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Le « ping pong médiatique » de ce week-end (samedi 9 et dimanche 10 mars 2019) entre le Procureur Général de la République près la Cour de cassation (PGR) et le Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) donne à lire un déficit de disposition au dialogue entre des acteurs de la haute sphère de la RDC. L’on peut légitimement se demander : pourquoi, en cette ère des réseaux sociaux favorisant une forte fluidité des informations de tous genres, le PGR n’a-t-il pas pris soin d’échanger de vive voix avec le Président de la CENI sur les dénonciations et accusations de corruption en lien avec les élections sénatoriales et de gouverneurs ? Ceci leur aurait permis de se pencher froidement sur cette question sensible qu’observent de très près des puissances étrangères, et d’explorer conjointement des pistes de solutions à envisager à cet effet. Ça aurait épargné aux observateurs la polémique qui défraye la chronique autour de la missive du premier et la réaction sans retenue du second.
Pour rappel, dans une correspondance, le PGR a demandé au Président de la CENI de reporter les élections sénatoriales et de gouverneurs pour lui permettre « d’avoir des éléments probants » concernant « la corruption intense des électeurs par les candidats (sénateurs et gouverneurs) auxdites élections ». En réaction, le Président de la centrale électorale fait savoir que « la CENI est une institution indépendante qui n'a pas à subir des injonctions d'un procureur général, avant toute décision de justice ». Manifestement, la démarche du PGR est de l’ordre d’une requête et non pas d’une instruction.
Il y a patriotiquement plus à gagner en se surpassant - tant chacune de deux personnalités dispose des arguments non négligeables à faire valoir - de manière à questionner le moyen de sauver le Sénat de demain d’une certaine indignité à cause du fléau de corruption « à grande échelle » émaillant la dynamique des élections sénatoriales et de gouverneurs.
Quels que soient les reproches de forme et de fond à formuler à l’encontre de la démarche du PGR, ce qui est gravissime et requiert une mobilisation des institutions pour une concertation utile d’urgence relève de la sérieuse menace que fait peser ce niveau de corruption sur l’intégrité électorale. En effet, cette dernière constitue « la clef de la crédibilité du processus électoral et de la légitimité des résultats des élections » tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays (Cfr. Communiqué de presse nº 191/ 2018, 5ème Forum Continental Annuel des Organes de Gestion des Elections : Vers des processus électoraux sans corruption, Abidjan, décembre 2018).
L’intérêt de l’implication directe ou indirecte du Chef de l’Etat à cet effet résulte de ses missions constitutionnelles. En vertu de l’article 69 de la Loi fondamentale, le Président de la République « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions (…) ». Bien plus, il a promis, pendant la campagne électorale et depuis son investiture, d’instaurer l’Etat de droit en RDC. Même si ce cycle électoral a été planifié bien longtemps avant son accession au pouvoir, il dispose assurément d’une marge de manœuvre pour imposer ses marques de gouvernance. Ceci lui permettra de ne pas subir les effets néfastes d’un Sénat dénué de légitimité suite à une perception négative dans l’opinion tant nationale qu’internationale des élections sénatoriales et de gouverneurs. D’une façon ou d’une autre, Il en portera la responsabilité.
Pour autant qu’il s’agisse de préserver l’image de l’Etat à travers la qualité de sa production électorale sous le mandat, quoique débutant, du nouveau Chef de l’Etat, il est capital que la CENI, des instances judiciaires et autres services compétents se concertent, de préférence sous la conduite du Président de la République, pour exprimer la volonté d’endiguer le fléau de la corruption tendant à nuire gravement non seulement au prestige du Sénat mais surtout à l’image des sénateurs de demain. Il y va de l’intérêt immatériel de la nation pour les cinq prochaines années.
Le plus important ne consiste pas seulement à préconiser le report ou non des élections sénatoriales et de gouverneurs mais plutôt à s’employer à favoriser la transparence électorale à court terme. Ce avant de penser plus sérieusement aux modalités appropriées pour les moyen et long termes. Ceci requiert impérativement de toucher à la racine de ce mal (la corruption) qui résulte de l’idée – fondée ou non –, répandue dans l’opinion, se rapportant à l’enrichissement facile au sein des institutions. Comment comprendre des sommes faramineuses avancées ci et là au titre de tentative d’achat des voix si le candidat, qui serait coupable de cette pratique répréhensible, n’est pas préalablement convaincu des dividendes à en tirer par la suite dès qu’installé à la Chambre haute ou sur le siège de gouverneur ?
Le Chef de l’Etat ferait œuvre utile d’imposer un train de vie de sobriété à ses fonctions de manière à déterminer implicitement le plafond des émoluments des membres de toutes les autres institutions de la République. Dans une perspective de correctif budgétaire, ceci concourra non seulement à marquer sa volonté effective de lutter pour la justice distributive mais aussi à faire véritablement, en RDC, de la politique un apostolat, c’est-à-dire une « Activité désintéressée impliquant du dévouement et de l'abnégation » (Larousse). Certes, c’est un long processus, mais il faut commencer par un pas remarquable.
Ce d’autant plus que, pendant la campagne électorale, le candidat Félix Tshisekedi avait promis de communiquer publiquement sur ses émoluments au titre de Président de la République. N’est-il pas venu l’heure de la réalisation de cette promesse d’une portée symbolique décisive pour la suite de la bataille pour le changement des mentalités et des méthodes de gouvernance.
Les institutions de la République ne valent que ce qu’elles inspirent dans l’opinion. Pour jouir véritablement de la considération populaire et exercer positivement la marge d’influence dont ils disposent constitutionnellement, les animateurs des institutions doivent inspirer une gouvernance fondée sur l’intégrité électorale. Quelles que soient les limites des actions à mener eu égard aux contraintes notamment temporelles, il est encore possible de sauver de l’opprobre le Sénat de demain. Car, à la différence des élections législatives nationales et provinciales, ces élections de 2019 (sénatoriales, de gouverneurs, etc.) seront tenues dans un contexte postérieur à l’alternance pacifique au sommet de l’Etat.
Martin ZIAKWAU Lembisa
Analyste politique