Élections - RDC | Leçons de campagne : « Suspens, dribbles et lapsus ; en attendant la fin d’une monarchie présidentielle » | Tribune

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Marcel Héritier Kapitene[*]

Le rendez-vous manqué du 23 décembre 2018 n’a pas ébranlé les attentes des Congolais – sauf les 1,2 millions d’électeurs de Beni, Butembo et Yumbi malignement défalquées de la « chasse gardée » des oppositions. Personne ne veut assumer les ratés évidents ; quitte à jouer l’« idiot utile ». Aucun des camps favoris n’est vraiment maître de jeu. Malgré tous les stratagèmes, c’est la fin d’une époque et peut-être le début d’autres décennies d’embrouilles, de fusions et des scissions d’alliances circonstancielles. Reste à garder l’œil sur les prochaines compositions des chambres et les éventuelles cartes de la Cour constitutionnelle, la seule à pouvoir manier les brèches juridiques dans tel ou tel autre sens.

Si l’annonce du report des élections présidentielle et législatives n’a pas aussi surpris tel qu’on l’attendait – il se pressentait et il était prévisible ; les oppositions sont pour l’une des rares fois restées prudentes, en ne battant pas les pavées de la rue. Ç’aurait peut-être été les prochaines raisons d’autres reports ailleurs. Elles n’ont pas mordu à l’hameçons et n’ont pas une réelle mainmise sur le jeu.

Elections de tous les dangers et de tous les enjeux ; pourvu qu’elles aient vraiment lieu ce dimanche 30 décembre 2018. Le pouvoir de Kinshasa multiplie à tous prix les prétextes et provocations pour s’en débarrasser, mais en vain. Dans tous les cas, ce sera la fin d’une monarchie présidentielle de près de deux décennies ; ouvrant peut-être la voie aux très Congolaises scènes de passe-passe, de débauchages et de fausses ruptures.

Les promesses sont légions. Les spectacles de campagne ne nous ont malheureusement pas dévoilé toutes les surprises. Quitte à être porte-étendard de la continuité et promettre le renouveau, ou à surfer sur une certaine virginité politique, tout en battant campagne sans programme [commun] ou en subissant très ouvertement l’influence de ses pairs de l’essaim.

Majorité parlementaire : l’enjeux.

Qui aura conquis l’Assemblée Nationale sera le maître des jeux de pouvoir. L’épine non élagué restera la réserve fictive d’électeurs sans empreintes dans le fichier électoral. C’est tout un potentiel de 80 futurs députés nationaux à même basculer la Majorité parlementaire dans un camp comme dans un autre. Mais aucun des présidentiables n’aura vraiment main basse sur le Parlement, comme sous la Monarchie Présidentielle des 20 dernières années.

Le rendez-vous du 30 décembre sera de tous les imprévus, mais aura au moins le mérite de sonner ; en tout cas pour une première fois de la troisième République, une inclinaison beaucoup plus parlementariste de celui qui est, sur le plan constitutionnel, un régime semi-parlementaire. Longtemps resté penché vers un présidentialisme quasi-monarchique ; profitant des versatilités idéologiques, d’inféodations ethniques et régionalistes, mais surtout des facilités de débauchages et des lésions d’apprentissage d’une démocratie vacillante et fossile des crises et des dialogues « offres publiques d’achats » des Majorités de remplacement ; le centre du pouvoir de la prochaine législature oscillera entre le Parlement et la Présidence de la République. Qui aura la Majorité à l’Assemblée Nationale, sera le « co-président » de la République. Toutes choses restant égales par ailleurs, des alliances entre rivaux de la campagne qui s’achève ne sont pas à exclure. Les promesses des potes auront tout simplement été prématurées.

Si les démonstrations des candidats à la présidentielle nous auront épargné la traditionnelle balkanisation sociologique Est-Centre-Ouest du Congo, il va néanmoins sans dire qu’aucun des favoris à la magistrature suprême n’a vraiment les mains libres. Tous les favoris ont quelque part des marges de manœuvres très réduites dans leurs propres camps.

Emmanuel Ramazani n’est ni plus ni moins que le clone, mais surtout le ballon d’essai de Joseph Kabila, au cas où ... Il porte avec lui les ratés et les mécontentements des dix-huit années de celui qui l’a « créé » candidat unique du FCC. Sauf jeux d’enveloppes ou chantages analogues à la législature finissante, Shadary ne peut prétendre dicter une ligne idéologique à tel ou tel autre futur député sous le label du regroupement politique qui le porte. D’ailleurs, peu de candidats FCC arboraient son effigie sur leurs supports de campagne – ça ne peut être qu’une stratégie convenue pour échapper au déni qui était visible sur terrain. Il y en a aussi de ceux qui se sont présenté sous les labels du FCC pour conserver leurs postes actuels et profiter des financements de leurs campagnes ; mais qui pourront basculer dans tel ou tel autre camp, dès la proclamation des résultats définitifs.

Pour sa part, Martin Fayulu est une sorte d’envoyé spécial de la Coalition de Genève – Lamuka. Il porte la parole officielle du groupe, mais ses pairs arrivent à donner celle qui finit par être la ligne directrice du « mouvement ». Il ne décide ni ne dit rien sans l’ombre de Moïse Katumbi et de Jean-Pierre Bemba. Ève Bazaïba et Pierre Lumbi l’ont à l’œil. En cas de victoire, une Majorité très penchée « Ensemble MLC et alliés actuels et futurs » dicterait sa politique.

Quant à Félix Antoine Tshisekedi ; il est co-président et porte-étendard du mariage UDPS-UNC. Dans son propre parti, il a toujours du mal imposer son leadership sur les radicaux. Si le destin les hissait au sommet de l’Etat continent – dans l’esprit des cartes distribuées à Nairobi, il ne sera qu’une sorte de président « allemand » de la République Démocratique du Congo ; le plein pouvoir revenant au « Chancelier » Premier Ministre Vital Kamerhe désigné par anticipation et co-président du CACH, trainant tous les ministères régaliens.

Dans tous les cas possibles, si les élections sont ce qu’elles sont supposées être, aucune des trois grandes coalitions en lisse ne pourra gouverner seule. Bien que les pics et les clashs vont dans tous les sens, le FCC pourra débaucher ou faire alliance avec quelques opportunistes de Lamuka et de CACH. Lamuka pourra compter sur une alliance avec le CACH et vice-versa ; voire tendre la main aux rescapés du FCC et autres formations. Visiblement, aucune des coalitions actuelles ne s’en sortira indemne lors de la formation du premier gouvernement de la prochaine législature. Les mécontents, les malins, les aigris et les oubliés de tous les camps basculeront dans tel ou tel autre sens.

Au tournant : la Cour constitutionnelle.

Dans sa sortie médiatique post-révélations des agents électoraux de Kinshasa sur la transmission des données par la Machine à voter, Corneille Nangaa avait fait un d’œil aux oppositions et aux forces vives, pour avoir tenu pignon sur la rue, jusqu’à empêcher toute velléité de modification ou de changement de constitution de RDC, à même de concocter un troisième mandant à Joseph Kabila. On ne reconnaît pas un tel zèle à l’actuel président de la CENI. On pouvait toujours se demander où se cachait le piège dans des tels propos, pouvant énerver dans le camp de Joseph Kabila. Et la trappe n’a pas traîné de s’établir en plein jour.

Il aura juste fallu 24 heures pour que Beni, Butembo et Yumbi soient défalquées des bastions des présidentiables des oppositions. Pourtant, Ebola ne pouvait constituer une menace réelle sur le processus électoral, à en croire le ministre de la santé. Aussi, la CENI arguait, il y a peu, qu’elle disposait d’un stock de réserve de matériels électoraux, pouvant servir en cas d’imprévus.

Peut-être que la carte jouée était celle de l’enlisement total, espérant que les oppositions et d’autres forces vives activeraient la rue ; ce qui, on en a l’habitude, déboucherait sur des interminables conciliabules ; et voire, un partage du pouvoir entre politiques de tous bords. Hypothèse fort possible, en ce sens qu’Emmanuel Ramazani, le garant désigné de la sécurité des Kabila et alliés, se consomme difficilement dans certaines régions du Congo. En excluant pas son retour en 2023, Joseph Kabila insinuait entre les lignes les craintes d’un vote-sanction en défaveur de son poulain.

La carte Beni-Butembo-Yumbi n’aura pas non plus récolté les effets escomptés. Etouffé dans l’œuf par le Comité Laïc de l’Eglise Catholique, la rue n’a pas répondu présente. Le ciel ne nous est pas tombé dessus, dirait Lambert Mende.

Mais Beni, Butembo et Yumbi restent un piège juridique que pourrait toujours exploiter les machinistes des brèches offertes par la législation Congolaise. La Cour constitutionnelle récemment mise en place et composée des caciques du régime actuel, pourrait, lors de l’examen des contentieux électoraux, l’exploiter en sa guise. Les dispositions de la Constitution et de la Loi électorale relatives à la répartition des sièges, à la circonscription électorale pour la Présidentielle ; mais surtout celle relative à la détermination du seuil de représentativité nationale pour les regroupements politiques pourraient alimenter les faits divers politiciens et juridiques dans les jours qui viennent.

Si pour l’institution Président de la République, la circonscription électorale est constitutionnellement toute l’étendue du territoire nationale, la loi électorale du 27 décembre 2018 arroge à la CENI le droit de proclamer élu un candidat Président, en faisant abstraction des suffrages non collectés pour force majeure.

La jurisprudence de 2011 du Territoire de Befale ne pourrait servir que si les résultats provisoires de la CENI allaient dans le sens des vœux de la Cour constitutionnelle. Les éternels contradictions, brèches et contours juridiques dans nos textes de lois en ouvriraient d’autres. L’on se rappellera que le débat sur l’alinéa 2 de l’article 70 de la constitution avait divisé la classe politique, jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle avait été consultée pour interprétation. On n’est pas sorti de l’auberge.

Lapsus diplomatiques… et révélateurs !

Les années Joseph Kabila nous auront habitué à une diplomatie épidermique et quelque peu « adolescente ». Ce n’est pourtant pas très naïf que ça. S’il n’y a formellement qu’un seul Ministre des affaires étrangères, les rôles semblent bien partagés dans la télé-réalité diplomatique de la RDC. Léonard Shé Okitundu et Lambert Mende jouent aux mauvais flics en lâchant du lest « aux gens qui viennent chez-nous et qui parfois nous donnent de leçons de démocratie et de gouvernance ». Barnabé Kikaya et Christian Atoki Ileka font les bons flics en rassurant les ONG et officiels étrangers. Néhémie Mwilanya porte la parole équilibrée dans les médias, les rares des fois qu’il s’exprime. Jean-Pierre Kambila « recadre » les zélés de la twittosphère.

Mais la brouille diplomatique entre Kinshasa et Bruxelles, mise à jour la veille des élections, dévoile peu à peu son autre paire de manche. Il ne s’agit vraiment pas de la réciprocité telle que clamée plus d’une fois par Okitundu. Il est fort possible qu’il s’agisse d’une manœuvre à se séparer de quelques témoins indésirables, avant un autre jeu des dupes. En langage non verbal, le pouvoir de Kinshasa essaie d’arguer à la Communauté internationale : « Il va se passer des choses ici, nous ne voulons pas que vous le voyiez, partez ! »

En clair, Kinshasa, dans sa désormais rhétorique souverainiste, n’a vraiment pas grand-chose à foutre des sanctions contre telle ou telle autre personnalité, bien que celles-ci aient contribué à resserrer l’étau sur la machine répressive du pouvoir. Les Congolais de l’étrangers ne sont pas électeurs ; les sanctionnés n’ont nullement envie d’aller battre campagne en Europe ou aux Etats-Unis.

À la veille d’une transition de pouvoir, la diplomatie Congolaise laisserait le choix au futur Président du Congo de poursuivre les négociations pour la levée des sanctions. C’est loin d’en être le cas. Quelque part, les officiels sanctionnés prévoiraient une continuité sine die. Ils en auraient presque la certitude, mais redouteraient l’activation de la rue. Les déploiements militaire et policier en cours en constituent un signal fort. Kinshasa n’exclut pas une répression violente d’éventuelles contestations. L’heure a peut-être sonné de se débarrasser de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, auraient un regard impénitent sur les auteurs des violences prévues ou prévisibles.  Qui sont les prochains sur la liste des indésirables ? Plus que quelques heures…

Après tout, ce ne seront pas les meilleures élections de la République Démocratique du Congo.

Vivement le 30 décembre… sans 1,2 millions d’entre nous ici et d’autres millions ailleurs.

 

[*] Chercheur, Auteur et Activiste. (t : @KapiteneH)