Koko Lobanga Gradi a quitté la RDC. Il vit désormais à l’étranger. Il dit craindre pour sa sécurité suite aux révélations faites sur certaines pratiques qu’il aurait observées à Afriland First Bank. Des comportements qu’il qualifie d’irréguliers. Il affirme même qu’il avait saisi la direction de la banque, mais sans succès.
ACTUALITE.CD a consulté notamment une correspondance que Koko Lobanga Gradi dit avoir adressé à sa direction. Le document est signé le 26 février 2018. Il explique que suite à ses contrôles de routine sur des comptes de personnes physiques et morales, il avait décelé sur les comptes des Dan Gertler et Zoé Kabila « des irrégularités ».
« Le compte de Monsieur Dan Gertler continue d’être mouvementé alors qu’il est sur la liste noire des Nations unies [sanction de l’OFAC, Ndlr]. En outre, ce dernier signe sur les ordres de plusieurs sociétés alors qu’il n’est pas signataire dans le compte et ne figure pas dans les dossiers juridiques de ces dernières », écrit-il.
Il ajoute : « Ce qui crée donc un lien entre lui et ces différentes sociétés. Il s’agit des sociétés suivantes : Ventora Development, Palatina Sarlu, Cosha Investement Sarl et Abishassira Shlomo Elyahu, toutes œuvrant dans le secteur des mines ».
Il fait remarquer également que dans les comptes de ces sociétés, plusieurs versements en euros ont été effectués régulièrement et transférés à l’étranger.
« L’audit interne après ces versements a procédé au contrôle des caisses en euros concernées. Cependant, plusieurs faux billets de 100 euros ont été identifiés, ce qui nourrit nos soupçons. En sus, les dossiers d’ouverture des comptes susmentionnés sont conservés dans les locaux autres que les archives ».
Dans sa correspondance, il cite également Zoé Kabila, signature dans le compte de la société Cosha Invetsment SARL « alors que son nom n’existe nulle part sur les dossiers d’ouverture de compte de cette société ».
Koko Lobanga Gradi propose à sa hiérarchie de « procéder au blocage pur et simple de tous les comptes susmentionnés et d'ouvrir une enquête approfondie conformément aux situations susmentionnées ». Il recommande aussi à sa direction de faire une déclaration de tous ces comptes aux organes habilités. Pour lui, il est aussi important de « procéder à un audit approfondi de tous ces dossiers et comptes afin d’établir les liens qui peuvent exister entre eux et les autres comptes encore identifiés ».
Interrogé par ACTUALITE.CD et RFI, Patrick Kafindo, directeur général adjoint de la banque, botte en touche: « Je ne veux pas revenir sur ce qui fait l’objet d’une procédure judiciaire en France. Nous avons porté plainte. Laissons la justice travailler ».
Présence physique de Dan Gertler à la banque
Pour la première fois, Koko Lobanga Gradi accepte de témoigner. Sur ACTUALITE.CD, il affirme même avoir vu Dan Gertler à la banque entre fin janvier et début février 2018. Il ne se souvient cependant pas de la date avec précision.
« J’ai vu Dan Gertler à la banque. Je ne pouvais pas ne pas le remarquer. Il était accompagné d’un agent de sécurité. Il portait une kippa. Il était là juste après les sanctions. Je ne pouvais pas prendre la photo parce qu’il était client de la banque et parce que pour moi, je n’avais pas encore des éléments à sa charge. Mon intention, à l'époque, n'était pas de dénoncer. Je ne faisais que mon travail de contrôle. Par la suite, nous avons compris qu’il voulait contourner les sanctions et nous soupçonnons la bénédiction de notre direction générale ».
Navy Malela, un autre agent de la banque qui lui aussi est à présent à l’étranger, dit avoir vu Dan Gertler ce jour-là.
« Pour nous, au départ, ce n’est qu’un indice. Il fallait par la suite regarder les retombées comptables de cette visite en vérifiant dans les comptes parce que son compte à lui était déjà bloqué. Après tout, on est des auditeurs ».
Des propos qui sont balayés par Patrick Kafindo: « C’est faux. La personne qu’il a vue, pourquoi elle n’a pas pris une photo? Vous êtes allé à la Rawbank, ils vous ont dit qu’ils n’ont pas de compte de Dan Gertler? Toutes les banques en ont. Dan Gertler a ouvert ses comptes en 2007. Quand il a été mis sous sanctions, on a bloqué tous ses comptes. Dan Gertler a des comptes partout ici, dans toutes les banques. C’est un homme d’affaires. Il est installé au Congo. On n' accepte pas les personnes sous sanctions. La loi est claire là-dessus”.
Et il ajoute:
« Moi, je ne l’ai pas vu. Mais laissez-moi vous poser une question. Quand quelqu’un est sanctionné, faut-il le tuer? Gertler, c’est un mari, un père, un ami. Quelqu’un qui est sanctionné, est-ce qu’on doit le fuir? Et vos lanceurs d’alerte, s’ils l’ont vu, pourquoi ils n’ont pas prévenu la banque centrale ou le CENAREF. Moi, si j’apprends que mon président a fait quelque chose, je cours à la CENAREF ou à la Banque centrale. Je ne viens pas raconter des histoires pour obtenir un visa en Europe ».
Des sociétés et des comptes créés
« Le compte de Dan Gertler n’était pas mouvementé, non. Ceux des sociétés qui étaient soupçonnées d'appartenir à son réseau recevaient du coup beaucoup d’argent. Nous avons commencé à voir des gens venir avec beaucoup de cash. C’était inhabituel à l’époque comme versements. La caissière principale montait pour récupérer ces fonds et aller comptabiliser dans son bureau. Ce qui d’un point de vue interne était déjà une violation », explique Koko Lobanga Gradi.
Il dit aussi qu’après investigation, l’origine de ces fonds n’était pas justifiée: “Il ne nous fallait pas un dessin pour remarquer qu’il y avait des liens au niveau même des documents”.
Koko Lobanga Gradi cite par exemple Alain Mukonda. Selon Global Witness et PPLAAF, suite aux sanctions imposées à Gertler, Mukonda avait redomicilié les entités sanctionnées et créé dix nouvelles sociétés dont la propriété finale revient, disent les deux organisations, intégralement à la famille Gertler.
Global Witness et PPLAAF ajoutent que l’homme d’affaire avait également effectué 16 dépôts en espèces d'une valeur totale de 11 millions d'euros sur les comptes bancaires de ces sociétés.
Koko Lubanga Gradi donne d’autres noms dont celui de Shlomo Abihassira. Ce fils d'un célèbre rabbin israélien, apparait également dans le rapport de Global Witness et PPLAAF.
D’après ce document, immédiatement après l’imposition des sanctions à l’encontre de Gertler, Abihassira avait créé une société en RDC “alors qu'il n'avait aucun antécédent dans le pays, et a déposé 19 millions de dollars en espèce sur le compte de sa société en l'espace de quelques mois”.
“Ces dépôts ne sont pas vrais. Les documents étaient faux. Les personnes visées se trouvaient en Israël, pas au Congo. C’est pour cela que les juges ont condamné ces deux personnes », a dit à ACTUALITE.CD, Eric Moutet, avocat d'Afriland First Bank.
« On a décidé de prendre les dossiers d’ouverture de ces comptes pour voir s’ils étaient liés à Dan Gertler. Nous avons demandé ces dossiers aux archives, il n’y en avait pas. La dame qui était responsable d’ouverture de ces comptes nous a dit clairement que ces dossiers se trouvaient à la direction générale », ajoute Koko Lubanga Gradi.
Des propos qu’appuie Navy Malela qui égrène également d’autres manquements, selon lui.
« Il y avait des comptes qui fonctionnaient sans que tous les documents soient là. Des gens venaient déposer de l’argent en dollar et les conversions étaient faites directement en euros. C’était une action réfléchie ».
Croissance soudaine à Afriland First Bank
Les deux agents estiment même que ce sont ces activités qui ont stimulé l’impressionnante croissance de Afriland First Bank.
La banque a connu une croissance exceptionnelle. Selon ses états financiers, elle a doublé les dépôts entre 2017 et 2018.
« On est sixième sur le marché. Est-ce que vous avez regardé les autres? Est-ce que vous savez qu’en 2016, on a récupéré le portefeuille de déposants de la Fibank. On a récupéré tout son portefeuille de clients, il y avait la Regideso, la Snel et beaucoup d’autres. C’est comme si deux banques avaient fusionné. Le rachat de la Fibank est l’élément principal de la croissance de notre banque », explique Patrick Kafindo.
Koko Lobanga Gradi et Navy Malela interpellent la Banque centrale du Congo sur sa responsabilité sur le contrôle et les différentes étapes de validation quand il s’agit des flux importants d’argent.
« Comment au niveau de notre pays, les sanctions ne sont pas prises même quand il s’agit des cas de flagrance? Les sanctions américaines sont prises par les Américains, pourquoi nous ne devons pas nous occuper des crimes économiques qui sont perpétrés chez nous », s’interroge Navy Malela, qui estime qu’il ne s’agit pas d’une question d’une banque, mais de l’ensemble du système bancaire congolais.
Les autorités congolaises sont au courant de certaines pratiques litigieuses. Les réseaux de blanchiment d’argent ne sont pas inconnus d’elles. A ce stade, les structures de lutte contre ces réseaux sont encore fragiles, et certains conseillers de Félix Tshisekedi relativisent sous cape.
“Nous savons qu’il y en a qui blanchissent de l’argent, mais s’ils blanchissent ici et construisent ici. C’est déjà mieux”, confie un proche du président de la République.
ACTUALITE.CD vous propose son dossier complet ce vendredi.
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Suivez Eric Moutet, avocat français d'Afriland First Bank qui s'est confié à ACTUALITE.CD