L’artiste rappeur congolais Youssoupha s’est illustré en ce début d’année avec un album plein d’amour et d’hommage dénommé "Amour suprême". Sorti en fin janvier dernier, coïncidant avec la détérioration de la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC, certaines chansons et des paroles résonnent particulièrement avec cette actualité alarmante dans les textes et les rythmes de ce natif de Kinshasa, qui y a fait sa première décennie de vie.
L’amour suprême de ce fils de Tabu Ley, c’est aussi celui qu’il porte pour son pays la RDC qu’il ne cesse de raconter sur ses chansons depuis ses débuts dans le rap en France. Ancré dans les codes de cet art de rue, quand bien même Youssoupha nage sur des titres bien plus festifs et élogieux, ses habitudes lyricales tiennent compte de la situation du pays de son père. Le titre “Prose combat en dit long”.
En effet, sur cette chanson, le rappeur exprime d’une voix claire son souhait pour le président rwandais, commanditaire documenté plus d’une fois par les Nations Unies des actes de barbaries d’une violence inouïes sur le sol congolais, dans sa partie Est, depuis de nombreuses années, via ses supplétifs du M23.
“ Parle-moi d’Afrique, ne me parle pas de Wakanda ; Congo, nos enfants finiront par gagner ; tout mon respect pour le peuple du Rwanda, mais besoin de la peine capitale pour Paul Kagame”, lache Youssoupha.
De la rage et de l’espoir tout de même pour une RDC dont de nombreux enfants dans cette partie meurtrie du pays, n’ont connu que la guerre jusqu’à l'âge adulte. Youssoupha porte si bien cette responsabilité dans ses textes, scandant d’ailleurs dans le titre Gospel Molotov, “qui prétend faire du rap sans donner force et espoir ?” ou encore dans un titre plus ancien, Menace de mort, il disait “qui prétend faire du rap sans prendre position ?”.
Étant une voix qui porte, Youssoupha pense qu’il faut parler de la situation de la RDC pour que ça se répare le plus vite possible.
“ Ça fait des années que ça m’inquiète et ça inquiète de nombreuses personnes. C’est une situation qui est sous médiatisée ou mal comprise, mal rapportée, alors que c’est un point sensible. Par rapport à ses richesses, l’Est du Congo est déstabilisé par les armées étrangères par rapport à ses richesses. Beaucoup de doigts pointent le président rwandais et j’en parle dans mon album. Pour ses intérêts de minerais commerciaux, ça fait beaucoup de morts et de déplacés. Le Congo part de loin, il a besoin d’élévation, que ce conflit cesse, qu’on en parle et surtout qu’on se répare. J’en parle et je le dénonce régulièrement ”, a-t-il dit sur France 24.
Youssoupha a toujours évoqué la RDC dans ses chansons, particulièrement en dénonçant des situations et des attitudes injustes de la communauté internationale et même des autorités congolaises. Il n’hésite pas à placer des mots et des phrases en lingala, la principale langue de la ville de Kinshasa où il a grandi. Du haut de ses 20 ans de carrière, la RDC est restée dans ses cordes, chantant même pour Denis Mukwege lorsqu’il a été sacré Prix Nobel de la paix, passant en revue la lutte du gynécologue congolais pour les femmes de partie Est de la RDC.
A force de le dire, Histoire vraie, Zaïrois, Devant, Sango nini, Niama na yo, Polaroid expérience, Prose combat sont autant des titres où les racines congolaises du fils de la légende congolaise Tabu Ley se voient autant dans le rythme, la langue ou les prises de position. Depuis les révélations de l’appui actif du Rwanda au mouvement rebelle M23, Youssoupha a même annulé un concert en 2022, refusant de se produire dans le pays de Kagame pour la cause.
L’art pour faire écouter la voix de la RDC
Plusieurs artistes congolais utilisent leurs voix, pour ce qui est de la musique, pour parler de la situation de la RDC afin de faire bouger les lignes. En novembre 2022, Gims, un autre rappeur congolais qui a fait ses marques en France, a mis une phrase dans sa chanson “Thémistocle” qui attire l’attention sur la situation de l’Est de la RDC, accusant le président rwandais Kagame qu’il a dit rimé avec croix gammée, pour évoquer son soutien aux rebelles dans la partie orientale de la RDC.
Plus récemment, couronné artiste masculin de l’année lors de la 40ᵉ cérémonie des Victoires de la musique vendredi soir à la Seine musicale, le fils de Djuna Djanana a profité de son discours pour adresser un message fort sur la situation dramatique dans l’Est de la RDC.
Avant de poursuivre son allocution, le chanteur congolais a tenu à rappeler la crise humanitaire qui frappe son pays d’origine. « Avant de continuer, je voudrais un petit mot pour le Congo, pour mon pays. Il s’y passe des choses en ce moment et comme il y a déjà plusieurs décennies », a-t-il déclaré devant un public attentif.
Et de poursuivre :
« Ce n’est qu’un rappel parce que ça fait plusieurs décennies que la situation à l’Est est terrible. À Goma, cette ville est assiégée par des milices, des groupuscules. Je ne veux pas faire un discours politique. C’est juste un message humain parce que c’est inhumain ce qui s’y passe. Je voulais qu’on y pense quelques minutes ».
Fally Ipupa, Innoss’b, Herman Amisi, et bien d’autres artistes congolais attirent de plus en plus l’attention sur cette situation de la RDC par leur art tout comme dans des messages quand ils en ont l’opportunité, une marque de pression internationale pour agir afin que l’insécurité stoppe.
Actuellement la situation demeure tendue après l’entrée des combattants de l’AFC/M23 dans le Sud-Kivu et leur progression jusqu’au centre-ville de Bukavu. Depuis la prise de l’aéroport de Kavumu, des tirs sporadiques et des pillages se multiplient, impliquant aussi bien des jeunes soutenant les FARDC que des civils armés. L’absence d’autorités visibles, la circulation d’images montrant des enfants armés et la faible présence des FARDC renforcent le sentiment d’abandon parmi la population, poussant certains habitants à organiser des groupes d’autodéfense.
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Kuzamba Mbuangu