RDC-Elections : « la répartition des sièges s’est faite sur la base d’un fichier, certes nettoyé, mais non-audité » (Rapport)

Norbert Basengezi, vice-président de la CENI, le jour du lancement de l'opération.

Le Réseau pour la Réforme du Secteur de Sécurité et de Justice (RRSSJ) a rendu public le huitième rapport du Groupe de Travail des OSC sur le processus de paix en RDC, intitulé : « Elections du 23 décembre 2018 : Vers un énième rendez-vous manqué pour le peuple congolais ? ».

Ce travail est fait en partenariat avec l’Action Contre l’Impunité pour les Droits Humains (ACIDH), le Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique (CREEDA), le Centre pour la Gouvernance (CEGO) et l’Institut Alternatives et Initiatives Citoyennes pour la Gouvernance Démocratique (I-AICGD). Ce rapport est le huitième de la série de rapports que publie le Groupe de travail sur le processus de paix qui est un « laboratoire » de production d’analyses indépendantes en vue d’influer positivement sur les politiques publiques nationales et internationales. Il est composé des experts congolais des Organisations de la Société Civile intéressées au processus de paix.

Extrait

Le 06 avril 2018, la CENI a procédé à la publication des statistiques des électeurs par entités électorales. Trois jours plus tard, soit le 09 avril, la CENI a déposé l’avant-projet de la loi relatif à la répartition des sièges au Ministère de l’Intérieur. Une étude minutieuse par croisement de données des statistiques présentées le 6 avril 2018 à celles présentées dans les annexes dudit avant-projet de loi a révélé de curieuses différences et anomalies qui interpellent.

Tout commence le 06 avril, quand la CENI annonce que le fichier électoral est passé de 46.542.289 électeurs enrôlés à 40.287.387 d’inscrits. Elle ajoute ensuite avoir extrait 5. 381.763 doublons et radié 902.289 mineurs. Premier couac, en additionnant les trois derniers chiffres (électeurs inscrits restants, doublons et mineurs radiés), on n’obtient pas 46.542.289 présentés comme chiffre initial total d’électeurs enrôlés, mais plutôt 46.571.439, soit une différence de 29.150 électeurs. Cet écart aura été un indicateur assez important mais que la CENI justifiera, de manière peu convaincante, en soutenant que ce chiffre est celui d’électeurs enrôlés à la fois mineurs et doublons.

Pour revenir aux statistiques rendues publiques par la CENI, il est à noter que celles contenues dans la loi sont différentes de celles publiées le 06 avril 2018 telles que reprises sur le site internet de la CENI. Aucune province n’avait gardé les mêmes statistiques, même si dans une dizaine d’entre elles, ces différences sont restées légères, comme le montre le tableau ci-dessous.

Pour expliquer ces différences, certaines sources internes de la CENI (dignes de foi) avaient avoué que des opérations de dé-doublonnage ont été poursuivies même après le 06 avril 2018. Mais cet argument étonne, étant donné qu’il n’a pas tenu compte du fait que le projet de loi a été déposé le 09 avril au Ministère de l’intérieur. Ce n’était donc pas en 3 jours qu’on a dû réaliser ce qui n’a pas été accompli pendant les 158 jours dédiés à cette activité.

Il a été constaté aussi un phénomène particulièrement inquiétant qui est l’augmentation dans la loi du nombre d’électeurs dans 16 provinces, par rapport aux chiffres annoncés le 06 avril 2018. On sait que les opérations de dé-doublonnage et de radiation des mineurs diminuent forcément les statistiques au lieu de les augmenter. Or, l’élimination des doublons et des mineurs prétendument poursuivie par la CENI après le 06 avril 2018 a conduit curieusement à des augmentations du nombre d’électeurs dans certaines provinces. Ces augmentations ont été parfois significatives et donc encore plus inquiétantes car ne pouvant être comprises autrement. C’est le cas de la Tshopo (+ 74.761), du Kwilu (+ 37.230), du Kasaï- Oriental (+ 37.172), du Sud-Ubangi (+ 25 769), de la Lomami (+ 14.292), du Mai-Ndombe (+ 11.966) et du Sud-Kivu (+ 11.421). Pendant ce temps, le Sankuru, lui, perd encore 96.599 électeurs potentiels, entre le 06 et le 09 avril.

Deux hypothèses paraissaient alors plausibles pour justifier ces augmentations inattendues du nombre d’électeurs après le dé-doublonnage et la radiation des mineurs : soit la CENI disposait d’une masse de données non traitées au 06 avril, auquel cas elle aurait délibérément publié des statistiques partielles et donc forcément erronées ou non-définitives ; soit alors elle a arbitrairement changé les statistiques dans la loi en vertu des critères qu’elle seule maitrisait. Il peut être soutenu que cette modification évolutive de statistiques ne modifie pas beaucoup la répartition des sièges. Mais, c’est faire abstraction de ce qu’elle peut impacter profondément l’élection présidentielle qui, elle, se joue en un seul tour et à la majorité simple d’une part, mais aussi justifier le nombre réel des bureaux de vote, d’autre part.

Si la collecte des données des électeurs a été finalisée, le tableau ci-dessus permet de constater malencontreusement que la publication des statistiques au 6 avril 2018 ainsi que la répartition des sièges au 9 avril 2018 a été faite sur la base des données des électeurs partiellement consolidées, vacillantes et évolutives. Il en est allé ainsi sans compter les conséquences qui en découleraient sur l’ensemble des scrutins.

C’est sur la base des données mises à la disposition de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) par la CENI que cette organisation intergouvernementale a procédé à l’audit du fichier électoral, du 6 au 25 mai 2018. L’opération aurait dû se dérouler bien avant la répartition des sièges afin que toutes les parties prenantes soient rassurées que les opérations qui tiennent au nombre d’électeurs réellement enrôlés se font sur la base de données approchant plus ou moins la réalité.

Malheureusement, comme ci-haut mentionné, la répartition des sièges s’est faite sur la base d’un fichier, certes nettoyé, mais non-audité. En effet, il est important de reconnaitre que l’opération a bénéficié de la transparence et l’inclusivité car le Comité d’audit a été ouvert à toutes les tendances politiques ainsi qu’à la Société civile. L’approche empruntée a été donc inclusive et participative, intégrant un panel représentatif des forces politiques et citoyennes de la République. En plus des experts de l’OIF, le Comité d’audit a été composé de 23 observateurs dits « actifs » répartis comme suit : 5 représentants des principaux regroupements politiques de l’opposition, 5 de la Majorité présidentielle, 7 des organisations de la Société civile, 2 d’organisations promouvant les droits spécifiques des femmes et la parité homme- femme, un autre représentant de chacune des organisations sous-régionales, régionales et internationales (la MONUSCO, l’Union Européenne (UE), l’Union Africaine (UA) et la SADC). Ces délégués avaient participé avec assiduité à l’ensemble des travaux et contribué à la rédaction du rapport ayant sanctionné l’audit.

Cependant, il sied de relever l’attitude de certains acteurs politiques qui, en dépit de leur participation active aux travaux, se sont soustraits de la signature du procès-verbal final, en brandissant des raisons non évoquées lors du déroulement des travaux, en l’occurrence la radiation des 16,6% d’électeurs enregistrés sans empreintes digitales.