« Caoutchouc rouge, rouge coltan » revisite l’histoire coloniale belge.

Caoutchouc rouge, rouge coltan

Le massacre de Tshamakele, en 1899, au Katanga, est le thème central du film d’animation qui va très prochainement sortir en salles, en Belgique. Le réalisateur belge Jean-Pierre Griez revient sur les relations tumultueuses entre la Belgique et le Congo du temps des colonies…

A propos du film : « Caoutchouc rouge, rouge coltan », c’est l’histoire de Abo, une jeune élève belge d’origine congolaise qui découvre avec rage et effroi le sort de ses aïeux à l’époque coloniale en RDC. Pendant une trentaine de minutes, on suit Abo dans sa découverte effarante du rôle de la Belgique au Congo : de la colonisation à nos jours. Mêlant la grande à la petite histoire, le réalisateur belge Jean-Pierre Griez décortique les faits marquants de l’histoire coloniale et contemporaine belgo-congolaise tout en prenant soin de ne pas tomber dans le déni des faits. Utilisant une forme particulière, à travers le cinéma d’animation, il ouvre le dialogue à une partie de l’histoire encore douloureuse pour les deux pays que sont la Belgique et le Congo.

Jean-Pierre Griez vous avez récemment réalisé « Caoutchouc rouge, rouge coltan », pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet ?

C’est une histoire un peu particulière, il se trouve que j’habite à Cuesmes, près de Mons. Sur la grande place de Cuesmes, il y a la statue d’un ancien colon comme il peut y en avoir dans plusieurs endroits ici, en Belgique. Cet ancien colon s’appelle Commandant Lemaire et cette statue a été érigée par le cercle colonial de la ville de Cuesmes. En faisant des recherches, j’ai découvert que ce monsieur était un criminel de guerre, c’est cette personne qui a commandé l’étouffement de plusieurs personnes dans la mine de Tshamakele, dans le sud du Katanga. C’était en 1899. J’ai eu envie de raconter cela dans une fiction.

Pourquoi avoir choisi le cinéma d’animation ?

J’ai préféré le cinéma d’animation pour deux raisons : durant toute ma vie active, j’ai travaillé avec des enfants et avec des jeunes. Dans ce cadre, j’ai encadré des ateliers de cinéma et de réalisation à des fins didactiques et pédagogiques. C’est une technique que je connais et je me suis rendu compte que ça parlait beaucoup aux jeunes. La deuxième raison est purement prosaïque, le film est autofinancé et le cinéma d’animation permet de faire ces choses là. Un film documentaire aurait demandé plus de moyens, c’est pour cette raison en particulier que j’ai choisi cette forme.

Où se trouve le public de votre film et surtout à qui s’adresse-t-il ?

Souvent quand on parle de cinéma d’animation, on se dit que ce doit être pour les enfants, je n’ai pas cette perspective là. Je le dédie aux jeunes, mais il faut savoir que c’est un film pour tout type de public. Nous avons déjà eu plusieurs projections et il s’est avéré que le film a autant touché les jeunes que les adultes. Mon but est également de parler à armes égales avec des jeunes qui peuvent comprendre des thématiques aussi dures que l’exploitation des ressources, le coltan, la colonisation, la CIA, le rôle du roi Léopold II…

Justement vous venez d'évoquer des thématiques difficiles en rapport avec la colonisation. Il y a quelques jours, un comité d’experts des Nations unies a suggéré que la Belgique puisse s’excuser pour les crimes commis durant cette période. Au regard de votre film, quelle est votre grille de lecture par rapport à cette actualité ?

Bien sûr, j’ai suivi cette actualité et je trouve que la Belgique officielle a toujours une attitude très paternaliste par rapport au Congo, au Rwanda ou encore au Burundi (qui sont ses anciennes colonies). Je tiens tout de même à souligner qu’il est regrettable que ce soit des personnes extérieures à la Belgique qui puissent mettre le doigt sur ce problème. J’espère vraiment que mon film puisse contribuer à ce genre de débat. Nombreux sont ceux qui ignorent cette histoire ici, en Belgique, parce qu’elle a été occultée dans les manuels scolaires et je pense que c’est très important qu’on y revienne. Le but du film, c’est aussi cela, susciter le débat autour de toutes ces questions.

Vous venez d’évoquer le fait que cette partie de l’histoire belgo-congolaise n’est pas enseignée en Belgique et ne figure nulle part dans les manuels scolaires. Pourquoi selon vous ?

Dans ce rapport des experts des Nations unies, ils disent qu’un Belge sur quatre sortant du secondaire ignore que la Belgique a eu des colonies dans le passé, dans l’enseignement technique et professionnel, ce n’est plus un sur quatre, c’est un sur deux… Cette  partie de l’histoire n’a pas été abordée de manière sérieuse au niveau des écoles. Je pense que les médias ont également une responsabilité.

Aujourd’hui, nous sommes au 21ème siècle, peut-on parler d’ignorance ou tout simplement d’un choix d’occulter cette partie de l’histoire de la Belgique ?

Pour répondre à cette question je vais faire une distinction : pour une partie du commun des mortels ici, en Belgique, il y a lieu de parler de méconnaissance,  mais chez certains on ne peut pas parler de méconnaissance mais plus d’une manière d’occulter le rôle que l’on a eu à jouer à cette époque.

Comment arriver un jour à avoir des relations apaisées entre la Belgique et le Congo ? Est-ce possible ? Serait-ce une utopie ?

Comme je l’ai dit précédemment, je travaille ici en Belgique avec énormément de jeunes et parmi eux certains sont d’origine congolaise. On peut parfois percevoir beaucoup de rage lorsqu’on aborde ces questions. Je pense que la première des choses c’est qu’il faut verbaliser, ensuite  vient le rôle du savoir. Il est important que chacun puisse connaître son histoire aussi bien les Belgo-belges, que les Belges d’origine congolaise. Nous ne pourrons agir concrètement sur la société qu’en connaissant notre histoire.

Propos recueillis par Kujirakwinja Nabintu