Désignation d’un informateur face à un Gouvernement en exercice : uppercut à la Constitution ou coup K.O à la coalition ?

ACTUALITE.CD

1.    Rappels d’ordre général

La question du pouvoir présidentiel dans un régime semi-présidentiel se résume à la manière dont les pouvoirs se répartissent entre le Président de la République et le Premier Ministre, d’une part, et d’autre part entre le Premier Ministre et l’Assemblée Nationale. L’idée selon laquelle le régime semi-présidentiel se caractérise d’abord par un exécutif à deux têtes repose implicitement sur l’idée que le Président de la République et le Premier Ministre ont chacun une source de légitimité différente. Cependant, ce n’est que lorsque leurs pouvoirs proviennent de sources différentes que la dualité du pouvoir prend tout son sens. Autrement, l’un sera l’agent de l’autre, et il semble évident que dans un régime semi-présidentiel, le Premier Ministre sera subordonné au Président, et non l’inverse.

Dans un régime semi-présidentiel, le Premier ministre et son gouvernement sont, par principe, responsables devant le parlement. Cependant, l’élection séparée du Président de la République et des députés est susceptible de déboucher sur un exécutif divisé lorsque le Président de la République et la majorité parlementaire appartiennent à deux familles politiques opposées.  Ce qui a été le cas en République Démocratique du Congo lors des dernières élections de décembre 2018.

Le Président de la République est appelé, de par la Constitution, à nommer le Premier Ministre au sein de la majorité au Parlement. Quand le parti du Président de  la République dispose de la majorité parlementaire, le Premier ministre est dans la plupart des cas politiquement subordonné au Président. Il en va différemment lorsque le Président a perdu la majorité parlementaire, c’est-à-dire en période de cohabitation ou de coalition. La crise n’est pas loin de s’installer, le bras de fer du Premier Ministre qui obéit aux ordres du parti politique d’où il provient, de ceux dont il tire sa légitimité. Comme Duverger le soulignait déjà, la répartition de facto du pouvoir dans ce type de régime ne semble pas toujours coïncider avec ce que prévoit formellement la Constitution. Mais il n’a pas assez insisté sur le fait que cet écart est dû à des considérations liées à la vie interne des partis politiques. Cet état des choses conduit aux accords politiques, dont le contenu fâche parfois la norme constitutionnelle. On dira, dans une certaine mesure, le droit constitutionnel tenu en état par la politique. C’est ainsi que la cour constitutionnelle, seule instance de la juridicisation et du recadrage de la vie politique, devra le plus jouer son rôle afin de rétablir l’ordre politique dans l’Etat.

1.    Pourquoi le Premier Ministre doit-il absolument provenir de la majorité parlementaire ?

Le pouvoir exécutif dans un régime semi-présidentiel se compose du Président de la République, Chef de l’État, d’une part, et du Gouvernement, dirigé par le Premier ministre qui en est le chef, d’autre part.

Le Chef de l'État est politiquement irresponsable. Sa responsabilité ne peut être engagée que sur le plan pénal. Ce qui signifie qu'il n'existe aucune procédure constitutionnelle susceptible de le contraindre à démissionner pour des motifs politiques.

Par contre, les alinéas 4 et 4 de la Constitution disposent qu’avant d’entrer en fonction, le Premier ministre présente à l’Assemblée nationale le programme du Gouvernement. Lorsque ce programme est approuvé à la majorité absolue des membres qui composent l’Assemblée nationale, celle-ci investit le Gouvernement. L’article 91 poursuit en son premier alinéa que le  Gouvernement définit, en concertation avec le Président de la République, la politique de la nation et en assume la responsabilité. L’alinéa 2 de l’article 100 dispose que le Parlement contrôle le Gouvernement. L’article 46 poursuit que le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme, sur une déclaration de politique générale ou sur le vote d’un texte. L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement ou d’un membre du Gouvernement par le vote d’une motion de censure ou de défiance. La motion de censure contre le Gouvernement n’est recevable que si elle est signée par un quart des membres de l’Assemblée nationale. La motion de défiance contre un membre du Gouvernement n’est recevable que si elle est signée par un dixième des membres de l’Assemblée nationale. Et l’article 147 conclut que lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure, le Gouvernement est réputé démissionnaire. Dans ce cas, le Premier ministre remet la démission du Gouvernement au Président de la République dans les vingt-quatre heures.  Lorsqu’une motion de défiance contre un membre du Gouvernement est adoptée, celui-ci est réputé démissionnaire.

On le constate donc qu’il est éminemment important que le Premier Ministre ait la confiance et le soutien de la majorité parlementaire afin d’asseoir la politique du Gouvernement et espérer résister aux vents et marrais susceptibles de provenir de l’Assemblée Nationale ou du Sénat.

2.    Qu’arrive-t-il alors en cas de changement de majorité parlementaire en pleine législature ?

Lorsqu’il apparait clairement que le parti ou le regroupement politique dont est issu le Premier Ministre perd sa majorité en cours de la législature, le Président de la République peut nommer un informateur afin d’identifier la nouvelle majorité parlementaire. Seul l’informateur est le juge du déchiffrement d’une majorité parlementaire. Et le Président de la République a effectivement et régulièrement annoncé, lors de son adresse du 06 décembre dernier, la nomination prochaine d’un informateur.

Si, à l’issu de la mission de l’informateur, il se dégage qu’une nouvelle majorité parlementaire a vu le jour, le Premier Ministre minorisé présente au Président de la République sa démission. C’est la voie de la résolution pacifique du litige.

Si par contre ce dernier résiste à présenter la démission attendue, deux brèches s’ouvrent, l’une à défaut de l’autre : soit la Cour constitutionnelle régulièrement saisie à la requête de toute personne peut déclarer l’ordonnance portant nomination du Premier Ministre (en fonction) inconstitutionnelle, avec comme conséquence que tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit, et ainsi les fonctions du Premier Ministre cesseront de plein droit ; soit alors en vertu du principe de parallélisme de forme et de procédure, le Président de la République prendra une nouvelle ordonnance portant d’un nomination d’un nouveau Premier Ministre. Et puisqu’il ne peut y avoir deux Premiers Ministres dans un Etat, les dispositions anciennes ayant le même objet seront abrogées.

Cependant, dans la première hypothèse, d’aucuns se questionneront sur la compétence de la Cour constitutionnelle à examiner la conformité à la Constitution d’un acte de haute portée politique comme celui nommant un Premier Ministre. La Cour constitutionnelle est juge de sa propre compétence, à défaut d’une compétence d’attribution. La théorie de l’Etat de droit voudrait qu’aucun acte, quelle que soit sa portée, n’échappe au contrôle de constitutionnalité.

Le débat reste ouvert.

Le droit est beau, mais le raisonnement en droit est difficile.

Grâces MUWAWA, DESK JUSTICE/ACTUALITE.CD

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