora…
On a bloqué tous ces comptes-là.
Pourquoi avoir accepté que deux hommes d’affaires nord-coréens ouvrent des comptes chez vous ?
Il ne faut pas spéculer. Quand il y a une sanction, il faut lire la sanction. J’entre sur la liste des personnes concernées. Et si ceux dont vous parlez ne sont pas là ? Lorsqu’un Nord-Coréen gagne un marché avec l’État, je dois lui refuser l’ouverture d’un compte parce qu’il est nord-coréen ?
Tout ce que nous faisons à la banque, c’est de prendre des risques. Les gens sont en train de dire qu’ils ont fait des transferts pour des millions de dollars. Mais ce sont des francs congolais qu’ils ont reçu du Trésor public et ça n’a pas dépassé l’équivalent en valeur de 200 000 dollars. La seule chose, c’est que pour gagner le marché, une caution de garanties bancaires leur avait été demandée, de 50 000 dollars, c’est ce qu’ils ont sur leur compte en dollars, mais cet argent, ils n’y ont pas touché. Quand on vérifie, toutes les transactions se sont faites en francs congolais. Faut-il refuser de traiter avec tous les Nord-Coréens ? Ils gagnent leurs marchés avec l’État congolais et moi je dois être bloqué parce qu’il s’agit de Nord-Coréens ? On sanctionne l’État, l’entreprise ou la personne. Lorsqu’un Nord-Coréen ouvre un compte, c’est un risque et je l’analyse. Je vois 200 000 USD en francs reçus par le biais du gouverneur.
Un avocat, Kirill Parinov, lié à la société d’espionnage israélienne Blackcube, lié à un cabinet d’avocats en Russie, crée une société. Quelques jours plus tard, il ouvre un compte et y met des millions de dollars. En quelques mois, il retire plus de 50 millions en liquide ? Il a des parts dans une société qui voulait construire la corniche de Kinshasa, mais le projet n’a jamais vraiment démarré.
Est-ce que c’est parce que c’est un avocat qu’il ne peut pas être millionnaire ? Cela me fait penser au rapport de Global Witness et PPLAAF. On disait qu’un fils de rabbin serait venu déposer des millions de dollars ici. En quoi ce serait un problème ? Moi-même, j’ai posé la question à ce M. Kirill, qu’il me justifie toute l’utilisation des fonds. Il y a des expropriations en cours et des engins de chantier à faire venir. C’est la réalité du pays. Vous savez combien coûte ce projet ?
Je me demande pourquoi vous me posez ces questions à moi. Est-ce que les autres banques travaillent différemment ? C’est maintenant que la Banque centrale contrôle et que le Cenaref commence à sanctionner. Mais comment on faisait avant ? Il n’y a pas qu’Afriland. Ça va changer dans le futur. Mais cela vient de l’histoire de notre pays. À l’époque de Mobutu, les banques fonctionnaient normalement, mais il y a eu la crise, des chèques qui n’ont pas été payés, des chèques sans provision. Ça a amené de la méfiance dans la tête des gens. Ils préfèrent que vous donniez l’argent en cash. Les gens ont vécu comme ça. C’est notre réalité. Les lois sont là, mais personne ne peut les respecter. Pourquoi nous fait-on à nous seulement ce procès-là ?
Parce que votre banque a connu une croissance exceptionnelle… Selon vos états financiers, vous avez doublé vos dépôts entre 2017 et 2018. Comment expliquez-vous cette croissance ?
On est sixième sur le marché. Est-ce que vous avez regardé les autres ? Est-ce que vous savez qu’en 2016, on a récupéré le portefeuille de déposants de la Fibank. On a récupéré tout son portefeuille de clients, il y avait la Regideso, la Snel et beaucoup d’autres... C’est comme si deux banques avaient fusionné. Le rachat de la Fibank est l’élément principal de la croissance de notre banque.
Mais dans vos états financiers de 2018, on constate que l’augmentation de dépôts est due à des sociétés comme Ventora et Dorta Investissements, des sociétés liées à Dan Gertler....
Ils ont sorti ça en termes de pourcentage. Si Ventora a 8 millions sur un volume de dépôts de 100 millions, ça peut être le plus gros déposant, mais ça représente quoi ?
Ventora, c’est une société sous sanctions…
Les comptes de Ventora sont restés bloqués. Ses royalties rentraient, mais ils ne pouvaient pas y toucher. Il faut bien lire les sanctions. C’est de ça qu’on parle.
Et pour les autres sociétés liées à Gertler, comme Dorta ?
Pour Dorta et autres, on n’a pas ces éléments.
Pourquoi gérez-vous personnellement certains de ces comptes ?
Je ne gère aucun compte.
Les lanceurs d’alerte disent que Dan Gertler est venu à la banque après les sanctions.
Ils sont responsables de leurs propres déclarations. Moi, je ne l’ai pas vu.
Il venait de la direction générale…
Moi, je ne l’ai pas vu. Mais laissez-moi vous poser une question. Quand quelqu’un est sanctionné, faut-il le tuer ? Gertler, c’est un mari, un père, un ami. Quelqu’un qui est sanctionné, est-ce qu’on doit le fuir ? Et vos lanceurs d’alerte, s’ils l’ont vu, pourquoi ils n’ont pas prévenu la Banque centrale ou le Cenaref ? Moi, si j’apprends que mon président a fait quelque chose, je cours à la Cenaref ou à la Banque centrale. Je ne viens pas raconter des histoires pour obtenir un visa en Europe.
Ils ne se sont pas plaints auprès de vous ?
Je ne veux pas revenir sur ce qui fait l’objet d’une procédure judiciaire en France. Nous avons porté plainte. Laissons la justice travailler.
Pourquoi avoir accordé un prêt au Sénat de près de 8 milliards de francs congolais quelques jours avant les élections de 2018 ? N’estimiez-vous pas que ça pouvait être un risque au vu du climat politique ?
Pour le prêt, ça peut paraître énorme pour des individus comme vous et moi, mais pour l’État, ce n’est pas si énorme que ça. Le travail de la banque, c’est de prendre des risques. Mais nous, on n’a pas vu ça comme une élection à risque. Je ne sais pas pourquoi on devrait arrêter de travailler sous prétexte qu’il y a un processus électoral. Nous n’avons aucun problème à remettre de l’argent en liquide si cela correspond aux procédures notamment liées à l’instruction de la Banque centrale du Congo.
Mais cet argent a été retiré en liquide…
Je ne sais pas si vous vivez en RDC ou pas. Mais ici, même les institutions travaillent en liquide. Il y a des limitations, tout cela est encadré par une directive de la Banque centrale. Au-delà de 10 000 dollars, il y a des règles.
Tout ça s’est passé à quelques jours des élections… Et c’est de l’argent liquide...
Moi, j’ai foi en nos institutions. Je ne sais pas comment notre État peut accepter des critiques comme ça. Je ne vois pas pourquoi on devrait chercher à le justifier. Ce crédit a été soumis à une analyse. Et vous-même, vous parlez d’une lettre du ministre des Finances qui précisait à quoi cet argent devait servir. Le Sénat est une institution de l’État. J’analyse le besoin et je m’arrête-là.
Pourquoi aujourd’hui, on demande aux sénateurs d’ouvrir des comptes à Afriland pour obtenir des prêts ?
En 2006, lorsqu’on installe les institutions, il fallait financer les parlementaires, aucune banque ici ne voulait le faire. Nous, nous avons financé 400 députés et 100 sénateurs avant que leurs créances ne soient rachetées par la BIAC. Quand les parlementaires étaient à la BCDC, est-ce que c’était un problème ? Nous sommes sur un marché concurrentiel. Ces choses-là évoluent. Il ne faut pas nous poser la question dans ce sens-là.
Est-ce que Richard Muyej est votre parent et un client de la banque?
Est-ce qu’on porte le même nom ? Comment je m’appelle et lui ? C’est un client privilégié de la banque. Il est le gouverneur d’une des plus riches provinces du pays.
Mais c’est un officiel et il demande des mises à disposition en liquide de plusieurs centaines de milliers de dollars…
Il demande des mises en liquide de combien ?
Au total, ça doit faire moins d’un million de dollars...
Je ne sais pas.
À un moment, vous avez renforcé vos structures d’audit interne. C’était à l’époque de la bancarisation. Est-ce que ça a joué?
Non, cette évolution répondait aux besoins de la banque. La bancarisation, c’est vrai, nous a donné un grand portefeuille et une source de revenus en 2014. L’État nous paie pour ça. Nous avons des clients en plus et on a plus de revenus.
Pourquoi les rapports d’audits de 2019 et 2020 n’ont pas été publiés ?
Ils ont été publiés. Si vous ne les trouvez pas, on peut vous les donner.
ACTUALITE.CD vous propose son dossier complet ce vendredi.
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