Tribune de Dimitri Verfonck sur ACTUALITE.CD
Spécialisé en politique extérieure de l’Union européenne, Dimitri Verfonck, mène, depuis quinze ans, des activités de conseil auprès de personnalités politiques européennes et africaines de premier plan. Comme président du Think Tank Cultures & Progrès, il poursuit également un engagement associatif auprès de structures actives dans le champ de la démocratie, des droits humains et de la solidarité. A la veille des élections présidentielles de 2011, il publiait un ouvrage collectif sur la situation des droits humains en RDC. Depuis 2015, il a multiplié les prises de position et les rencontres avec des acteurs politiques et de la société civile congolais. On lui doit notamment le passage de Moïse Katumbi et de Vital Kamerhe au Parlement européen ainsi que l'organisation de diverses rencontres politiques de haut niveau à propos de la RDC.
Depuis l’annonce des premiers résultats de l'élection présidentielle donnant Felix Tshisekedi comme vainqueur le 10 janvier 2019, on assiste à une multiplication des prises de position partisanes de la part d’acteurs politiques et autres « observateurs » occidentaux de la RDC relayant l’idée d’un hold-up électoral. Au-delà des chiffres validés depuis ce 20 janvier 2019 par la Cour constitutionnelle, que disent réellement les résultats de cette élection ? Et que dit leur contestation ?
D’abord les résultats rappellent qu’ils sont l’aboutissement d’un processus électoral auquel chaque candidat a choisi de participer avec le risque très élevé de perdre. Ils rappellent qu’ils sont aussi le résultat d’une crise ouverte par Joseph Kabila, en décembre 2016, et du processus politique qui s’en est suivi. Soulignons au passage qu’en 2016, Fayulu et Shadary n’étaient connus que des seuls Congolais et encore, tandis qu’Etienne Tshisekedi était toujours vivant ! Les résultats indiquent par ailleurs que pour la première fois dans l’histoire de la RDC, une alternance démocratique aura été possible. Une démocratie à la congolaise peut-être, mais pourquoi devrait-il en être autrement ? Une alternance démocratique et pacifique aussi, ce qui est loin d’être accessoire et devrait inviter les uns et les autres à un minimum de prudence dans les propos qu’ils diffusent publiquement.
Si Martin Fayulu avait été aujourd’hui à la place de Félix Tshisekedi, tout ce qui précède aurait été pareillement vrai. À une chose près, car à la tête du pays, Félix Tshisekedi est le seul à pouvoir incarner à la fois l’alternance et l’espoir d’une alternative réelle. Faut-il être tshisekediste pour le dire ? Ou déjà corrompu par la Kabilie qui serait tapie derrière lui ? Non, bien sûr que non. Pour oser une telle assertion, il faut savoir de quoi l’on parle (tant d’observateurs l’oublient) mais aussi accepter l’idée que l’alternance pour l’alternance n’a strictement aucun intérêt, pour ne pas dire aucun sens. Une élection n’est jamais qu’un moyen et pas une fin en soi. Au-delà des préférences personnelles et du projet porté par chaque candidat, un sujet apparemment tabou, il faut pourtant bien revenir à la vérité des urnes, m’objecte-t-on. C’est là qu’on passe de la question des résultats à la question de leur contestation.
Les chiffres avancés par Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba et tous ceux qui ont décidé de les suivre dans la voie de la contestation de la victoire de Félix Tshisekedi, s’appuient essentiellement sur une seule source… la CENCO. Autrement dit, la Conférence épiscopale nationale du Congo. Autrement dit, l’émanation directe du Vatican ! Oui, vous avez bien lu et comme moi, vous vous demandez si vous ne rêvez pas. Les chiffres avancés par les contestataires du scrutin proviennent des représentants congolais du Vatican dont le chef de l’État est « élu » à vie, dans le plus grand secret et par une assemblée exclusivement masculine qui publie les résultats de cette « élection » en laissant s’échapper un peu de fumée par le toit ! De qui se moque-t-on ? Avec quelle légitimité et pour quelle raison rationnelle, la CENI ou la Cour constitutionnelle devraient donner la priorité aux résultats présentés par les 40.000 observateurs de l’Église catholique romaine, plutôt qu’à ceux transmis selon les prescrits de la loi électorale congolaise ?
Que Martin Fayulu lui-même conteste les résultats de l’élection ne pose en soi aucun problème, c’est son droit le plus strict. À lui et à sons sens des responsabilités de voir jusqu’où il peut aller dans cette voie, sans compromettre la relative stabilité actuelle. Par contre que la communauté internationale et son cortège de spécialistes auto-proclamés de la RDC le suivent en acceptant de confondre le processus d’observation électorale mené par l’Église avec l’organisation d’un scrutin parallèle est proprement hallucinant. En réalité, pour justifier leur point de vue, la plupart des contempteurs du processus électoral ayant débouché sur la victoire de Félix Tshisekedi adoptent, consciemment ou non, une position purement morale. Une position qui ne dit ni le droit, ni la vérité des urnes, contrairement à ce qu’ils tentent de faire croire.
Quid du côté de la Belgique ? Pas plus qu’elle n’a de politique africaine, la Belgique n’a de politique congolaise. Au sein même de chaque famille politique, vous ne trouverez donc aucune trace de projet politique commun ou même tout simplement de cohérence dans la gestion des relations entre Bruxelles et Kinshasa. C’est ainsi que du côté libéral, on peut entendre Louis Michel vanter les mérites de Joseph Kabila au Parlement européen devant un public médusé, il n’y a pas deux mois, et, de l’autre, assister à l’agitation de Didier Reynders qui s’est transformé en VRP de Moïse Katumbi, la coqueluche des médias qui nous font petit à petit découvrir un ancien de la Kabylie avec beaucoup d’argent mais sans grand talent particulier. Du côté socialiste, le cœur balance plutôt entre Félix Tshisekedi, soutenu par l’insubmersible André Flahaut et sans doute Elio Di Rupo comme le laisse penser le dernier tweet qu’il a publié sur le sujet, d’une part, et Martin Fayulu, soutenu par Marie Arena depuis le Parlement européen où elle semble agir en électron libre, d’autre part. Même absence et positionnements strictement individuels du côté d’Ecolo ou du CDH où Joëlle Milquet aurait été l’une des premières à tweeter « en faveur » de Félix Tshisekedi, après la proclamation des premiers résultats. Quant à la NVA, elle ne voit même pas l’intérêt d’entretenir avec la RDC quelque relation que ce soit, si ce n’est sous l’angle strictement répressif avec lequel elle envisage la question migratoire…
Pour l’heure et en attendant que la Belgique pense à se doter d’une politique africaine digne de ce nom, il faut que son Premier Ministre Charles Michel recadre son Ministre des Affaires Étrangères en affaires courantes et, à l’instar d’un nombre croissant de chefs d’États africains, félicite le Président Félix Tshisekedi, élu à la tête d’un État démocratique et souverain. C’est le geste le plus rationnel, le plus démocratique et le plus responsable qui pourrait être posé par la Belgique et les Européens aujourd’hui. Félix Tshisekedi n’était le candidat ni du Vatican, ni des multinationales, ni des Américains, ni de l’Union européenne, ni des Belges. C’est pourtant celui que les Congolaises et les Congolais ont choisi pour passer à autre chose. Tout autre chose.
Dimitri Verdonck,
Président de l’association Cultures & Progrès