Journée internationale des infirmières : "Être infirmière au Congo, c’est porter la douleur des autres sans avoir le luxe d’exprimer la sienne"

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Journée Internationale des Infirmières

Le monde célèbre le 12 mai de chaque année, la journée internationale des infirmières. Cette année, elle est placée sous le thème : « Nos infirmières. Notre avenir. Prendre soin des infirmières renforce les économies ». Un appel lancé par le Conseil international des infirmières (CII) pour placer le personnel infirmier au cœur des politiques de développement. En République Démocratique du Congo, ce message prend une résonance particulière dans un système de santé fragilisé et un contexte où la femme infirmière demeure une figure essentielle, mais souvent invisible.

Rencontre avec Monique Filika, 37 ans, infirmière à Kinshasa.

Dans une petite salle de garde du centre de santé de Matete, le calme apparent masque l'épuisement. Monique Filika y exerce depuis 12 ans. Elle nous reçoit en blouse, son badge glissé dans la poche, entre deux tournées. Son regard franc et fatigué raconte déjà mille histoires.

Monique, que signifie pour vous cette Journée internationale des infirmières ?

Monique Filika : Pour moi, c’est une reconnaissance, au moins symbolique, qu’on existe. Parce qu’honnêtement, on ne se sent pas toujours vues. Le 12 mai, on parle de nous. Mais le 13, on retourne à la réalité : salaires en retard, manque de matériel, surmenage. Je suis fière d’être infirmière, mais c’est aussi un combat quotidien.

Comment vivez-vous ce métier en tant que femme ?

Monique Filika : Être infirmière, c’est déjà un engagement. Mais être une femme infirmière, c’est souvent une double charge. À l’hôpital, je veille sur les autres. À la maison, je suis mère, épouse, parfois seule à tout gérer. Il m’est arrivé de finir une nuit de garde et d’enchaîner avec la lessive et les devoirs des enfants. Ce métier nous demande d’être fortes, mais parfois on se sent seules, fatiguées, oubliées.

Quel est, selon vous, le rôle des infirmières dans la société congolaise aujourd’hui ?

Monique Filika : Nous sommes les premières à écouter, à soigner, à consoler. Dans les villages comme dans les villes, il n’y a parfois pas de médecin. L’infirmière devient le point de repère. Nous portons la santé du pays sur nos épaules. Et pourtant, regardez nos salaires. Regardez nos conditions. On parle de développement, mais sans nous, il n’y en aura pas. Être infirmière au Congo, c’est porter la douleur des autres sans avoir le luxe d’exprimer la sienne.

Le thème de cette année insiste sur le lien entre bien-être des infirmières et économie. Vous le ressentez ?

Monique Filika : Bien sûr. Quand une infirmière est bien payée, bien traitée, elle soigne mieux, elle reste dans le pays, elle forme les jeunes. Quand elle est maltraitée, elle s’épuise, ou elle part. Regardez combien d’infirmières sont parties à l’étranger. On investit sur nous en nous formant, puis on nous laisse partir faute de respect et de considération. C’est une perte économique énorme.

Un message que vous aimeriez adresser aux jeunes filles qui rêvent de devenir infirmières ?

Monique Filika : Je leur dirais que c’est un métier noble. Mais qu’il ne faut pas venir pour l’uniforme ou l’image. Il faut avoir du cœur, et être prête à se battre. Et surtout, j’aimerais leur dire qu’il faut aussi militer : pour notre reconnaissance, pour nos droits. Être femme et infirmière, c’est une force. Mais une force qu’il faut défendre ensemble.

Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka