Tribune
La tenue des élections du 30 décembre 2018 en République Démocratique du Congo ainsi que la publication des résultats des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales ont manifestement suscité un accroissement de l’attention pour ce pays dynamogénique au cœur de l’Afrique, de maintes entités étatiques africaines ainsi que des mécanismes institutionnels de coopération sous-régionale (SADC, CIRGL) et régionale (Union africaine). « (…) les chefs d’Etat et de gouvernement (de ces organisations) demandent la suspension de la proclamation des résultats définitifs des élections » en RDC (Cfr. communiqué final du mini-sommet d’Addis-Abeba du 17 janvier 2019).
Officiellement, il s’agit de plaider pour la transparence des scrutins et, partant, l’éclatement au grand jour de la vérité des urnes au bénéfice de la consolidation démocratique en RDC. Ceci constitue une évolution notable dans la posture des Etats africains au sein des cadres de coopération multilatérale sur le continent dont la pratique diplomatique est généralement caractérisée par le « culte du tabou » et, partant, l’autocensure à la critique publique sur les questions liées notamment à la démocratie au sein des Etats membres. Encore que la critique est plus aisée à formuler lorsque son auteur peut incontestablement constituer un modèle à suivre sur la matière évoquée. Qu’à cela ne tienne.
L’Union africaine (UA) tend à tourner la page d’un exercice annuel (janvier 2018 - janvier 2019) marqué par des tentatives non moins louables de réformer l’institution panafricaine gangrenée par plusieurs maux à la base de sa torpeur. Reste que la dynamique y impulsée n’est pas assez partagée, pour plusieurs raisons tant objectives que subjectives, par des puissances non de moindre du continent, telle que l’Egypte dont le Chef de l’Etat, allié de taille à l’internationale du Président de la République sortant, va succéder, dans quelques jours, au Président rwandais à la tête de l’organe suprême de l’UA. C’est également le cas de l’Afrique du Sud, actuellement pays membre du Conseil de sécurité de l’ONU, qui, sur fond de rhétorique souverainiste, prend parti pour la RDC contre « toutes ingérences dans les affaires intérieures » de ce dernier pays.
Il sied donc de noter que, contrairement aux apparences, les pays africains sont loin de parler le même langage sur l’actualité congolaise dominée par l’attente des arrêts de la Cour constitutionnelle compétente pour donner suite à la publication des résultats provisoires des scrutins « contestés » dans certaines capitales africaines. Le communiqué de ce mini-sommet d’Addis-Abeba, consacré à la RDC, a plongé d’aucuns dans une attente salvatrice et/ou angoissante de l’entreprise des pays signataires.
En effet, à l’issue d’un huit-clos de plusieurs heures, Abiy Ahmed (Éthiopie), Alpha Condé (Guinée), Idriss Déby Itno (Tchad), Hage Geingob (Namibie), Paul Kagame (Rwanda), João Lourenço (Angola), Edgar Lungu (Zambie), Yoweri Museveni (Ouganda) et Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) ont émis « des doutes sérieux quant à la conformité des résultats provisoires, proclamés par la Commission électorale nationale indépendante » et convenu de dépêcher à Kinshasa une délégation de haut niveau « pour dialoguer avec toutes les parties prenantes congolaises, en vue de parvenir à un consensus sur le moyen de sortir de la crise postélectorale dans le pays ».
Au-delà des discussions sur le fond de cette initiative diplomatique et évitant la lecture axiologique, il est possible de questionner sereinement la forme de cette démarche pour tenter d’en ressortir l’incidence sur la gestion du différend électoral ainsi que la conséquence symbolique de l’ « alternance démocratique » en RDC au-delà des frontières congolaises.
Il convient de prime abord de noter que cette réunion, à laquelle ont été conviés les animateurs de la SADC, la CIRGL à l’initiative de ceux de l’UA, est de l’ordre purement et simplement consultatif. Ça ne relève pas d’une session de la Conférence, organe composé des Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays membres de l’UA. Il va sans dire qu’il n’est censé découler de cette réunion d’Addis-Abeba aucune mesure revêtant un caractère obligatoire sur les institutions de la RDC. En effet, l’article 7 (1) de l’Acte constitutif de l’UA dispose : « La Conférence prend ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers des Etats membres de l'Union. Toutefois, les décisions de procédure, y compris pour déterminer si une question est de procédure ou non, sont prises à la majorité simple. » Les décisions de la Conférence relèvent de : (1) règlements, (2) directives (ayant un caractère obligatoire), (3) recommandations, déclarations, résolutions, opinions, etc. n’ayant « pas un caractère obligatoire et sont destinées à orienter et à harmoniser les points de vue des Etats membres » (Cfr. article 33 du Règlement intérieur de la Conférence de l’UA).
Dès lors, il y a lieu de considérer que l’action de la délégation devant se rendre à Kinshasa sera essentiellement du ressort des bons offices dans le droit fil de la diplomatie préventive en vue d’y « promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent » (un des objectifs de l’UA. Cfr article 3.f de l’Acte constitutif). Il s’agit d’éviter l’éclatement d’un conflit violent entre acteurs au jeu électoral congolais dont les conséquences pourraient gravement porter atteinte aux efforts déployés par la RDC et les pays de la région pour amorcer tant soit peu la transformation du système de guerre en celui de paix régionale. Dès lors, l’initiative de la facilitation envisagée pour dégager un « consensus sur le moyen de sortir de la crise post-électorale dans le pays » n’est nullement à inscrire dans l’ordre de l’imposition puisque la facilitation requiert préalablement l’assentiment, même tacite, des parties au différend.
Cependant, la communication coercitive ayant sanctionné la réunion de consultation d’Addis-Abeba ne semble pas contribuer à disposer toutes les parties prenantes à réserver bon accueil à la délégation de l’UA. Au contraire, elle est susceptible de renforcer la méfiance entre les parties prenantes ainsi que des millions de citoyens acquis à la cause des unes et des autres dans ce jeu du pouvoir. N’est-il pas ordinairement recommandé au facilitateur de se garder d’afficher ostensiblement ses vues, quelles qu’en soient la pertinence, pour éviter de nuire au rapprochement nécessaire au dialogue entre les antagonistes et à la résolution pacifique du différend qui les oppose ?
A moins que la réunion consultative d’Addis-Abeba ait voulu passer outre les principes directeurs de l’institution panafricaine dans l’objectif de créer les conditions non pas de la réconciliation nationale au service de la paix à préserver et à maintenir en RDC mais plutôt de la meilleure mise en œuvre d’un plan dont les contours resteraient flous et les modalités de distribution des gains aux différents acteurs seraient inconnues du grand public congolais. Point n’est besoin de rappeler le soutien exprimé par le Président français, fin mai 2018, à un plan régional sur la RDC. « La France soutient l’initiative prise par le président de l’Union africaine (NDLR: le président rwandais Paul Kagame) en lien étroit avec le président angolais », avait-il déclaré au sujet de la RDC. La proactivité peut avoir prévalu dans la production de cette initiative pour sauvegarder les intérêts vitaux de la RDC et assurer la sécurité régionale nécessaire à la lutte pour le développement.
Il n’y a pas non plus à exclure que l’attention de certains Etats sur la RDC en vertu du devoir de préservation de la sécurité régionale vise en réalité à assurer la projection de leur puissance sur l’espace hétéroclite congolais de manière à influer sur ses initiatives politiques et à limiter les possibilités d’exportation de l’« alternance démocratique congolaise», quels qu’en seraient les tares, dans leurs champs respectifs de pouvoir. De la sorte, ils auront réussi non seulement à déconstruire symboliquement le produit électoral à la base de la singularité congolaise en Afrique centrale mais aussi à affirmer leur capacité d’agir positivement pour la paix à laquelle les Congolais aspirent et qu’ils ont du mal à se donner sans casse.
En réaction, il est possible que le pouvoir de Kinshasa, qui manifeste son ambition de vendre sur le continent le pari des élections organisées sans financement extérieur, reconsidère la carte de ses alliances en Afrique aux fins de maintenir le processus électoral dans son cours actuel. Il est à cet effet envisageable que la Cour constitutionnelle rende ses arrêts dans les prochaines heures, voire les jours à venir. En réalité, Kinshasa n’aura pas couru le risque d’une quelconque sanction de l’UA pour autant qu’il serait en mesure de prouver qu’il n’a pas agi d’un changement anti-constitutionnel de gouvernement. En sus, la position de l’UA quant à ce ne sera connue qu’à la suite de la prochaine session ordinaire prévue à la fin du mois en cours et au terme de laquelle les pouvoirs sortant et entrant à Kinshasa pourraient bénéficier du soutien du Président égyptien, prochain président en exercice de l’institution panafricaine et partisan – à tort ou à raison - de la politique de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres.
Il n’y a pas à écarter l’éventualité d’une coopération des autorités congolaises à la délégation de l’UA en vertu de la courtoisie internationale et pour un consensus qui, implicitement, suggérerait l’option d’un arrangement politique comme alternative au contentieux électoral. Au fond, ceci contribuera non seulement à tirer le rideau sur la problématique de la vérité des urnes mais aussi à inscrire dans les annales de la République l’apport des Chefs d’Etat de la région dans le règlement du différend congolais. Chaque acteur y allant non sans calcul stratégique moins en fonction du présent, souvent victime du passé, que de l’avenir à conquérir.
Martin ZIAKWAU Lembisa
Internationaliste, analyste politique, il est auteur du livre : Accord-cadre d'Addis-Abeba : Portée et incidence sur la République démocratique du Congo.