Gianni Pittella : « Nous pouvons demander à l’UE de suspendre des appuis financiers directs à l'administration congolaise »

Au Parlement de l’Union européenne, le Groupe des Socialistes et Démocrates européens, est en première ligne en ce qui concerne les questions africaines et particulièrement congolaises. Dans une interview exclusive accordée à <a href="http://actualite.cd/&quot; data-saferedirecturl="https://www.google.com/url?hl=fr&amp;q=http://ACTUALITE.CD&amp;source=g…;, Gianni Pittella, président de ce groupe parlementaire, s’est longuement appesanti notamment sur la crise congolaise.

<em>Interview.</em>

<strong>L’Africa Week a été visiblement un succès en terme d’affluence et de la qualité des débats. Quel bilan faites-vous de cette deuxième édition ?</strong>

L’Africa Week est le rendez-vous culturel et politique sur l’Afrique, le plus important au Parlement européen. Je suis fier qu’il soit organisé par le Groupe des Socialistes et démocrates européens. Depuis mon accession à la présidence du S&amp;D, j’ai fait de l’Afrique une des priorités absolues de notre politique étrangère. Cette deuxième édition, qui s’ajoute à toutes les initiatives et les combats que nous menons au quotidien, et la démonstration que nous prenons le continent africain et ses relations avec l’Union Européenne très au sérieux.

L’Afrique est certes un continent confronté à de nombreux problèmes et défis, mais c’est aussi une région dotée de ressources immenses, humaines en particulier, qui peuvent non seulement profiter à l’Afrique elle-même, mais aussi à l’Europe. Le boom démographique résume à lui-seul le paradoxe majeur auquel le continent africain doit faire face : deux milliards d’habitants d’ici 2050, dont un quart seront des jeunes âgés de moins de 24 ans, est-ce un problème ou une opportunité ? Je réponds, les deux à la fois. C’est ce qui nous a amené à dédier la deuxième édition de l’Africa Week à la jeunesse et au futur de l’Afrique. Comme vous l’avez souligné, l’affluence et la qualité des débats ont été effectivement au rendez-vous. L’un ne va pas sans l’autre. Je tiens à remercier l’ensemble des speakers et des jeunes, africains et européens, qui ont accepté notre invitation, sans eux, ni les membres du Groupe S&amp;D, le succès formidable que nous avons obtenu n’aurait pas été possible.

<strong>Quelle est votre plus grande fierté en organisant cet évènement ?</strong>

C’est de mettre pendant une semaine l’Afrique au centre de l’attention du Parlement européen, l’institution qui représente tous les citoyens de l’UE. La présence de nombreux représentants du continent africain et de la diaspora, particulièrement élevée lors de cette deuxième édition, est un autre motif de fierté. C’est une occasion pour eux d’exposer leurs problèmes, leurs défis, mais aussi leurs rêves, qu’ils partagent avec de hauts responsables politiques de l’UE et de la société civile européenne. Cette confrontation est vitale pour renforcer le partenariat entre nos deux continents. Au cours de cette deuxième édition, j’ai été particulièrement marqué par les idées et les initiatives que les jeunes africains et européens ont présentées à notre Groupe et que nous soumettrons à la Haute Représentante des affaires étrangères et de la politique de sécurité de l’UE, Federica Mogherini, en vue du Sommet UA-UE à Abidjan. Ils demandent à ce que leurs droits soient respectés et que nous répondions à leurs besoins à travers une vision commune ambitieuse. Les leaders africains et européens doivent être à la hauteur de ce défi !

De notre côté, nous avons demandé à un renforcement des échanges entre les jeunes étudiants et entrepreneurs issus des deux continents à travers le lancement d’un programme Erasmus UE-Afrique et des visas européens pour représentants de start-up africaines. L’avenir appartient à la jeunesse et les jeunes sont les meilleurs ambassadeurs pour renforcer les liens qui unissent l’Europe au continent africain.

<strong>On a remarqué que le Congo avait une place de choix dans cette édition. Est-ce fait à dessein ? Pour quel but ?</strong>

Comment ignorer un pays aussi vaste que l’Europe occidentale, dont les ressources naturelles et minières immenses suscitent les appétits de nombreux pays et multinationales, et ce au dépend de millions de citoyens congolais meurtris depuis plus de deux décennies par les conflits, la corruption, la mauvaise gouvernance ? Il est impossible de faire l’impasse sur un pays aussi important d’un point de vue géostratégique. C’est d’ailleurs ce qui nous a amené à lancer et remporter une bataille législative très importante sur les minerais de conflits.

La présence de la RDC dans les débats de la deuxième édition de l’Africa Week est le résultat d’un choix politique qui vise à attirer l’attention sur la situation qui règne actuellement non seulement dans ce pays, mais dans l’ensemble de la région des Grands Lacs. Comme vous le savez, nous avons soutenu et adopté au Parlement européen de nombreuses résolutions pour dénoncer les multiples violations des droits de l’homme commises dans ce pays, les violences et les crimes perpétrés au Kivu et dans le Kasai, ou le non-respect de la Constitution de la part du président sortant qui continue à s’accrocher au pouvoir en renvoyant continuellement les élections. Désormais, le pouvoir envisagerait de reporter ces élections en 2019, rien ne peut justifier un tel retard ! C’est inacceptable, et la Communauté internationale, à commencer par l’Union Africaine, doit faire pression afin que des élections crédibles, libres et transparentes soient tenues le plus rapidement possible.

<strong>Votre groupe parlementaire est en première ligne dans la pression pour une alternance politique dans le délai constitutionnel en RDC. Après 2017, continuerez-vous à considérer Kabila comme un président légitime ?</strong>

Comme vous le savez, le Groupe S&amp;D a suivi le processus électoral, ou plutôt le « non processus » électoral de près. Selon la Constitution congolaise, le Président Kabila devait quitter le pouvoir au terme de son deuxième et dernier mandat et des élections devaient se tenir pour assurer le changement en décembre 2016. Nous sommes en octobre 2017 et rien n’a été fait. Pire, nous n’avons pas la garantie que ces élections se tiendront d’ici la fin de l’année. Lors de son dernier discours devant l’Assemblée générale des Nations-Unies, le président a déclaré attendre « la publication prochaine » d’un nouveau calendrier électoral détaillé.

Nous pouvons comprendre que la situation politique en RDC soit compliquée et qu’elle demande du temps, mais la Communauté internationale prétend à ce qu’un processus électoral soit mis en route de manière crédible, inclusive, transparente et indépendante.

Concrètement, cela signifie que la CENI doit être constituée et financée correctement et qu’elle annonce un calendrier crédible. Il faut aussi garantir une période préélectorale qui permette à tout candidat de poser sa candidature librement et de faire campagne sans pression et sans risque, libérer les prisonniers politiques et garantir le retour des candidats en exil.

Nous espérons que le gouvernement Kabila mettra tout en place pour que ces élections se déroulent dans ces conditions sinon effectivement il ne sera pas crédible sur la scène internationale, mais aussi et surtout au sein de sa propre population ce qui est le plus important pour un président.

<strong>Le Parlement européen a pris des sanctions ciblées à l’endroit des dirigeants congolais. Quel bilan faites-vous de ces sanctions ?</strong>

Nos résolutions ont eu le mérite de pousser l’UE à adopter des sanctions ciblées visant certains hauts-responsables du régime responsables de graves atteintes aux droits de l’homme. C’était un message clair que nous voulions envoyer au gouvernement congolais pour lui signifier que la Communauté internationale, et dans ce cas l’UE, se range aux cotés de la population civile qui se bat pour défendre ses droits et la démocratie, et pour que la Constitution soit respectée. Cependant, nous pouvons estimer que ces sanctions n’ont pas pleinement atteint leur objectif dans la mesure où le processus électoral n’a pas été correctement enclenché. Néanmoins, elles ont produit un effet car un certain nombre de personnes ciblées ont été éloignées du pouvoir. Certaines organisations nous ont par ailleurs confirmé que sans ces sanctions la répression aurait été encore plus violente. À mes yeux, il s’agit de deux impacts très importants, et je tiens à saluer le travail extraordinaire accompli par deux de nos députés que vos lecteurs connaissent bien : Marie Arena et Cecile Kyenge. Elles ont joué un rôle crucial pour l’adoption de ces sanctions européennes. Il faut rester très vigilant, et le cas échéant alourdir les sanctions contre tous ceux qui font obstacles au processus démocratique.

<strong>La Conférence épiscopale nationale du Congo est en tournée en Europe pour notamment demander à l’Union européenne de clarifier sa position par rapport à la pression sur Kabila. Avez-vous l’impression que certains Etats européens ne jouent pas franc jeu ?</strong>

Il est essentiel que tous les États membres de l’Union parlent d’une seule et même voix. Cette voix est celle de la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, qui a insisté sur le fait que la tenue d’élections transparentes et démocratiques dans les plus brefs délais représente le meilleur moyen de sortir d’une impasse politique aux graves conséquences sécuritaires, économiques et humanitaires. Voilà le message principal que l’Union Européenne, y compris les États membres, doivent faire faire passer sur la RDC.

<strong>Après l’échec relatif de la politique des sanctions, peut-on penser à l’application de l’article 96 de l’accord de Cotonou en RDC ?</strong>

Nous ne pouvons pas rester les bras croisées indéfiniment. Pour l’heure, il faut à tout prix utiliser toutes les voix du dialogue avec la RDC afin qu’une solution politiquement inclusive soit trouvée au bénéfice de la population congolaise. Mais si la volonté politique n’y est pas et que la situation se dégrade, alors je pense qu’il est possible, si ce n’est opportun, que l’UE engage des consultations au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou et, le cas échéant, active cet article en suspendant les appuis financiers directs fournis à l’administration congolaise, y compris les appuis budgétaires, tout en maintenant – et c’est extrêmement important – son soutien financier à la population de la RDC et son aide humanitaire. Il y a urgence à sortir de l’impasse actuelle.

Interview réalisée par Patient LIGODI

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