« Nous construisons la résilience économique de notre nation » : discours dépourvu de grille d’analyse et condamné à l’inutilité  

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Je réagis, de bonne foi, à la tribune du 01er juin 2020 intitulé : « Nous construisons la résilience économique de notre nation » https://actualite.cd/2020/06/01/nous-construisons-la-resilience-economique-de-notre-nation-tribune. J’en formule des observations non pas pour recadrer son auteur à la grandiloquence manifeste, mais plutôt pour le convier à hisser la réflexion en ce temps de recherche de solutions concrètes à la crise multisectorielle inhérente à la COVID-19.

« Nous construisons … » : sur quelle base et comment ?

Il est méthodologiquement utile de préciser l’instance de construction de la résilience économique, le soubassement de son action et le procédé de mise en œuvre. Ceci n’apparait pas dans ce texte dont une large partie est consacrée à un exercice partisan de « défense » de l’image du Chef de l’Etat. C’est son droit que je respecte. Mieux faire consisterait à montrer, avec indicateurs précis, comment le Chef de l’Etat construit la résilience économique. Il est surprenant de constater que ce texte sur la construction de la résilience économique n’est fondé sur aucun programme, aucun support politique de référence des politiques publiques. Du mélimélo dans le texte dont le titre finit par perdre son sens.  

« Notre nation », une réalité économique ?  

Dans une étude rigoureuse sur la résilience économique, parler de la nation, pour le cas de la RDC particulièrement, pose problème. En effet, il faille préalablement déterminer la place et le rôle de la nation dans l’économie congolaise. Il est préférable de parler simplement de l’Etat, unité bien circonscrite et saisissable comme telle à travers ses activités économiques. En RDC, la nation reste dans une considération mythique tendant à la juxtaposition de l’État, en tant qu'organisation politique, à des individus qui se considéreraient comme liés et appartenant à un même groupe sociologique. En politique, la nation a de la signification. N’est-ce pas une aberration que de considérer, dans une analyse économique, la RDC comme une nation? Pendant que l’armée zambienne occupe, depuis plusieurs semaines, un pan du territoire national, et en dépit des conséquences économiques qui en résulteraient, rien dans l’opinion publique nationale n’atteste une quelconque insouciance. J’évite sciemment de rappeler les incursions des armées étrangères dans le Kivu, pendant qu’ailleurs dans le pays, c’est de l’impassibilité malgré le négatif impact économique. Il en ressort un usage abusif de ce vocable dans ce contexte de construction de la résilience économique.

Quel diagnostic dressé auparavant ? 

Une étude fouillée sur la résilience économique impose de présenter les sources et les facteurs de vulnérabilité macroéconomique et financière, de décrire les politiques publiques dont le renforcement permettrait de remédier aux problèmes à long terme et d'atténuer les facteurs de vulnérabilité, ainsi que les politiques publiques qui peuvent contribuer à amortir l'impact des chocs et à accélérer le redressement des économies. Il s’en suivrait une mise en lumière de la cohérence entre les thérapeutiques envisagées et les causes du problème soulevé. Les pouvoirs publics devraient s'employer à atténuer l'accumulation de facteurs de vulnérabilité et à préparer l’économie nationale à faire face aux problèmes structurels, en intervenant à la fois sur les fronts structurel et macroéconomique. La RDC, qui négocie un programme avec le FMI, a limité ses marges de manœuvre sur certaines options existantes de renforcement de la résilience économique.

Le texte reste cependant muet sur toutes ces considérations, et chute, comme tomberait un cheveu sur la soupe, sur un chapelet de propositions sans démontrer le niveau d’impact dans la construction de la résilience économique : collectif budgétaire, mise en route des projets (Fatshi Béton) pour mettre définitivement fin à la balkanisation économique du pays, etc.

Il est vrai que la COVID-19 a terrassé presque tous les Etats, y compris les plus puissants, mais chaque pays l’éprouve à sa manière. Comparaison ne devrait pas servir à se consoler. La soupape de sécurité financière des USA et de la Chine en dit long. La question fondamentale aurait dû inciter à savoir et à expliquer à l’opinion, sans considération politicienne, si, depuis l’avènement de l’alternance en RDC fin janvier 2019, la tendance est effectivement au renforcement de la résilience économique de l’Etat. Si oui, à quel niveau ? Si non, pourquoi ? Ceci aurait permis, sur base d’une grille d’analyse, de poser clairement le problème et de proposer des pistes de solutions utilement discutables et susceptibles d’inspirer les décideurs politiques. De cette façon, l’auteur du texte aurait mieux « défendu » le Chef de l’Etat. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, dit-on.   

JP Mbo

Analyste économique